La production de la sexualité conférence -2006 ( texte repris et développé
dans "labrys, études féministes/ estudos feministas http://vsites.unb.br/ih/his/gefem/labrys10/livre/anahita.htm
Nous assistons, de nos jours, à une croissante soumission des corps aux impératifs de la sexualité, mais de façon différentiée et binaire. Le dispositif de la sexualité crée les corps sexués et agit sur eux selon leur appartenance à la classe des femmes ou à celle des hommes. Pour ces derniers, la sexualité se présente d´abord comme une nécessité aussi pressante que celle de manger ou de boire, source d´un plaisir soi-disant ineffable. Quel est donc ce plaisir ? Une tuméfaction, un jet de sperme, le tout en 30 secondes ? Ou bien le plaisir de la possession, non seulement du corps d´autrui, mais bien de sa personne ? Car en effet, c´est un individu que l´on possède, que l´on achète, c´est cela le plaisir inavouable. Si les mécanismes de la sexualité sont simples, voire linéaires, surtout pour les hommes, c´est l´entière économie symbolique des relations de sexe qui lui octroie la force de vie et le sceau de l´identité. « Sois un homme » signifie en fait, « ne sois pas une femme. » Au creux du dispositif de la sexualité, les femmes sont « différentes», c´est-à- dire que leur construction, au travèrs du prisme des pratiques et des représentations sociales, souffre l´interférence d´un autre dispositif : le dispositif amoureux. On pourrait suivre sa généalogie dans les discours – philosophiques, religieux, scientifiques, des traditions, du sens commun - qui instituent l´image de la « femme véritable », qui répètent inlassablement les qualités et les devoirs d´une femme : douce, aimable, compatissante, dévouée, et surtout amoureuse. Amoureuse de son époux, de son homme, de ses enfants, de sa famille, au-delà de toute limite, de toute expression de soi. Dans ce quadre des représentations sociales, l´amour est pour les femmes ce que le sexe est pour les hommes : nécessité, raison d´être, raison de vivre, fondement identitaire. Le dispositif amoureux investit et construit des corps-en-femmes prêtes à se sacrifier, à vivre dans l´oubli de soi pour l´amour d´autrui : mari, enfants, parents et les démunis en général . Les professions dites féminines partagent ces caractéristiques : infirmière, institutrice, serveuse, domestique, garde d´enfants et bien d´autres. Le dispositif amoureux, en outre, les conduit tout droit vers une hétérosexualité incontournable, sans ambages, puisque la procréation en est leur récompense. Même si le plaisir y est rare ou absent, c´est une sexualité sans questions, sans détours, c´est comme ça, c´est tout. Le dispositif amoureux crée des femmes et plie leurs corps aux injonctions de la beauté et de la séduction, il guide les pensées, les comportements à la recherche d´un amour idéal, fait d´échanges et d´émotions, de partage et de complicité. La sexualité y est accessoire maintes fois. Les technologies sociales du genre investissent les corps- sexués-en-femme dans les pratique discursives, qui proposent comme axiome la « nature » féminine, une pré-conception ancrée dans le sens commun, propagée et instituée par un certain ensemble de discours sociaux. Toutefois, comme l´a bien souligné Foucault : « Le ´préconceptuel´ ainsi décrit, au lieu de dessiner un horizon qui viendrait du fond de l'histoire et se maintiendrait à travers elle, est au contraire, au niveau le plus ´superficiel´ (au niveau des discours), l'ensemble des règles qui s'y trouvent effectivement appliquées. » (archeo idem 83) C´est-à-dire que les pratiques créent l´objet dont elles décrivent le fonctionnement ou les contours, en un processus continu. Ainsi, la formule de Judith Butler « il n´y a pas de genre hors des pratiques de genre » y trouve tout son sens. C´est effectivement le genre et ses technologies qui construisent les sexes et leurs délimitations, leurs principes d´exclusion, leurs formes et leurs expressions, tout comme l´hétérosexualité en tant que norme et référence, et la