Le sexe de l´art ou  L´art est sexué

. Ce qui n´a jamais été écrit est féminin. »

     Carole Martinez (393)

L´être humain est  historique. Et les relations sociétales également. L´histoire et l´histoire de l´art sont narrées selon l´historicité de leur mise en récit : les faits consignés dépendent de l´importance qu´on leur accorde, des réseaux de sens et de valeurs qui circulent au moment de leur récit.

Ce sont donc les conditions socioculturelles, politiques, imaginaires, qui fondent les représentations du monde  et assignent  des positons aux individus tout en  leur donnant des limites et des possibilités d´action. Les significations  ainsi s´entrelacent et deviennent des noyaux stables de vérités admises, qui permettent la diversité des relations sociales ou, au contraire, les cloisonnent dans des normes étriquées.

De ce fait, une scénographie de configurations imaginaires/ linguistiques définit les êtres dans des instances d´égalité ou bien de hiérarchie  qui détermine des identités, selon leurs  similitudes ou leurs « différences ».

 Or, on n´est « différent » que par rapport à quelque chose ou à quelqu´un.  Dans cette perspective, une communauté discursive  s´établit  pour fonder le « nous » et les autres, les différents. « Nous », ceux qui ont de l´importance, de l´autorité, un lieu de parole, un statut de sujet politique, de citoyenneté : dans les sociétés patriarcales, le « nous » c´est le masculin.  

« L´autre », celui par qui le désordre et  le chaos arrivent, doit donc être  approprié, contrôlé, subjugué, dominé, utilisé, anéanti, même effacé du souvenir. En conséquence,  les discours produits  sur la supériorité / infériorité  des sexes, des races,  étayent le « bien-fondé » des pratiques sociales d´exclusion. Car de cette  « différence » naissent  l´importance et le pouvoir du « réfèrent », celui du masculin. 

Les êtres ne sont donc nommés et perçus que par les contours qu´on leur attribue, puisqu´ils deviennent tels qu´on les définit dans une série binaire intarissable. L´individu n´est plus maître de son processus de subjectivation  parce que son être est déterminé d´avance par l´essence qu´on lui assigne. C´est ainsi que le corps devient la marque extérieure de l´identité sociale  pour  exprimer la différence.

 Qu´il s´agisse des juifs, des  indiens, des aborigènes, des noirs, des FEMMES, une différence « naturelle » est établie pour mieux justifier la domination: c´est le bio-pouvoir, la bio-politique en action, la colonisation des corps. Finalement, la naturalisation de la différence tente de cacher le fait que les relations sociales sont dotées d´une incontournable historicité. Etre « femme » alors, n´a rien d´une essence quelconque, mais c´est une figuration contingente et historique, qui apparaît lorsque la “différence” devient institution.

Outre la violence matérielle et symbolique, tous les moyens de persuasion sont bons pour constituer le groupe des « référents » et assujettir les « différents »: les lois, l´école, la tradition, la religion, la mémoire sociale, la philosophie, la production de la connaissance, les moyens de communication, la littérature, l´art et bien sûr, la force brute.

Le groupe défini par le sexe en tant que « femmes »,  spécifiées par un corps « autre », détermine par opposition  « l´homme », celui dont le sexe affirme la prédominance et la supériorité. Ainsi, c´est le masculin qui incarne  l´image de l´humain, celui qui est censé avoir  conçu ou réalisé toutes les oeuvres de l´humanité.

Donc, la « différence des sexes », une des variables de la dissemblance, devient l´axe du dualisme bio-social et de la hiérarchie qui s´y profile. Et la cartographie du social se plie à cette dichotomie, car il y a ceux dont on parle et celles qu´on oublie. C´est ainsi que dans l´histoire de l´art ou dans les narratives historiques, les femmes n´apparaissent que de façon marginale ou en tant qu´exception. Braidotti affirme que :

« Les positions ‘ être identiques à’  et  ‘être diffèrent de’ définissent  donc des relations asymétriques de pouvoir. ‘ Etre différent’  est devenu synonyme de ‘ valoir moins que’, la différence a ainsi acquis des connotations tant essentialistes que fatales, réduisant des catégories entières d´individus – marqués comme étant les autres- au statut de corps jetables : légèrement moins humains et, par conséquent, bien plus mortels. »[1] (Braidotti, 2009 : 75)

 La « différence des sexes » est trop souvent invoquée pour limiter la participation des femmes aux événements politiques, sociaux, sportifs, artistiques, scientifiques, pour les astreindre à leur corps, et surtout pour en limiter les capacités dans les faits ou dans la mémoire des événements.

