Nellie Bly, féministe: l´aventure du journalisme

tania navarro swain

 

Résumé

Qui est Nellie Bly? Pourquoi se pencher sur sa vie, sur son cheminement? C´était une femme d´aventure, une de celles qui a bravé les moules de la domesticité, qui a dénoncé les exactions commises contre les femmes, une journalites, féministe du XIXe siècle, femme d´action. Elle a défié le héros de Jules Verne et a fait le tour du monde en moins de 80 jours. es risques ne l´arrêtaient pas, ni les sacrifices de sa propre personne : elle dénonçait les conditions pénibles de travail pour les femmes, les outrages subis, les salaires minables, les logements étriqués et en mauvais état, le désespoir des mères travailleuses devant le sort réservé à leurs enfants, des vies brisées par le mépris et la maltraitance, directement dérivés du fait qu´elles étaient ... des femmes.

Mots-clés: aventure, journaliste, tour du monde

 

 

 

Son vrai nom était Elizabeth Jane Cochran née en  Pennsylvanie, le 5 mai 1864. Le pseudonyme Nellie Bly  a été adopté sous la pression de ses frères car, selon l´adage populaire le nom d´une femme ne doit apparaître dans la presse qu´en trois occasions : lors de sa naissance, de son mariage et de son décès. Alors, une journaliste dans la famille ??? La honte !(Baker, 21)

Donc, Elizabeth Jane Cochran, farouchement jalouse de son indépendance, devient Nellie Bly, journaliste qui accepte tous les défis et défend les femmes non seulement par la parole écrite et la dénonciation, mais aussi par ses prouesses personnelles, qui démontrent les capacités et l´endurance d´une femme.

A son époque, elle s´est fait surtout connaître pour son voyage autour du monde, un pari qu´elle a tenu avec le personnage de Jules Verne, Philéas Fogg dans « Le tour du monde en 80 jours » paru en 1873.

A t-elle réussi ? Oui. Son voyage a pris exactement 71 jours, dont 15 d´arrêts forcés dus aux contingences des horaires et aux  fréquences des bateaux. À la fin du XIXe c´était un voyage bien compliqué, plein d´aléas: les horaires des moyens de transport (train, bateaux). les intempéries, les retards, les escales trop longues.

 Le jeudi 14 novembre 1889, précisément à 9h40,  Nellie Bly commence son voyage. Financée par le New York World, journal de Joseph Pulitzer (créateur du prix du même nom), elle se lance seule dans une aventure dont elle sera la première à réaliser l´exploit.

L´éclat de ce voyage lui a assuré une vie indépendante financièrement et a consolidé sa carrière journalistique. Nous y reviendrons.

Mais sa démarche était avant tout un combat féministe, car ses reportages se penchaient notamment sur le sort des femmes dans des situations diverses, dans lesquelles elle s´immergeait avant de les décrire. Elle tenait à essayer, à faire partie du vécu des femmes et c´est ainsi qu´elle a partagé le travail des ouvrières ou des employées domestiques. Elle a également fait semblant d´être folle pour connaître le sort des femmes internées dans un asile d´aliénés, dont le reportage lui a valu beaucoup de prestige.

Les risques ne l´arrêtaient pas, ni les sacrifices de sa propre personne : elle dénonçait les conditions pénibles de travail pour les femmes, les outrages subis, les salaires minables, les logements étriqués et en mauvais état, le désespoir des mères travailleuses devant le sort réservé à leurs enfants, des vies brisées par le mépris et la maltraitance, directement dérivés du fait qu´elles étaient ... des femmes.

Sa révolte contre un article sur l´infériorité des femmes lui a valu son premier emploi en tant que journaliste. Elle a écrit une lettre au journal avec une telle fougue,  réfutant tous les arguments de cet article misogyne,  que l´éditeur du Pittsburgh Dispatch,  impressionné,  l´a embauchée  comme journaliste.

 Nellie Bly a donc commencé à faire ses reportages sur la vie des ouvrières, mais elle a tenu à partager leurs travaux avant d´écrire: des journées de travail éreintantes, le froid et la saleté des habitations, des salaires de famine. Ses reportages ont fait exploser le tirage du Dispatch, et ont obtenu les applaudissements de la population ainsi que la révolte des chefs et propriétaires des industries. Elle faisait du reportage de terrain pour exposer les faits, ce qui permettait à ses lecteurs/ lectrices de « voir »  exactement ce qu´elle avait vu.

Nellie Bly voulait ouvrir de nouveaux horizons et elle a réussi : pour le compte de son journal, elle part comme correspondante au Mexique : elle a voyagé pendant six mois partout, avec sa mère comme accompagnatrice, à dos d´ânes, là où il n´y avait aucune route. Ses reportages ont eu un grand retentissement et comme elle ne mâchait pas ses mots sur les faits constatés, elle fut gentiment invitée à quitter le pays de Porfirio Diaz.

Femmes journalistes

Était-ce un fait exceptionnel, une femme journaliste ? En effet, la grisaille et le silence qui accompagnent la trajectoire des femmes dans les discours historiques cachent l´intense activité  des femmes dans le social.

Frances Backhouse, dans son excellent livre sur les femmes dans la ruée vers l´or au Klondike à la fin du XIXe siècle   (Backhouse, 2000), nous livre des personnages effacés d´une histoire qui  relègue les femmes au rôle unique de prostituées dans les grands mouvements de population.

Or, elles ont été nombreuses à travailler en tant que prospecteures, tenancières de mines, d´hôtel, de laveries, de restaurants, professeures, employées de banque ou de l´administration du gouvernement, infirmières,  médecins, missionnaires, commerçantes, ainsi que photographes et JOURNALISTES. (liste non-exhaustive) (Backhouse,2000 :140).

En Amérique du Nord et dans d´autres pays, donc, Nellie Bly n´était pas la seule à s´aventurer sur des terrains à défricher comme correspondante  d´un journal.

Helen Dare a été envoyée au Klondike par le San Francisco Examiner. Elle a été très impressionnée par les mauvaises conditions de vie à Dawson et a écrit :

« Gold is pretty and good to have, but one grows to hate its yellow sheen when one sees how it draws men on and pranks with them like a mocking devil » (Backhouse, 2000: 147)  

Flora Shaw, journaliste anglaise, fut également envoyée au Klondike et dans plusieurs recoins de l´empire britannique dont l´Australie, en tant que correspondante du London Times. Arrivée à Dawson elle inverse les rôles et emploie un homme pour faire la cuisine, s´occuper du nettoyage et tenir son linge propre ; elle part toute seule faire ses entrevues dans les creeks avec les prospecteurs, après s´être essayée de ses propres mains au rude labeur de la recherche de l´or  dans les fleuves. (idem : 146) .

Frances Backhouse observe que:

«Another career which opened up to women in the late Victorian era was journalism. […] women were sent by several eminent newspapers, as well as a number of smaller publications, to cover the story. […] Instead of watching from the sidelines they helped make the news by participating in events.” (Backhouse, 2000:142)

C´est ainsi que le Toronto Globe a envoyé Faith Fenton, qui avait déjà été chef éditeur auprès de The Canadian Home Journal et dont les articles sont parus également dans le New York Sun et le Toronto Empire.

Les femmes journalistes ont été nombreuses en ce siècle réputé pour sa misogynie : il suffit de briser le silence qui enferme les femmes dans la domesticité, qu´on les trouve un peu partout. [1]

La recherche féministe en histoire a, dans ce sens,  déconstruit le passé androcentrique : les femmes ont toujours été présentes partout dans le social, malgré l´effacement de leurs actions, ce que  les femmes d´aventure nous prouvent. Si leurs droits sont étriqués, elles percent quand même les barrières et imposent leur présence là où l´histoire les ignore. L´histoire féministe ne s´arrête pas à la division « immuable » du travail ou sur les incontournables rôles genrés. Elle débusque  ce que l´histoire ne dit pas, mais qui cependant est bien là, dans les pratiques sociales.

Qui eût cru qu´à cette époque il y avait des femmes journalistes, correspondantes de guerre, seules dans des régions éloignées, défiant les dangers et les préjugés, sans chaperon et sans un homme pour les « protéger » ? Elles ont bel et bien existé et leurs exemples ont encouragé les femmes à exiger l´égalité des droits.