sexualité en tant que socle de l´être. Femmes dans le social, femelles dans le biologique, les corps-en-femme fixent une identité fictive où s´imbriquent les injonctions de l´amour et de la sexualité. Le dispositif amoureux s´affirme donc dans des pratiques, qui se dédoublent de manière exponentielle, et assurent la construction du féminin : l´éducation formelle, la pédagogie sexuelle, la discipline des corps – maigres et beaux - la domestication des sens et des désirs, selon l´image idéale de LA femme. Le dispositif amoureux et de la sexualité forment le canevas où l´on tisse et produit du féminin – l´objectivation indissociable du processus de subjectivation, la production du sujet d´un savoir et la production du savoir sur le sujet, au moyen de pratiques discursives diverses. Les technologies du genre ont ainsi une double face, intérieure et extérieure à elles-mêmes, qui travaillent dans la production du sujet féminin dans un cadre de valeurs auxquels fait référence. L´action sur soi utilise des techniques d´adaptation, de refus, d´assujettissement aux codes, aux limites et aux normes de genre et de la sexualité. Je reprends ici Foucault : « Toute action morale, c'est vrai, comporte un rapport au réel où elle s'effectue et un rapport au code auquel elle se réfère; mais elle implique aussi un certain rapport à soi; celui-ci n'est pas simplement ´conscience de soi´, mais constitution de soi comme ´sujet moral´, dans laquelle l'individu circonscrit la part de lui-même qui constitue cet objet de pratique morale, définit sa position par rapport au précepte qu'il suit, se fixe un certain mode d'être qui vaudra comme accomplissement moral de lui-même, et, pour ce faire, agit sur lui-même. »( 668 dits et écrits IV idem 1980-1988) Lors du processus de subjectivation donc, je me construis sans cesse. Et les technologies du sexe, du genre, sont constitutives de mon devenir, puisque je ne suis que dans l´itération, l´assujettissement, le refus, ou le dépassement de leurs normes ou de leurs définitions. De nos jours, les moules qui enferment les contours femme / homme rendent presque impossible une relation égalitaire dans les rapports sexuels, traversés de pouvoir. Il y a , dans les plis des draps, un manichéisme binaire insidieux même si les rôles sont interchangeables au cas échéant. Donc, là où il y a sexualité se niche aussi l´appartenance, la possession, la trahison, l´honneur, l´auto-représentation, toutes valeurs confondues autour de corps définis par le pouvoir de nommer, par la performativié des comportements codifiés, par les conditions d´imagination qui sculpent les modèles et les référents idéaux. Je suis très sceptique sur le thème de la sexualité incontournable. Certes, les réseaux de sens qui nous donne intelligibilité – à commencer par notre auto-image- nous façonnent de la sorte : soit sexy ou meurt ; la performance sexuelle est tout, le désir de l´autre pour moi ouvre mon chemin vers le monde, garantit mon insertion dans le social. J´estime que le dispositif de la sexualité, imbriqué au dispositif amoureux a atteint ses limites de saturation. Ce qui est certain c´est que l´injonction à la sexualité – et n´importe quelle soit sa pratique – est l´action du pouvoir créant une nouvelle servitude, celle des orifices, des érections, des performances, des conquêtes, d´une banalité à mourir d´ennui. J´ai besoin de changer de niveau, de changer tout court. Non, je ne suis pas contre la sexualité, pas du tout. J´ai, cependant, un engagement féministe , qui m´empêche l´assujettissement aveugle aux impositions du social sur mon corps et mon être. Je reprends donc ma question, qui suis-je hors de la sexualité ? qui suis-je hors des normes de sexe ? Pourquoi dois-je me plier aux dictats qui imposent la sexualité comme fond de vérité de l´être ?.En fait, je ne m´intéresse pas à savoir qui je suis, puisque je ne le suis plus la même, au moment de cette énonciation – c´est là où les normes perdent de leur pouvoir, car elles n´ont plus d´importance. Voilà la quête . |