Le masculin déloge ainsi le féminin de l´humain et de l´histoire de l´humanité à partir de sa « différence ». Car il y a l´humain et les femmes. Il y a l´Art –au  masculin et en majuscule - et l´art des femmes, activité secondaire et mineure, domestique au demeurant.

 Dans la trame des faits qui composent les narratives historiques,  nous pouvons dénombrer quatre moments :

a- l´événementiel, aléatoire et qui laisse des vestiges épars;

b- sa mise en discours sous des formes diverses (images, documents, rapports, etc) ;

 c-  la lecture/ sélection de ces derniers pour donner naissance à la mise en récit  interprétatif en tant que narrative proprement historique.

d- le quatrième mouvement compose une histoire dont le locus d´énonciation est exposé, ainsi   que ses conditions  de production et d´imagination; c´est-à-dire, une histoire qui ne cherche pas la vérité mais tente de décrypter le régime de vérité, les normes et valeurs que rendent possibles les énoncés à leur époque et localisation.

Le premier moment concerne l´explosion événementielle, le fortuit  où se produisent tous les faits humains : une inépuisable diversité,  une multitude de fragments impossibles à saisir dans leur totalité et la malléabilité de  leurs significations. C´est là où les êtres humains prennent leur visages et leurs contours, habités par les significations et les valeurs dont l´historicité en est la marque.

Et de ce fait, rien ne peut justifier des relations sociales toujours  binaires et hiérarchisées en tout temps et dans tous les espaces; il n´y a aucune raison plausible pour que les rôles sociaux soient toujours identiques, de façon a-temporelle. Surtout pour la narrative historique, dont le fondement est la temporalité.

C´est à ce niveau là qu´on peut trouver la fraîcheur du nouveau qui se départit du monotone récit du Même, du partage binaire, de la différence et de la reproduction comme l´axe des relations humaines.  

Mais la communauté discursive, le « nous » patriarcal commande la vision unique des inépuisables arrangements sociétaux à partir de  l´emprise du sexe et le l´hétérosexualité reproductive.  Les sens et les vérités qui circulent dans le présent sont déversés sur un passé obscur dont on a à peine soulevé le premier pan. 

Ainsi, dans le domaine de l´éducation, à tous ses niveaux, on ne voit apparaître que « l´homme » comme synonyme d´humanité et d´action. Toute signification est donc créée par et dirigée vers le masculin et les femmes, pour la mémoire sociale, n´auraient participé aux événements historiques que comme monnaie d´échange ou en tant que spectatrices.

C´est ainsi que l´action politico-sociale au féminin est obscurcie par l´ethnophalocentrisme de la narrative historique qui ne dévoile rien d´autre que les faits et les gestes des hommes.Cependant, il existe actuellement un mouvement de recherches historiques féministes qui montrent des personnages féminins exerçant des charges royales ou de hautes fonctions politico-administratives-religieuses et  artistiques jusqu´alors peu ou pas mentionnés.

L´Europe continentale, la Crète, Sparte, l´Asie centrale, le nord de l´Afrique, les pays arabes, l´Iran, l´Iraq, la Chine ont abrité des peuplades où les femmes exerçaient tous les métiers et toutes les fonctions. [2] Dans l´antiquité d´avant les grecs, on ne parle pas de femmes (à part les oeuvres très spécialisées) et dans les cursus universitaires ou des lycées, c´est à peine si on mentionne les formations sociales de ces époques reculées, qui pourtant, forment la plus grande  partie du cheminement humain.

Les faits humains, inépuisables et infiniment complexes sont la matière première qui laisse une pléthore de pistes, de traces, de monuments, de peintures et graphismes qui nous révèlent les mystères de mondes insoupçonnés.

 C´est là que se trouve le deuxième moment du « faire l´histoire », celui de la sélection des vestiges, des oeuvres, des registres  qui livrent un inventaire  aléatoire des événements, qui pointent vers d´autres systèmes de signification. Ainsi, si à une époque donnée les faits  sont consignés sous des formes diverses, ces registres seront triés pour composer une narrative sur ce moment historique : là, commence le troisième mouvement, celui  de l´interprétation.

C´est ce dernier qui compose les narratives historiques dont la caractéristique principale est la partialité et l´exclusion, malgré l´allégation de véracité dont elles s´affublent.  En effet, ce sont les représentations sociales et les valeurs du narrateur qui ordonneront cette mise en récit prétendument véritable. Ce sont ces mises en récit de l´humain, appelées « histoire » et tous leurs dérivés, dont l´histoire de l´art, qui composent la mémoire sociale et les «vraies »  représentations  des relations sociétales.  