Les luttes pour les droits civiques, le droit au travail, le droit de vote pour les femmes battaient leur plein dans les dernières décennies du XIXe siècle et au début du XXe. [2] Et  Nellie Bly y a participé en tant que féministe et reporter. Elle fut également correspondante de guerre pendant la première guerre mondiale sur le front oriental de l´Europe et fut même arrêtée par la police hongroise qui la soupçonnait d´espionnage.(web)

D´ailleurs, le rôle des femmes dans les guerres est loin d´être connu, malgré quelques documentaires ou certains films qui montrent des femmes partisanes, en mission d´espionnage, dans les guérillas, correspondantes et j´en passe.[3] . Pourquoi  parle-t-on si peu des femmes dans la résistance française, italienne qui ont aussi risqué leur vie et ont été torturées, fusillées ? Qui donc a intérêt à étouffer l´action et la présence des femmes dans tous les évènements que relatent les discours des historiens ?  Le patriarcat se garde bien de les montrer et ne retient que les images de la « vraie femme » domestique et domestiquée .

Suivant les livres d´histoire ou la majorité des médias, les femmes seraient toujours restées tapies, sanglotant de peur, telles les pionnières dans la conquête de l´Ouest américain qu´on nous montre toujours sous les charrettes pendant que les Indiens attaquent. Comment peut-on imaginer que des femmes parties pour une telle entreprise ne seraient pas capables de prendre des armes, de se défendre et défendre les siens ? Calamity Jane[4] en est un exemple qui a réussi à percer le silence de l´histoire. Et pourquoi serait-elle la seule à briser le modèle des femmes incapables ? C´est l´imaginaire masculin qui reproduit sans cesse ces figures féminines nulles mais certainement improbables, comme le montre l´exemple de  nos femmes d´aventure.

 Ce sont ces représentations sociales qui ré-instaurent les images de faiblesse et d´inertie des femmes. Cependant, les femmes dans les Goulags russes [5] des années 1930/40 étaient accusées des mêmes « crimes »,  faisaient les mêmes travaux que les hommes, souffraient les mêmes conditions de vie, dans des froids de -40, faméliques et insuffisamment couvertes. Dans ce cas il y a égalité.

Retour à Nellie Bly. L´asile des folles

Outre sa carrière de journaliste, Nellie Bly fut une femme d´affaires américaine, à la tête d´une industrie où elle a essayé de mettre en pratique ses idées sur de justes salaires et des conditions de travail adéquates pour ses ouvriers. À part cela, elle a trouvé le temps d´inventer des produits, dont beaucoup ont été patentés. (web1).

Éclectique, sans peur, femme de convictions profondes, Nellie Bly acceptait et créait même ses propres défis.

Toujours attentive aux droits des femmes, elle se fait enfermer dans une prison féminine, expérience qui eut pour résultat de nombreux articles sur les conditions de vie des prisonnières. Ses écrits ont eu une influence majeure, puisque la surveillance des prisonnières est passée sous la tutelle unique de gardiennes, soustrayant ainsi ces femmes aux pouvoirs et aux désirs masculins.

Il lui tenait à cœur de redresser toutes les injustices : elle a dénoncé la corruption, le traitement infligé aux pauvres,qui donnant lieu à des changements dans l´administration de la ville de New York. Ses articles faisaient monter les ventes du journal et surtout incitaient le public à demander des reformes ; Nellie Bly est devenue, en quelque sorte, la porte-parole des femmes déshéritées et des démunis en général.  (web2) Ses reportages provoquaient toujours des remous et étaient attendus avec crainte par certains.

Son internement volontaire à Blackwell's Island, où étaient enfermées les femmes considérées comme folles, a fait partie de ses exploits les plus connus.

En effet, des rumeurs couraient sur les mauvais traitements et les conditions effroyables d´internement dans cette institution, ce sur quoi  le New York World  voulait enquêter. Nellie Bly reçoit comme premier reportage pour ce journal, la tâche de se faire admettre à Blackwell's Island pour constater de l´intérieur les conditions de vie et les  traitements infligés à ces femmes.

Deux questions cruciales se posaient : 1-comment agir pour se faire admettre à Blackwell's Island ; 2- comment faire pour en sortir.

Lorsqu´elle a demandé à l´éditeur du World ce qu´il comptait faire pour la sortir de là, il a répondu simplement « je ne sais pas ». Mais il l´a quand même rassurée :

 "[…] we will get you out if we have to tell who you are, and for what purpose you feigned insanity–only get in."

En tout cas, elle lui a fait confiance. 

Après avoir envisagé maintes situations, Nellie a considéré que le meilleur moyen d´être admise à l´asile était de passer par une décision judiciaire.

Avant de commencer sa mission, elle songea à l´éventualité qu´elle pourrait vraiment devenir folle, une fois enfermée avec une multitude de femmes aliénées. Mais pas un instant, elle n´a pensé abandonner la mission.

Comment avoir l´air d´une folle ? Elle s´est  fait peur à elle-même en s´entraînant devant le miroir, faisant des grimaces et écarquillant les yeux sans cligner.  Elle pensait avoir besoin de paraître folle, mais la suite des événements a révélé que c´était superflu.

D´abord, elle a décidé d´emménager dans un logis pour travailleuses, la Temporary Home for Females, No. 84, Deuxième Avenue et là, Nellie a essayé d´agir de façon bizarre.

L´endroit était triste, lugubre. Il y avait beaucoup de monde mais  les travailleuses ne rentraient que le soir, pour un maigre dîner et une soirée sinistre dans une salle mal illuminée.   

Nellie Bly décrit avec force détails les situations vécues et les endroits par où elle est passée, avec humour et un sens critique très développé. Son objectif, d´ailleurs, était de :

« Write up things as you find them, good or bad; give praise or blame as you think best, and the truth all the time”[6]

Pour parfaire son rôle, elle n´a pas dormi de la nuit ce qui lui a donné un air hagard. Elle ne parlait que de la perte de ses affaires et celle de sa mémoire concernant les derniers faits de sa vie.  Devant cela,  les femmes du foyer se sont montrées hostiles ou goguenardes, sauf  Mrs. Ruth Caine, la seule  qui se soit occupée  d´elle. Pas de soutien ou de compassion, les femmes entre elles ne s´aidaient apparemment pas. Triste expérience !

Nellie, de son air bizarre, insistait en disant que toutes les femmes dans la maison étaient folles. Elle a obtenu ainsi des réactions très vives. Nellie le  décrit ainsi:

“They expressed themselves in various ways."Poor loon!" they said. "Why, she's crazy enough!" "I am afraid to stay with such a crazy being in the house." "She will murder us all before morning." One woman was for sending for a policeman to take me at once. They were all in a terrible and real state of fright.”

Bientôt elle fut traînée devant un juge qui l´envoya à l´hôpital  Bellevue pour être examinée par les médecins, étant donné son état amnésique.

  L´accueil à l´hôpital, par des hommes rustres,  a été sans ménagement.

Nellie Bly réussit à entamer une conversation avec une des patientes pendant l´attente à l´hôpital. Son récit n´était pas rassurant et déjà commençait à confirmer les soupçons de son éditeur. Nellie écrit: 

«[… ] her name was Miss Anne Neville, and she had been sick from overwork. She had been working as a chambermaid, and when her health gave way she was sent to some Sisters' Home to be treated. Her nephew, who was a waiter, was out of work, and, being unable to pay her expenses at the Home, had had her transferred to Bellevue. “Is there anything wrong with you mentally as well?" I asked her. "No," she said. "The doctors have been asking me many curious questions and confusing me as much as possible, but I have nothing wrong with my brain."

Une fois décrétée la folie, il n´y avait apparemment plus rien à faire, le sort en était jeté. Nellie Bly, qui n´avait de cesse d´éclaircir les faits, demande à la patiente :

"Do you know that only insane people are sent to this pavilion?" I asked. "Yes, I know; but I am unable to do anything. The doctors refuse to listen to me, and it is useless to say anything to the nurses”

Nellie devra bientôt vivre cette même situation : un médecin l´examine sommairement, prend son pouls, lui demande si elle était entretenue par des hommes et décrète :

"Positively demented," he said. "I consider it a hopeless case. She needs to be put where some one will take care of her."

Ainsi, les diagnostiques de démence étaient-ils complètement dénués de sens et ne suivaient aucune méthode. Dans son cas,  on y ajouta une considération d´ordre moral (entretenue ou pas par des hommes); par contre, l´autre femme allait être internée pour pauvreté. Une troisième femme, avec qui elle avait pris contact, fut internée pour « maladie nerveuse » ; or, elle lui avait dit être simplement épuisée par un travail exténuant.

Il y eut encore deux visites médicales à Bellevue où les questions étaient identiques pour toutes les femmes : si elles entendaient des voix, ce que disaient ces voix, si elles voyaient des visages sur le mur. Quant à Nellie il y avait encore des doutes sur sa morale, car on lui a demandé si elle avait des amants ou si elle était ou avait été mariée. Sans plus, elle entendit la sentence : son cas était sans espoir. Ce genre de diagnostique pouvait condamner une femme à être enfermée à vie dans un asile sans aucune chance de prouver sa santé mentale.

Une fois le diagnostique rendu, la procédure était rapide : les femmes étaient embarquées pour Blackwell's Island, sans appel possible: toute tentative de s´esquiver était réprimée avec rudesse. Même si elles voulaient s´échapper, commente Nellie avec humour:

« The odor of the male attendant's breath was enough to make one's head swim.”

Lorsque le bateau arrive a Blackwell's Island, Nellie demande à un des gardes :

"What is this place?" I asked of the man, who had his fingers sunk into the flesh of my arm. "Blackwell's Island, an insane place, where you'll never get out of."

En effet, Nellie constatera qu´on ne donne aucune possibilité aux internes de prouver leur bonne santé mentale ; elle parle à plusieurs femmes et leur témoignage montre l´arbitraire des mesures d´internement.

Elle a rencontré sur Blackwell's Island  une allemande qui ne parlait pas anglais et ne savait pas pourquoi ni comment elle se trouvait dans un pareil endroit. “Compare this with a criminal, who is given every chance to prove his innocence”. s´écrit Nellie.

Par un froid intense, elles étaient parquées dans une salle  vide, avec des bancs inconfortables, des grilles aux fenêtres, et elles attendaient. Un médecin est arrivé et n´a pas daigné s´adresser à ces femmes figées dans l´ attente : il continua de discuter de choses et d´autres avec une infirmière. C´était l´expertise.

Elles sont ensuite emmenées pour le souper, poussées, houspillées, parfois on entendait une claque résonner dans le long couloir glacé ; une fois arrivées à une étroite et longue salle à manger, les femmes se jettent sur les places autour de la table pour recevoir en tout et pour tout du thé, du pain et cinq prunes. Affamées, les internes se volent la nourriture les unes aux autres.

Nellie n´a rien mangé, c´était trop mauvais. Elle donne tout aux autres ; même le thé était imbuvable.

“My bowl of tea was all that was left. I tasted, and one taste was enough. It had no sugar, and it tasted as if it had been made in copper. It was as weak as water.”

Après une petite soirée sinistre dans le salon, où Nellie essaye de jouer un peu au piano, le bain ! L´eau était glacée et pour couper court à ses protestations, elle reçoit trois baquets d´eau gelée sur la tête.

[,,,]They put me, dripping wet, into a short canton flannel slip, labeled across the extreme end in large black letters, "Lunatic Asylum, B. I., H. 6." The letters meant Blackwell's Island, Hall 6.”

Pourquoi ces femmes étaient-elles traitées de la sorte? On lui a expliqué que quand on est à l´assistance publique on n´a pas à se plaindre.

Des méthodes musclées étaient utilisées pour contrôler toutes ces « folles » qui, en effet, dans leur grande majorité étaient coupables de ne pas être  des femmes conformes au modèle  « normal ».

 Entracte

La folie est construite socialement selon les époques et les injonctions morales et religieuses, suivant les normes sociales et les comportements institués : c´est ainsi que les diagnostiques sont délivrés d'après les paramètres de normalité psychique définis pour chaque le sexe. (Cunha,1989 :126)

La folie féminine est en fait une condamnation implacable pour toute désobéissance aux règlements, aux conduites pré-fixées, aux liens de la servitude, à la déraison imposée, l´insubordination d´un corps en « désordre » symbolique.

Camille Claudel (1864-1943) a vécu les 30 dernières années de sa vie, internée dans un asile par son propre frère. Diagnostique : manie de persécution, et  a-sociabilité. En fait, elle s´isolait d´une société qui refusait son talent et son génie, chose « hors nature pour une femme » selon l´expression d´Octave Mirabeau devant ses oeuvres. (Cunha,1989 :113) Elle avait refusé le modèle de la « vraie » femme et son châtiment s´ensuivit « naturellement » : emprisonnement à vie. Son frère, le très catholique et pieux Paul Claudel, resta sourd à toutes ses supplications pour être libérée.

Les diagnostiques des femmes internées à l´asile du Juquery, à São Paulo, Brésil,  confirment bien la construction de la folie sur des considérations sociales et/ou morales : désobéissance au père, célibat, indépendance, sexualité libre, intelligence excessive, surexcitation intellectuelle, désir de mener une carrière, orgueil démesuré, trop d´initiatives, (Cunha, 1989:125-129 et passim) : ce sont les raisons de l´internement des femmes dans cet asile d´aliénés au début du XXe siècle, même époque que Camille Claudel.[7]

Maria Clementina da Cunha souligne que pour un homme toutes ces caractéristiques seraient considérées positives(idem). Elle constate également qu´un grand nombre de femmes étaient internées par leurs proches (mari, père, fils, etc.) lorsque leur comportement était considéré nuisible aux intérêts des mâles de la famille.

Toute velléité de liberté, toute tentative d´échapper au destin biologique, aux tâches coutumières, à l´assujettissement, sont punies d´enfermement. Les hommes de la famille internent les femmes sous plusieurs prétextes, avec la complaisance des médecins qui  diagnostiquent leur folie, « au cas où ».  À l´époque classique, Foucault souligne que :

« Débauche, prodigalité, liaison inavouable, mariage honteux comptent parmi les motifs les plus nombreux de l'internement. Ce pouvoir de répression qui n'est ni tout à fait de la justice ni exactement de la religion[...] ne représente pas au fond l'arbitraire du despotisme, mais le caractère désormais rigoureux des exigences familiales. L'internement a été mis par la monarchie absolue à la discrétion de la famille bourgeoise ». (Foucault, 2001 : 125)

Hystériques, nerveuses, instables, certains épithètes accompagnent la vie de toute femme : corps perturbés par des hormones en ébullition, dont la seule accalmie se trouve dans l´enfantement. Entre norme et déraison les femmes sont identifiées par un sexe biologique, mais surtout social et ce jugement traverse les siècles. Selon Foucault, aux XVIIe et XVIIIe siècles,

« L'asile réduira les différences, réprimera les vices, effacera les irrégularités. Il dénoncera tout ce qui s'oppose aux vertus essentielles de la société: le célibat, «le nombre des filles tombées dans l'idiotisme est 7 fois plus grand que le nombre des femmes mariées[...] on peut donc présumer que le mariage pour les femmes est une sorte de préservatif contre les deux espèces d'aliénation les plus invétérées et le plus souvent incurables » (Foucault, 2001 : 612)

Extravagantes, elles seront punies d´ostracisme, des regards réprobateurs, parce qu´il n´y a que des monstres pour renier leur « nature » première. Ou bien alors, elles sont simplement vieilles, hors du marché du mariage, inutiles donc, on les écarte pour mieux les oublier. Que ce soit aujourd´hui dans les maisons de retraite ou les hôpitaux ou bien alors en 1690, comme Foucault l´indique :

« . [...] 20 «femmes caduques» à Saint-Paul; le quartier de la Madeleine contient 91 «vieilles femmes en enfance ou infirmes»; celui de Sainte-Geneviève 80 «vieilles femmes fileuses»,[...]; à Saint-Hilaire, on a mis 80 femmes en enfance, à Sainte-Catherine 69 «innocentes mal taillées et contrefaites» ; les folles sont réparties entre Sainte-Elizabeth, Sainte-Jeanne et les cachots, selon qu'elles ont seulement ‘ l'esprit faible’, que leur folie se manifeste par intervalles, ou que ce sont des folles violentes. Enfin, 22 ‘filles incorrigibles’ ont été mises, pour cette raison même, à la Correction  » (Foucualt, 2001 :113-114)

La déraison s´allie au péché et à l´immoralité pour designer une « nature » déréglée. Enfermées en tant que vieilles ( eh oui !) folles, brûlées comme sorcières, l´Occident trace un portrait des femmes qui s´incruste et réapparaît en tant qu´événement et pratiques discursives dans différents moments de l´histoire.