Ainsi, sous l´emprise du patriarcat, lorsqu´on annonce « l´homme a découvert, l´homme a créé », on ne parle pas de l´humain, on parle des êtres au masculin, armés d´un penis, la seule marque de leur « supériorité ».

 C´est une prémisse qui flotte dans l´air : ainsi, par exemple, l´institution qui s´occupe de préserver les peintures pariétales de la Serra da Capivara, Piauí, Brésil, s´appelle-t-elle « Fondation de l´Homme américain » !

Images Serra da Capivara, Piauí, Brasil

                       

                     

     

                       

                            

Ces images sont les vestiges bruts de l´histoire du Brésil. Qui peut assurer que la réalisation des ces magnifiques dessins datés de milliers d´années est l´œuvre du masculin ? De quelle réalité parle-t-on, quelles relations émergent de ces représentations ? L´immense  majorité des peintures ne présente pas de marques sexuelles : le sexe ne serait-il pas important ?

Dans la narrative interprétative sur les images de la Serra da Capivara, Anne-Marie de Pessis, qui a travaillé aux fouilles de cet immense chantier, estime que :

« [...] il pourrait s´agir d´une société où la division sexuelle du travail serait faiblement établie et où la femme participerait à toutes les activités qui dans d´autres sociétés étaient réservées aux hommes.[...] et participeraient activement à la chasse et aux luttes armées, de la même manière que les hommes. »[3] (de Pessis, 2003 : 236)

Cependant, dans le même paragraphe, l´auteure se reprend pour affirmer l´impossibilité de cette interprétation car :

« Il existe des sociétés primitives où les formes d´organisation sont plus ou moins basées sur l´égalité des sexes, mais la domination institutionnelle rituelle de l´homme paraît être une constante dans la mise en scène sociale. Une constante qui, comme nous l´avons vu, possède des formes atavique d´origine biologique au tout début de la culture humaine ». (idem)

Et le voici le “naturel” du biologique qui prend le centre de l´explication, sans avoir besoin d´argumentation. Et qui  plus est, les « sociétés primitives” égalitaires qui  s´opposent à la hiérarchie patriarcale sont placées sous le sceau de l´infériorité.

C´est donc l´assujettissement de l´auteure aux discours patriarcaux qui ne peut pas admettre l´existence d´une société égalitaire, malgré l´évidence des images. Dans une société patriarcale, si on chasse le « naturel » de l´imaginaire social, il revient au galop. C´est ainsi que l´égalité « échoue » face à la différence.

À l´opposé de l´« atavisme » auquel l´auteure se réfère, les colonisateurs portugais s´étonnaient déjà à leur époque (XVI siècle) de la liberté et de l´activité féminine qui échappent aux plis discursifs des prémisses androcentriques dans tous les secteurs des sociétés indigènes aujourd´hui révolues. L´histoire du Brésil enseignée dans les écoles et les universités, ne mentionne pas ces témoignages. (3a)  

 Une autre perspective se profile avec Jeannine Davis Kimball, archéologue féministe qui a fait des recherches au Sud du Kazakhstan et de la Sibérie: elle y  a trouvé des offrandes mortuaires faites aux femmes qui révèlent une iconographie et une stylistique fort complexes dont les traits culturels ont survécu pour plus de 2.000 ans. Elle souligne que ces artefacts  indiquent un statut élevé pour les femmes en tant que prêtresses, guerrières et guerrières-prêtresses. [4] (Davis-Kimball, 2012 : web)

Les Sauromates ou Sarmates, [5] peuple nomade apparenté aux Scythes, ont habité les steppes russes du fleuve Don (Russie) à l'Oural, (chaîne de montagnes) et dans l'ouest du Kazakhstan du V au IV siècle BC, selon Davis-Kimball. Les femmes y avaient une place d´honneur, dans toutes les fonctions sociales, dont la gouvernance, la guerre, la chasse, et ce attesté par un grand nombre de tombes féminines du VI- IV siècles BC où se trouvaient des armes et des harnachements de chevaux. On n´est peut-être pas loin des Amazones d´Hérodote, pourtant reléguées au domaine du mythe, car ces activités sont considérées contraires à la « nature » des femmes.

Quel genre de relations sociales existait-il à cette époque ? Il est évident que les significations sociales de la dénomination «femmes » et « hommes » étaient forcément différentes des sens créés par le système patriarcal. On pourrait, à l´instar de Rosi Braidotti, les appeler « des figurations de l´humain ». 