 Elles sont cloîtrées dans une représentation sociale dont les murs et les chaînes sont aussi épais que ceux d´une prison ou d´un asile.

 

Au cœur de Blackwell´s Island

                        

 

Une infirmière les intimide dès l´entrée :

« "Well, you don't need to expect any kindness here, for you won't get it," she said, and she went out and closed the door”

Après le bain froid, sans disposer de serviettes pour s´essuyer, les femmes sont conduites, encore toutes mouillées, jusqu´à des lits  cabossés qui rendaient le sommeil difficile, d´autant plus que les infirmières rentraient et sortaient à tout moment, claquaient les portes et parlaient très fort entre elles.

Au petit matin, Nellie fut poussée hors du lit et on lui donna des vêtements dépareillés, grotesques. Il y avait là 45 femmes qui pour se laver utilisaient la même eau et la même serviette et toutes devaient se peigner avec 6 peignes. Nellie note que plusieurs d´entre elle ont des problèmes de peau et des cheveux douteux : tout pouvait se transmettre dans cette économie de moyens. 

Un petit déjeuner immangeable suivait et quelques unes des patientes étaient alors prêtes pour les travaux journaliers de nettoyage, blanchissage et tout l´entretien de la maison.

Les autres restaient assises sur des bancs  sans rien faire, en silence. Une fois par semaine elles étaient emmenées pour une petite promenade et rencontraient de nombreuses femmes vêtues de haillons.

“We had not gone many paces when I saw, proceeding from every walk, long lines of women guarded by nurses. How many there were! Every way I looked I could see them in the queer dresses, comical straw hats and shawls, marching slowly around.”

D´autres  paraissent à Nellie comme sorties d´un cauchemar:

“They are considered the most violent on the island" […] They are from the Lodge, the first building with the high steps. Some were yelling, some were cursing, others were singing or praying or preaching, as the fancy struck them, and they made up the most miserable collection of humanity I had ever seen.[…] A long cable rope fastened to wide leather belts, and these belts locked around the waists of fifty-two women. […][…] Crippled, blind, old, young, homely, and pretty; one senseless mass of humanity. No fate could be worse.”

Environ 1.600 femmes étaient internées à Blackwell's Island. Maltraitées, affamées, méprisées, obligées de faire des travaux pénibles ou de subir de longues périodes d´immobilité et de silence, combien d´entre elles souffraient vraiment d´un problème psychique? se demandait Nellie Bly. Et la démence  justifierait-elle un tel traitement ? Combien d´entre elles ne sont pas devenues folles en de telles conditions ?

 D´autant que,

« What, excepting torture, would produce insanity quicker than this treatment? Here is a class of women sent to be cured. I would like the expert physicians who are condemning me for my action, which has proven their ability, to take a perfectly sane and healthy woman, shut her up and make her sit from 6 A. M. until 8 P.M. on straight-back benches, do not allow her to talk or move during these hours, give her no reading and let her know nothing of the world or its doings, give her bad food and harsh treatment, and see how long it will take to make her insane. Two months would make her a mental and physical wreck.”

À partir de cette vision, elle prit une décision :

“I would try by every means to make my mission of benefit to my suffering sisters”

La nourriture était infecte, souvent avariée, mais quand les patientes passaient près de l´endroit où l´on mijotait les repas pour les médecins et les infirmières, les odeurs alléchantes leur creusaient encore plus l´estomac malade et augmentaient leur détresse. La nuit, on entendait des cris, pas de folie, mais de révolte : « au secours ! assassins ! police ! »

Les vieilles, les handicapées, les laissées-pour-compte étaient bonnes pour l´asile puisque leur utilité de femme n´était plus assurée. Nellie Bly raconte cette scène vécue par une vieille femme, qui rappelle les analyses faites par Foucault,:

« She appeared easily seventy years old, and she was blind. Although the halls were freezing-cold, that old woman had no more clothing on than the rest of us, which I have described. When she was brought into the sitting-room and placed on the hard bench, she cried: "Oh, what are you doing with me? I am cold, so cold. Why can't I stay in bed or have a shawl?"

Elle avait des chaussures qui la blessaient et les infirmières la forçait à les porter, la forçait à être assise dans le froid, quand elle voulait s´allonger. La cruauté creusait des rictus sur les visages des « nurses » :

“At this I saw Miss Grupe sit down on her and run her cold hands over the old woman's face and down inside the neck of her dress. At the old woman's cries she laughed savagely, as did the other nurses, and repeated her cruel action. That day the old woman was carried away to another ward. “

 

Des femmes en détresse

Abusées par une violence domestique et sociale tant matérielle que symbolique, encombrées d´enfants, d´un travail répétitif, hantées par un futur sans issue, les femmes au foyer sont maintes fois internées dans des asiles lorsqu´elles font éclater leur colère refoulée, ou refusent la soumission et la dépendance.

 Celles qui travaillent et ont d´autres horizons ne sont pas moins épargnées des travaux et des responsabilités domestiques (double et triple charge de travail journalier). Toutes partagent les épithètes « folles », « hystériques » quand elles revendiquent la répartition du travail, le respect de leur corps et de leur intégrité. 

L´histérisation du corps des femmes se présente ainsi comme une manifestation palpable de la folie féminine, dans une certaine économie discursive, car leur « nature »  serait cause et locus du chaos. Le corps masculin, par contre, serait plus résistant à l´emprise de la folie.

Foucault commente les discours de la médicine du XVIIIe siècle sur l´hystérie, maladie féminine :

« Plus l'espace intérieur est aisément pénétrable, plus fréquente sera l'hystérie et multiples ses aspects; mais si le corps est ferme et résistant, si l'espace intérieur est dense, organisé et solidement hétérogène en ses différentes régions, les symptômes de l'hystérie sont rares et ses effets demeureront simples. N'est-ce pas cela justement qui sépare l'hystérie féminine de la masculine, ou, si l'on veut, l'hystérie de l'hypochondrie.[...] cette densité spatiale livre un de ses sens; c'est qu'elle est aussi densité morale; la résistance des organes à la pénétration désordonnée des esprits ne fait peut-être qu'une seule et même chose avec cette force de l'âme qui fait régner l'ordre dans les pensées et dans les désirs». (Foucualt, 2001 :364-365)

Nellie Bly recueille maints témoignages qui confirment ses soupçons : les femmes internées dans l´asile, mis à part un tout petit nombre, n´étaient pas du tout folles à l´époque de leur internement. Par la suite, peut-être le devirent-elles, étant donné les conditions de vie à l´asile.

Nellie rapporte quelques cas:

1. “A nice-looking German girl–quite young, she seemed, and when she came in all the patients spoke of her nice appearance and apparent sanity. Her name was Margaret. She told me she had been a cook, and was extremely neat. One day, after she had scrubbed the kitchen floor, the chambermaids came down and deliberately soiled it. Her temper was aroused and she began to quarrel with them; an officer was called and she was taken to an asylum.”

2.” "Why did you come here?" I asked her one day, after we had indulged in a long conversation. "I was sick," she replied. "Are you sick mentally?" I urged. "Oh, no; what gave you such an idea? I had been overworking myself, and I broke down. Having some family trouble, and being penniless and nowhere to go, I applied to the commissioners to be sent to the poorhouse until I would be able to go to work." […]Don't you know there are only insane women, or those supposed to be so, sent here?" I knew after I got here that the majority of these women were insane, but then I believed them when they told me this was the place they sent all the poor who applied for aid as I had done."

3.”A pretty young Hebrew woman spoke so little English I could not get her story except as told by the nurses. They said her name is Sarah Fishbaum, and that her husband put her in the asylum because she had a fondness for other men than himself”

Les traitements étaient confiés aux infirmières qui ne se privaient pas de  malmener les pauvres femmes : des coups, des bains glacés, des piétinements, privation d´eau, des doses élevées de médicaments qui rendaient les internées amorphes ou très agitées. Toute révolte était punie par un  transfert vers le pavillon des « dangereuses » ; c´est ainsi que témoignent deux des patientes contactées par Nellie :

1. « After breaking a window I was transferred to the Lodge, the worst place on the island. It is dreadfully dirty in there, and the stench is awful. In the summer the flies swarm the place. The food is worse than we get in other wards and we are given only tin plates. Instead of the bars being on the outside, as in this ward, they are on the inside. There are many quiet patients there who have been there for years, but the nurses keep them to do the work. Among other beating I got there, the nurses jumped on me once and broke two of my ribs”

2. “I made the acquaintance of Bridget McGuinness, who seems to be sane at the present time. She said she was sent to Retreat 4, and put on the "rope gang." "The beating I got there were something dreadful. I was pulled around by the hair, held under the water until I strangled, and I was choked and kicked.”

Nellie a essayé plusieurs fois de se plaindre aux médecins (16 pour 1600 patientes) mais ils ne l´écoutèrent même pas. Elle insista et leur demanda comment ils pouvaient faire un diagnostique s´ils se contentaient de dire « bonjour » et n´écoutaient aucune des femmes?  Nellie Bly affirme :

« I always made a point of telling the doctors I was sane and asking to be released, but the more I endeavored to assure them of my sanity the more they doubted it. “

Les mauvais traitements pouvaient entraîner la mort :

"While I was there a pretty young girl was brought in. She had been sick, and she fought against being put in that dirty place. One night the nurses took her and, after beating her, they held her naked in a cold bath, then they threw her on her bed. When morning came the girl was dead. The doctors said she died of convulsions, and that was all that was done about it. […]”

En fait, tout se passe comme si l´institution abritait la folie en elle-même! Une fois internée, toute femme en serait la proie. Ainsi, lorsqu´on est à Blackwell´s Island, on devient automatiquement folle.

Les mauvais traitements infligés aux personnes internées, qu´elles soient vieilles, folles ou folles parce que vieilles est chose courante, encore de nos jours. L´extrême limite, ce sont les camps de concentration, qu´ils soient nazis ou soviétiques (gulags) ; à partir de ce degré zéro de la méchanceté humaine, les asiles, les hospices, les prisons, les dictatures morales, religieuses, politiques, permettent toutes les possibilités d´abus, car dans ces institutions ce qui règne c´est l´exercice d´un pouvoir à outrance.

Après avoir partagé pendant dix jours les affres des femmes internées et donc, traitées comme insensées, un avocat vient chercher Nellie Bly sous prétexte que des amis voudraient s´occuper d´elle. Elle quitte ainsi Blackwell´s Island.

 Nellie a écrit un livre et plusieurs articles sur cette période, ce qui a entraîné l´installation d´une enquête judiciaire sur les procédés employés à Blackwell´s Island.

Cependant le vent soulevé par la nouvelle de l´enquête a soufflé les évidences des mauvais traitement et surtout les femmes que Nellie avait contactées (et nommées dans ses articles), avaient mystérieusement disparues. Les médecins, de leur côté, ont affirmé qu´ils n´étaient pas du tout au courant de ces pratiques. Mais le témoignage de Nellie a été décisif car elle  a brisé le silence qui niait la détresse des femmes « ensevelies » dans l´asile psychiatrique.

Suite à cette aventure de Nellie Bly, beaucoup de transformations eurent lieu à Blackwell´s Island. Mais une fois passés les bouleversements entraînés par les dénonciations et l´indignation de l´opinion publique, que sont devenues ces femmes, vouées à l´oubli ?

En tout cas, Nellie Bly n´a pas manqué son objectif premier: mettre en lumière la fabrication sociale de la folie et les affreuses conditions de vie imposées à celles qui se soustraient au modèle de la femme épouse-mère au foyer.

Le tour du monde

Nellie Bly fut la première personne  ( pas seulement la première femme ) connue à réaliser ce tour du monde en si peu de temps.

          

Le livre de Jules Verne « Le tour du monde en 80 jours », dont le personnage principal s´appelait Philéas Fogg, était paru en 1873. Toujours à la recherche des défis, Nellie Bly a proposé à l´éditeur de NY World un pari :elle ferait le tour du monde en moins de 80 jours !

 L´idée a fait son chemin pendant un an ; Nellie apprit alors que le journal allait envoyer un homme à sa place. Elle raconte ainsi son dialogue avec l´éditeur:

“It is impossible for you to do it," was the terrible verdict. "In the first place you are a woman and would need a protector, and even if it were possible for you to travel alone you would need to carry so much baggage that it would detain you in making rapid changes. Besides you speak nothing but English, so there is no use talking about it; no one but a man can do this." "Very well," I said angrily, "Start the man, and I'll start the same day for some other newspaper and beat him."

Elle avait déjà un renom certain en tant que journaliste. L´éditeur  la connaissait bien: son énergie, ses capacités, son obstination à mener jusqu´au bout les défis. Il  a donc préféré lui confier cette aventure plutôt que de la perdre pour qu´un concurrent en profite.

Il l´a convoquée et lui a annoncé que le début du voyage était prévu pour le surlendemain. Ce qui était en soi un défi pour tout préparer tout: documents, cartes, valise...

Nellie aimait raconter tous les détails : on l´accompagne quand elle se faire faire son fameux costume, avec lequel elle apparaît sur toutes les photos :

                     

Une petite valise á la main, quelques affaires de première nécessité et Nellie Bly est prête pour la conquête du monde. On peut sûrement apprendre avec elle à voyager « léger ».

“[…]I was able to pack two traveling caps, three veils, a pair of slippers, a complete outfit of toilet articles, ink-stand, pens, pencils, and copy-paper, pins, needles and thread, a dressing gown, a tennis blazer, a small flask and a drinking cup, several complete changes of underwear, a liberal supply of handkerchiefs and fresh ruchings and most bulky and uncompromising of all, a jar of cold cream to keep my face from chapping in the varied climates I should encounter.”

Elle reçoit un passeport spécial, numéro 27, signé par  James G. Blaine, Secrétaire d´Etat. Quant à l´argent, elle reçoit de son journal  £200 en or et des billets de la  Banque d´Angleterre. Elle nous met au courant des dispositions qu´elle a prises pour cacher son argent :

“The gold I carried in my pocket. The Bank of England notes were placed in a chamois-skin bag which I tied around my neck. Besides this I took some American gold and paper money to use at different ports as a test to see if American money was known outside of America.”

Cet argent lui permet de voyager confortablement,  toujours en première classe.

 

Nellie Bly était une journaliste accomplie, mais aussi une touriste avide de connaissance, tout l´intéresse : les paysages, les gens, les coutumes, la nourriture, les moyens de transport, les personnes qui la côtoient.

Elle a toujours eu des chevaliers servants ( même parfois trop encombrants)  et se lie d´amitié avec plusieurs de ses co-équipiers avec qui elle fait des excursions sur les terres touchées par son bateau.

Pour une jeune américaine qui n´avait jamais réalisé de grands périples, le tour du monde était non seulement un défi personnel et symbolique pour toutes les femmes, mais aussi l´occasion de tester son endurance, ses forces, de faire face à ses peurs, ses hésitations, les affres du mal de mer, ses angoisses devant les retards, les escales trop longues qui pourraient lui faire rater ses connexions.

Elle n´ était pas l´unique femme à voyager seule :

« One bright, clever, American-born girl was traveling alone to Germany, to her parents. […] I have rarely, if ever, met her equal. In German as well as English, she could ably discuss anything from fashions to politics. Her father and her uncle are men well-known in public affairs, and by this girl's conversation it was easy to see that she was a father's favorite child; she was so broad and brilliant and womanly. There was not one man on board who knew more about politics, art, literature or music, than this girl […].”

L´image des femmes ignares et timides se trouve bien ébranlée face à ces deux voyageuses!  