                      

                (Davis-Kimball, 2012)

                       (Davis-Kimball, 2012)( peuples nomades

Hérodote raconte l´histoire de Tomyris (500 BCE), la reine guerrière des  Massagetae, tribu de l´Asie centrale  qui a livré bataille à Cyrus, le premier roi Achéménide de  Perse. Vainqueure, elle lui a fait couper la tête. Son nom n´est pas évoqué dans les livres d´histoire. Ainsi, si Hérodote est considéré le « père de l´histoire », lorsqu´il parle des femmes ses discours deviennent légendaires ou mythiques pour l´imaginaire patriarcal. Les récits d´Hérodote font partie des sources pour l´histoire, mais ils subissent la sélection implacable des historiens, selon leurs conditions de production du discours qui efface les femmes.

Il y a une pléthore de noms et de faits liés aux femmes, en des lieux et des époques diverses et pour n´en citer que quelques unes, on peut signaler  Hatshepsut, pharaon d´Egypte[6] (web),  Zenobia, reine de Palmyre ( Syrie) au III siècle, qui a conquis une partie de l´Asie Mineure et a défié les romains,  Arsinoe II – reine de Thrace et d´Egypte (315 AD), ou Boadicée reine des Celtes, Iceni, qui a lutté contre les romains en 60 AD : toutes ont été maintenues sous silence par la Grande Histoire, celle des hommes.

          Hatshepsut

        Tomysis

 

Zenobia

       Arsinos

 ¨

     Boudicca and Her Chariot

Pauvre Cléopâtre, de sa puissance royale, on ne nous fait connaître que des histoires sordides de passion et de meurtre ; lorsqu´on daigne mentionner les reines guerrières ou les prêtresses souveraines, on ne peut s´empêcher de parler des maris et des fils.

Dans l´épopée de Gilgamesh, premier texte connu de l´histoire, la prêtresse devient prostituée, sacrée au demeurant, mais prostituée : de là l´expression « la plus ancienne profession du monde », censée justifier la prostitution comme « travail ». Bref, elles sont toutes ramenées au sexe, au ventre, à une spécificité « féminine », pour mieux les déloger du pouvoir. Parmi les Celtes, les Germains, les « barbares », les femmes avaient un statut social honorable et actif : seraient-elles la raison pour laquelle on appelle ces peuples « barbares » ?

Le silence des historiens est systématique lorsque les sources se référent aux actes et aux oeuvres des femmes.

La présence des femmes, tant sur la scène artistique que dans le politique, abonde en vestiges discursifs et imagétiques quand ils n´ont pas été détruits exprès, telle l´œuvre poétique de Sapho dont il ne nous reste que quelques vers tronqués.

Il est clair que le premier moment historique, celui des événements, est perdu pour toujours. Mais dans ses vestiges on peut cartographier l´humain sous des aspects que l´histoire a passé sous silence et occulté à la mémoire sociale

 Tout se passe comme si le discours interprétatif  était  le miroir des faits pour la mémoire sociale, bien qu´ élaguée des conditions de sa production et de son historicité. En conséquence, l´histoire racontée au masculin apparaît comme la description « véritable » des relations sociétales pour lesquelles les femmes ne contribueraient qu´avec le produit de leurs ventres. Ce sont les féministes qui ont commencé à révéler la présence active des femmes, sujets politiques à toutes les époques,  renvoyées par l´histoire officielle à la reproduction et à un sexe utilitaire. [7]

Il n´est pas suffisant, toutefois, d´insérer les femmes dans l´histoire masculine.

Les historiennes féministes, de ce fait, inaugurent un  autre moment – le quatrième - pour la recherche et l´écriture de l´histoire : le décryptage  des possibilités sociales ensevelies par les trois autres. C´est l´occasion de la découverte d´une humanité qui n´a pas été régie par les organes génitaux, par la sexualité, par les formes du corps, de la couleur de la peau : c´est une autre mise en récit à partir d´un regard féministe sur les documents historiques et leur historiographie biaisée par le sexe. C´est la découverte de visages nouveaux qui ont peuplé le cheminement humain, maintenus invisibles à la recherche, par les moules interprétatifs du patriarcat.

Ainsi, la dissolution des narratives historiques masculines, universalistes et binaires, contribue-t-elle à la construction d´une nouvelle mémoire sociale, d´un nouveau sujet féminin, politique, philosophique, artistique, qui n´est plus « l´autre » ni « différent » mais qui se profile en dehors, dans un espace de mouvance et de créativité. En fait, pour les féminismes, le corps des femmes n´est plus une prison identitaire mais une superficie de transformations de la pensée et de l´appréhension du monde, hors du binaire sexué. Lorsqu´on refuse la « nature » des êtres, on leur confère une plasticité « impossible » dans les conditions d´imagination patriarcales.