La législation de beaucoup de pays a pris comme prétexte les discours sur l´incapacité, la faiblesse mentale et physique des femmes pour les déchoir de leurs droits civiques. La mémoire sociale a enregistré cette représentation sur le fond des narratives historiques, où les femmes n´apparaissent même pas, reléguées aux rôles subalternes/ subordonnés.

Toutefois, l´histoire féministe montre que la création des images négatives du féminin ne servent qu´à servir de base au pouvoir du patriarcat : ce système  empêche les femmes d´agir et propage ensuite l´idée qu´elles sont incapables de toute initiative. Elles sont réduites à la domesticité et on attribue ce cloisonnement à leur « nature ».

 Tout se passe, dans l´ordre du discours patriarcal, comme si toutes les femmes faisaient partie d´un même groupe subordonné car inférieur : la femme ! C´est ici que  réside tout l´intérêt de maintenir cette dénomination au singulier.

« Les femmes », par contre, dans leur diversité, traversent  ce moule langagier / social sans s´y laisser prendre. Telles que ces femmes d´aventure.  Telles  que les femmes qui ont toujours travaillé dans tous les secteurs et ont été effacées dans les statistiques et dans l´ordre du discours scientifique /social.

La transversalité, c´est-à-dire, le genre traversé par les conditions raciales ou de classe fait exploser l´idée de ce groupe soi-disant homogène : « la femme », dont on présume l´infériorité « naturelle ».

Nellie, qui ne se laisse pas prendre au discours de la « femme fragile » fait un bilan de son parcours :

“On my tour I traversed the following waters: North River, New York Bay, Atlantic Ocean, English Channel, Adriatic Sea, Ionian Sea, Mediterranean Sea, Suez Canal, Gulf of Suez, Red Sea, Straits of Bab el Mandeb, Gulf of Aden, Arabian Sea, Indian Ocean, Straits of Malacca, China Sea, Pacific Ocean, San Francisco Bay.”

“I visited or passed through the following countries: England, France, Italy, Egypt, Japan, the United States, and the following British possessions: Aden, Arabia; Colombo, Isle of Ceylon; Penang, Prince of Wales Island; Singapore, Malay Peninsula; and the Island of Hong Kong.”

Minutieuse, elle brosse un  tableau pour bien illustrer son parcours :

 

Nov. 14–Leave New York by Augusta Victoria, 9.30 a.m.

Nov. 14–Left New York via Augusta Victoria.

" 21–Due Southampton. London by rail in three hours.

 

" 22–Leave Victoria Station, London, 8 p.m., on India Mail

" 22–2.30 a.m. Arrived Southhampton-London
" 22–10.00 a.m. Left London, Charring Cross Station

" 23–Calais, Paris and Turin

" 23–1.30 a.m. Left Calais

" 24–Brindisi at 10.14 p.m.

 

" 25–Leave Brindisi, steamship Cathay, 9 a.m.

" 25–1.30 a.m. Arrived Brindisi.
3.00 a.m. Left Brindisi, steamship Victoria

" 27–Ismallia.

" 27–3.30 p.m. Arrived Port Said.

 

" 28–11.00 a.m. Arrived Ismallia, 9.00 p.m. Suez.

Dec. 3–Aden.

Dec. 3–11.00 Arrived Aden.

" 10–Colombo (Ceylon).

" 8–11.00 a.m. Arrived Colombo (Ceylon).

" 16–Penang.

" 16–7.00 a.m. Arrived Penang.

" 18–Singapore.

" 18–5.00 a.m. Arrived Singapore.

" 25–Hong Kong.

" 25–7.00 a.m. Arrived Hong Kong.

" 28–Leave Hong Kong for Yokohama, Japan.

" 28–2.30 p.m. Left Hong Kong for Yokohama.

Jan. 7–Leave Yokohama, via Pacific Mail Steamship.

Jan. 7–10.55 a.m. Left Yokohama via Occidental and Oriental Steamship.

" 22–Due San Francisco.

" 21–8.00 a.m. Arrived San Francisco

 

" 23–7.05 a.m. Arrived Chicago.

" 27–Due New York.

" 25–3.51 p.m. Arrived New York.

Nov. 14 to Jan. 27–seventy-five days.

Nov. 14 to Jan. 25–Seventy-two days.

 

Miles

Hours Traveling

Hours Delayed

Hoboken to Southampton

3,041

184 50

50

To London

90

2 15

14 25 *

" Brindisi

1,450

53 30

1 30

" Port Said

930

62 30

3 30

" Aden

1,394

110

6

" Colombo

2,093

138

98 05

" Penang

1,278

89 55

7

" Singapore

381

39

11

" Hong Kong

1,437

111

127 20

" Yokohama

1,597

131 40

104 55

" San Francisco

4,525

333 05

 

" Chicago

2,573

71 05

2 55

" Jersey City

951

29 51

 
 

21,740

1356 41

377 30

Total time occupied in tour, 1,734 hours and 11 minutes, being 72 days, 6 hours and 11 minutes. 56 days 12 hours and 41 minutes in actual travel and lost by delay 15 days 17 hours and 30 minutes

Elle était enchantée de cette opportunité de connaître le monde ;  pour informer ses lecteures /eurs, elle fait le compte- rendu des plaisirs mais aussi des désagréments qu´un tel voyage peut créer. Elle raconte en détail ses déplacements en train et en bateau, commente la qualité de la nourriture, des installations, le traitement donné par les équipages aux passagers, selon la compagnie et la nationalité de l´embarcation.

De Londres elle est passée en France et a pris le train pour Amiens : elle veut rencontrer Jules Verne, l´auteur du « Tour du monde en 80 jours », instigateur involontaire de son périple,  qui avait exprimé le désir de la connaître. Il se sont rencontrés très rapidement parce qu´elle avait une connexion à prendre à Paris ; elle le trouve plaisant, ainsi que sa femme :

“He sat forward on the edge of his chair, his snow-white hair rather long and heavy, was standing up in artistic disorder; his full beard, rivaling his hair in snowiness, hid the lower part of his face and the brilliancy of his bright eyes that were overshadowed with heavy white brows, and the rapidity of his speech and the quick movements of his firm white hands all bespoke energy–life–with enthusiasm.”

Nellie décrit leur rencontre, leur demeure, mais leur conversation est très limitée par la méconnaissance des langues réciproques. Ce fut, toutefois, un moment de grande satisfaction pour Nellie. Elle a surtout été charmée par Mme Verne :

“She was the most charming figure in that group around the wood fire. Imagine a youthful face with a spotless complexion, crowned with the whitest hair, dressed in smooth, soft folds on the top of a dainty head that is most beautifully poised on a pair of plump shoulders. Add to this face pretty red lips, that opened disclose a row of lovely teeth, and large, bewitching black eyes, and you have but a faint picture of the beauty of Mme. Verne.”

Le temps pressait, Jules Verne lui a souhaité bonne route et bonne chance et Mme Verne a voulu l´embrasser. Nellie raconte avec naturel sa réaction:

“I gave her my hand and inclined my head, for I am taller than she, and she kissed me gently and affectionately on either check. Then she put up her pretty face for me to kiss. I stifled a strong inclination to kiss her on the lips, they were so sweet and red, and show her how we do it in America. My mischievousness often plays havoc with my dignity, but for once I was able to restrain myself, and kissed her softly after her own fashion.”

Au cours de son voyage, Nellie Bly rencontre beaucoup de monde, surtout pas mal de femmes, dont quelques unes voyageaient seules.

“The passengers formed two striking contrasts. There were some of the most fined and lovely people on board, and there were some of the most ill-bred and uncouth. Most of the women, whose acquaintance I formed, were very desirous of knowing all about American women, and frequently expressed their admiration for the free American woman, many going so far as to envy me, while admiring my unfettered happiness. Two clever Scotch women I met were traveling around the world, but are taking two years at it. One Irishwoman, with a laugh that rivaled her face in sweetness, was traveling alone to Australia.”

 Ceci confirme mon hypothèse que les femmes étaient loin de se courber au modèle domestique, malgré les obstacles qu´une législation misogyne pouvait créer. Cependant, un grand nombre de chercheures féministes se contentent de ce moule « universel » et ne cherchent pas à aller au-delà des narratives d´une histoire androcentrique, racontée toujours  sous forme binaire et hiérarchique.

Une recherche bibliographique rapide, livre des centaines de noms de femmes qui ont voyagé et produit de la connaissance en biologie, entomologie, archéologie, anthropologie, géographie, glaciologie, économie, à des moments différents de l´histoire humaine.

Ces femmes d´aventure ne sont pas exception à la règle de « la femme » subordonné et passive ; elles montrent que l´emprise de ce modèle n´était ni universelle ni aussi vigoureuse qu´on veut nous le faire croire. C´est d´ailleurs la raison pour laquelle le discours sur l´incompétence des femmes est sans cesse répété, pour mieux assurer sa prégnance.

Moins on en parle, mieux on parfait le mythe de la  « supériorité masculine ».  Plus on récite le binaire, mieux il se crée des fondations « naturelles ».

 Ces femmes, en des temps et espaces distincts ont laissé leur empreinte sur la science, elles ont sillonné le monde et retracé des chemins. Celles qui ont écrit  nous abreuvent de leurs récits ; on peut, d´ailleurs, facilement imaginer le nombre de  toutes celles dont on n´a pas de traces, car leurs marques et leurs expériences  ont été perdues dans la masse des représentations sociales d´un féminin abêtie qui les effacent. 

Nellie brosse des descriptions assez réalistes des arrêts dans les ports, dont  Port Saïd, qui se situe à l´entrée du Canal de Suez.

« Hardly had the anchor dropped that the ship was surrounded with a fleet of small boats, steered by half-clad Arabs, fighting, grabbing, pulling, yelling in their mad haste to be first. I never in my life saw such an exhibition of hungry greed for the few pence they expected to earn by taking the passengers ashore”

Elle est étonnée de se trouver devant une misère extrême, des mendiants qui exhibent leurs difformités pour inciter à la pitié.

Nellie Bly était très attentive au sort réservé aux femmes dans les nombreuses contrées qu´elle a traversées: c´est ainsi qu´elle rapporte l´existence d´un orchestre formé uniquement par des femmes à Port Saïd. Les femmes n´étaient donc pas enfermées comme on nous le faisait croire. Elle voit  également des femmes et des hommes le long du canal qui tiraient des chameaux chargés de pierres destinées à renforcer les bords du canal..

“While standing looking after a train of camels that had just come in loaded with firewood I saw some Egyptian women. They were small in stature and shapelessly clad in black. Over their faces, beginning just below the eyes, they wore black veils that fell almost to their knees”

Une fois arrivée à Aden, port de sortie du Canal de Suez, Nellie remarque tout de suite la beauté et la dignité des femmes, qui, même dans leur grande pauvreté se paraient de maintes bijouteries :

« A number of women I noticed, who walked proudly along, their brown, bare feet stepping lightly on the smooth road. They had long purple-black hair, which was always adorned with a long, stiff feather, dyed of brilliant red, green, purple, and like striking shades. […]   Many of the women, who seemed very poor indeed, were lavishly dressed in jewelry. They did not wear much else, it is true, but in a place as hot as Aden, jewelry must be as much as anyone would care to wear. […]On their bare, perfectly modeled arms were heavy bracelets, around the wrist and muscle, most times joined by chains”.

Il y a des choses qui l´intriguent, d´autres qui l´amusent ou l´émerveillent, tel ce petit garçon qui monte avec eux sur le bateau et au départ fait un dangereux plongeon à partir du pont, pour  apparaître ensuite tout content, au grand soulagement des passagers.

Arrivée finalement à Colombo, l´île lui paraît un paradis vert, après la chaleur que les passagers du Victoria ont endurée pendant la traversée du canal. Et les bijoux ! la beauté des pièces en argent l´étonnent ! Elle s´amuse aussi avec l´usage que font les cingalais de l´or américain : il le portent autour du cou sur une chaîne, une fois les belles pièces de 20 dollars trouées. 

À table, bonne fourchette, Nellie se régale avec le curry et les mets « hot ». Elle va au théâtre, découvre le transport urbain en rickshaw, regarde fascinée les enchanteurs de serpents et nous fait partager ses impressions et son plaisir. Quel beau pays ! En vrai touriste elle raconte les menus détails de son périple...même son effroyable mal de tête.

Pour continuer le voyage Nellie Bly prend un autre bateau, l´Oriental dont elle est enchantée, si on le compare au Victoria.  Il y a une escale à Penang, en Malaisie où elle visite temples, boutiques, observe les habitants et fait part de ses découvertes. 

Cependant, la chaleur, la monotonie du voyage la font languir au point de souhaiter une petite visite de pirates, ce qui était tout de même un peu inconséquent !

“It was sultry and foggy and so damp that everything rusted, even the keys in one's pockets, and the mirrors were so sweaty that they ceased to reflect. The second day out from Penang we passed beautiful green islands. There were many stories told about the straits being once infested with pirates, and I regretted to hear that they had ceased to exist, I so longed for some new experience”

Les choses qui nous sont connues de nos jours, étaient pour elle et ses lecteurs des nouveautés :

« The people here, as at other ports where I stopped, constantly chew betel nut, and when they laugh one would suppose they had been drinking blood. The betel nut stains their teeth and mouthfuls blood-red. Many of the natives also fancy tinting their finger-nails with it.”

À Singapour, elle est indignée quand un prête hindouiste lui interdit l´entrée du temple :

   “My comrades were told that removing their shoes would give them admission but I should be denied that privilege because I was a woman. "Why?" I demanded, curious to know why my sex in heathen lands should exclude me from a temple, as in America it confines me to the side entrances of hotels and other strange and incommodious things. "No, Señora, no mudder," the priest said with a positive shake of the head. "I'm not a mother!" I cried so indignantly that my companions burst into laughter, which I joined after a while, but my denials had no effect on the priest. He would not allow me to enter.”

Pourquoi d´ailleurs s´étonne-t-elle? Toutes les religions monothéistes discriminent les femmes et apparemment l´hindouisme aussi. Il existent des temples bouddhistes également qui ne permettent pas l´entrée des femmes !

Et voilà, elle qui a refusé toute proposition d´achat, (on lui a même offert d´acheter une fille)  ne peut retenir son envie d´avoir un petit singe, qui va l´accompagner pour le reste de son voyage :

“At the door of their home was a monkey. I did resist the temptation to buy a boy at Port Said and also smothered the desire to buy a Singalese girl at Colombo, but when I saw the monkey my will-power melted and I began straightway to bargain for it. I got it. »

Passés 39 jours depuis son départ de NY, Nellie arrive à Hong Kong, la Chine britannique. Elle se précipite aux bureaux de l´Oriental and Occidental Steamship Company, anxieuse de savoir quand elle pourra partir pour le Japon.  Elle eut alors l´immense surprise d´apprendre qu´une autre femme était en train de faire également le tour du monde et qu´elle travaillait aussi pour le même journal.

 Elle resta abasourdie car il n´avait jamais été question de cela. Mais en effet, ELIZABETH  BISLAND était partie de NY presque en même temps qu´elle pour faire le tour du monde. (http://digital.library.upenn.edu/women/bisland/stages/stages.html

Nellie laissa bien clair que la compétition ne l´intéressait pas :

 "I promised my editor that I would go around the world in seventy-five days, and if I accomplish that I shall be satisfied," I stiffly explained. I am not racing with anyone. I would not race. If someone else wants to do the trip in less time, that is their concern. If they take it upon themselves to race against me, it is their lookout that they succeed.”

  Mais en fait, Nellie est arrivée avant Elizabeth, et a été reçue comme une héroïne.

À Hong Kong sa renommée était arrivée bien avant elle et tout le monde voulait l´aider, l´héberger, l´inviter pour des  parties, ; elle a donc connu le train de vie des Anglais, les amusements, le théâtre, les courses de chevaux, très prisées. Ils lui ont fait visiter l´île et elle a eu l´occasion d´être confrontée à la pauvreté des Chinois :

“It is said that over 100,000 people live within a certain district in Hong Kong not exceeding one-half square mile, and they furthermore positively affirm, that sixteen hundred people live in the space of an acre. This is a sample of the manner in which the Chinese huddle together. They remind me of a crowd of ants on a lump of sugar”

Elle décrit ainsi les deux faces de la colonie anglaise, les coutumes, la nourriture, les marchandages, la langue utilisée, les paysages, tout pour abreuvoir les lecteures/eurs d´exotisme.

Au départ de Hong Kong son bateau s´arrête à Canton et les Chinois qui montent sur le bateau lui semblent très dépaysants :

« They were gambling, smoking opium, sleeping, cooking, eating, reading and talking, all huddled together on one deck, which was in one large room, not divided into cabins. They carry their own beds, a bit of matting, and their own food, little else than rice and tea.”

En se promenant, Nellie Bly voit sur son passage de larges taches rouges par terre et on lui explique que c´est à cause des exécutions, qui ont lieu presque tous les jours à cet endroit.

Les hommes étaient décapités et les femmes clouées sur des bois et ensuite découpées en petits morceaux. La coutume voulait que si un homme riche était condamné, il pouvait acheter un remplaçant pour mourir à sa place. Au tribunal, elle a trouvé des juges en train de jouer, de parier et de fumer de l´opium. On reste rêveur sur la justice chinoise....

Arrivée à Yokohama, au Japon, Nellie est enchantée par la propreté, l´excellence de la nourriture et des services. Pour la première fois elle fait des comparaisons et ses impressions sont implacables :

“The Japanese are the direct opposite to the Chinese. The Japanese are the cleanliest people on earth, the Chinese are the filthiest; the Japanese are always happy and cheerful, the Chinese are always grumpy and morose; the Japanese are the most graceful of people, the Chinese the most awkward; the Japanese have few vices, the Chinese have all the vices in the world; in short, the Japanese are the most delightful of people, the Chinese the most disagreeable”.

Après un spectacle, les danseuses sont venues la voir :

« After the dance the geisha girls made friends with me, examining, with surprised delight, my dress, my bracelets, my rings, my boots–to them the most wonderful and extraordinary things,–my hair, my gloves, indeed they missed very little, and they approved of all. They said I was very sweet, and urged me to come again, and in honor of the custom of my land–the Japanese never kiss–they pressed their soft, pouting lips to mine in parting.”

Le voyage de retour aux États-Unis n´a pas été de tout repos puisque marqué par un mauvais temps constant et des orages. Nellie craignait de ne jamais arriver à temps pour gagner son pari contre Philéas Fogg ! À la dernière minute, où est-elle passée cette attestation sanitaire qui permettait aux passagers de débarquer à San Francisco ? Nellie Bly crut défaillir ! On la retrouva parmi les documents de bord.

Finalement à terre, elle est reçue comme une héroïne :

“I only remember my trip across the continent as one maze of happy greetings, happy wishes, congratulating telegrams, fruit, flowers, loud cheers, wild hurrahs, rapid hand-shaking and a beautiful car filled with fragrant flowers attached to a swift engine that was tearing like mad through flower-dotted valley and over snow-tipped mountain, on–on–on! It was glorious! A ride worthy a queen. They say no man or woman in America ever received ovations like those given me during my flying trip across the continent.”

La traversée du continent s´est réalisée comme dans un rêve, des ovations, des discours, des fleurs, rien n´était assez bon pour la recevoir, pour saluer non pas seulement la femme, mais la première personne à faire le tour du monde en si peu de temps ! Nellie Bly achève ainsi son récit :

“The station was packed with thousands of people, and the moment I landed on the platform, one yell went up from them, and the cannons at the Battery and Fort Greene boomed out the news of my arrival. I took off my cap and wanted to yell with the crowd, not because I had gone around the world in seventy-two days, but because I was home again.”

Un timbre poste a été créé en son hommage.

Nous aussi, Nellie Bly, les féministes du temps présent, rendons hommage à ton parcours d´aventurière, à ton courage, ton humour, ta persévérance dans la lutte pour les droits des femmes, pour la transformation de la représentation sociale du féminin que ton action a permis d´effectuer. Tu ne seras pas oubliée !

  Elizabeth Cochrane, alias Nellie Bly, a vécu pleinement sa vie comme elle l´entendait. Mais une pneumonie l´emporta à l´âge de 57 ans.  

Notes bibliographiques:

Adler, Laura. 1979. À l´aube du féminisme, les premières journalistes, Paris :Payot.Backhouse,

Bonilha, Caroline O CORYMBO: UM JORNAL FEMININO NO RIO GRANDE DO SUL DO SÉCULO  XX   http://www.ufpel.edu.br/cic/2009/cd/pdf/CH/CH_00686.pdf

Cunha, Maria Clementina Pereira da.1989.Loucura, gênero feminino, Revista Brasileira de Historia, SP, v. 9.n.18.pp121-144

Foucault, Michel. 2001- Histoire de la folie à l’âge classique 1961 /1972 , Le Foucault élétronique, Folio Views

Novaes Coelho, Nelly, A Emancipação da Mulher e a Imprensa Feminina (séc. XIX – séc. XX) da USP – Universidade de São Paulo http://www.kplus.com.br/materia.asp?co=119&rv=Literatura consulté le 24 janvier 2012

Figueiredo Souto, Bárbara.  Feminismo Tipográfico: mulheres em luta na segunda metade do século XIX

http://www.snh2011.anpuh.org/resources/anais/14/1300453211_ARQUIVO_TextoparaAnpuh2011.pdf    consulté le 24 janvier 2012

Backbone,Frances. 2 000. Women of the Klondike, Toronto, Whitecup Books

Rouquier . Annie, 2008 « Anne Renoult, Andrée Viollis, Une femme journaliste », Genre & Histoire [En ligne] , n°2 | Printemps 2008 , mis en ligne le 13 juillet, Consulté le 23 janvier 2012. URL :

http://genrehistoire.revues.org/index302.html   consulté le 24 janvier 2012

Web . http://www.scholastic.com/browse/article.jsp?id=4961 consulté le 24 janvier 2012

Web1  http://www.google.com/search?q=Elizabeth+Cochrane+Seaman&btnG=Search+Patents&tbm=pts&tbo=1&hl=en    consulté le 24 janvier 2012

Web2      http://www.library.csi.cuny.edu/dept/history/lavender/386/nellie.html

consulté le 24 janvier 2012


 

[1] Entre autres, citons l´exemple d´Andrée Viollis (Rouquier, web) Julie-Victoire Daubié ( 18241874). Les femmes ont également  créé des journaux. En France (Adler, 1979), à titre d´exemple,  La Citoyenne (1881)  La voix des femmes, et La Fronde (1905), publication qui atteindra les 200 000 exemplaires.  Au Brésil ,  O Jornal das Senhoras, O Sexo Feminino , A Mulher, A Mensageira O Miosótis; O Jornal das MoçasA PalavraEscrínio e Corymbo.   Ce dernier fut publié de 1883 à 1944, au Rio Grande do Sul. ( Bonilha ; Novaes Coelho, Figueiredo Souto (web)

[2] Voir  Ulla Wikander, Alice Kesser-Harris et Jane Lewis. 1995.  Protecting Women : Labor Legislation in Europe, United States and Australia , University of Illinois, USA

[3]; Chantal Antier Les femmes espionnes dans la guerre (1914-1918) Editons Ouest France voir aussi http://rha.revues.org/index1963.html#tocfrom1n7 voir Edith Calwell, et tant d´autres, inconnues ou effacées de l´histoire des guerres où les femmes apparaissent le plus souvent en tant que prostituées, leur rôle habituel dans l´imaginaire masculin. Les femmes ont été nombreuses dans la Résistance en France à tel point que Geneviève de Gaule a crée l´ADIR- l´association des déportées résistantes pour aider les rescapées des camps de concentration.(voir Ida Grinspan, 2002. Je n´ai pas pleuré. Paris :Robert Laffont.p.123.

[5] Voir Evgenia S. Ginzburg..1997. Le vertige, Paris:Ed. Du Seuil 2 tomes.

[6] Les citations n´ont pas de numéro de page, car le livre consulté était on line, au  http://digital.library.upenn.edu/women/bly/madhouse/madhouse.html

[7]  La recherche de Maria  Clementina Pereira da Cunha dans les archives du  Juquery a eu comme résultat un. excelent livre: O espelho do mundo, Juquery, a história de um asilo, São Paulo :Paz e terra, 1986