 Ce quatrième mouvement représente une recherche dont l´hypothèse est la diversité des relations humaines et qui se départit des stéréotypes et des prémisses androcentriques et binaires. De la sorte, une histoire non androcentrique nous montre les possibilités d´un monde autre. Pour cela, il faut dépasser le stade du « genre », que compose la paire sexe /genre, encore binaire, encore universaliste, encore basée sur le biologique « relationnel ».

L´affirmation de Judith Butler qu´il n´y a pas de genre hors des pratiques de genre, trouve ici toute sa pertinence. C´est pour cette raison que je préfère utiliser la notion de « sexe social »[8] à la place de « genre », car cette idée invoque l´historicité des relations humaines. « On ne naît pas femme, on le devient » a dit Simone de Beauvoir, et on ne pourrait pas mieux décrire le sexe social.

C´est ce qu´elle fait, l´historienne féministe : elle arrache les tchadors, les crêpes et les voilettes  qui ont couvert les femmes dans l´exercice de leurs métiers, des arts, des événements et des relations sociétales plurielles. Car ce que l´histoire ne dit pas, n´a jamais existé ! Les féministes sont donc les hérauts d´une nouvelle mémoire sociale qui ouvre aux filles le présent et leur donne un passé où elles peuvent trouver des modèles d´action.

 Et c´est ainsi que les femmes et leurs oeuvres, que ce soit dans le domaine de la production, de l´art, de l´économie ou de la gouvernance, réapparaissent dans les ouvrages historiques féministes,

L´histoire de l´art

 L´histoire de l´art souffre des mêmes handicaps en ce qui concerne  la sélection et l´interprétation des vestiges et des documents pour la mise en récit. C´est  un domaine de multiples significations et abordages : depuis l´art pariétal jusqu´à nos jours, de quoi parle-t-on lorsqu´on parle d´art ? [9]  Les discours des musées sont très éloquents :  qu´est-ce qui ordonne les choix des conservateurs, que considère-t-on digne d´être préservé. Car il y a « l ´Art » et la production artistique des femmes. Et pourtant, les registres sont nombreux, il suffit de les faire apparaître dans les récits historiques.

Pline l'Ancien ( I siècle DC) consacre quelques lignes sur les femmes et l´art dans le livre XXXV de son Histoire Naturelle (paragraphe XL) : il mentionne Timarète, auteure de Diane qui se trouve à Éphèse, et qui selon lui, appartient aux plus anciens monuments de la peinture ; il cite encore Irène, Aristarète et Lala de Cyzique dont il chante les louanges pour ses travaux tant au pinceau que sur l´ivoire au poinçon. Il s´exprimait ainsi :

« [...] elle fit surtout des portraits de femme : on a d'elle, à Naples, une vieille dans un grand tableau ; elle fit aussi son propre portrait au miroir. Personne en peinture n'eut la main plus prompte, avec tant d'habileté toutefois, que ses ouvrages se vendaient beaucoup plus cher que ceux des deux plus habiles peintres de portraits de son temps, Sopolis et Dionysius, dont les tableaux remplissent les galeries. » [10](web)

Outre le fait de peindre, les femmes étaient également maîtres en enseignement des techniques, telle Olympias dont on ne sait pas grand chose, avouait-il. [11]

En littérature et en philosophie les femmes étaient nombreuses mais comme le souligne Lucia Gaiardo « [...]de tous ces écrits féminins il ne nous  est pour ainsi dire, rien resté si ce n´est quelques allusions dans les écrits masculins. » (web)[12] C´est ainsi que Pamphylia, qui a écrit 33 volumes sur l´histoire de la Grèce a vu son nom effacé de l´histoire ; ou bien Hypatie, mathématicienne et philosophe, qui a vécu de 371 à 415, professeure de philosophie au Musée d´Alexandrie, très fameuse à son époque, dont l´œuvre a disparue. (Gaiardo :114 web)


Peinture trouvée à Herculanum et conservée actuellement au musée national de Naples : une femme tenant un pinceau.

Que peut-on dire des immenses lapses de temps qui couvrent toute l´histoire de l´humanité d´avant les Grecs, ces derniers représentant pour l´histoire le début de la « civilisation » ?

Si on fait un grand saut depuis la haute antiquité jusqu´aux longues périodes couvertes par le Moyen Âge, on s´aperçoit de l´énorme éventail des métiers exercés par les femmes.

Régine Pernoud en donne une longue liste puisée dans des archives  qui couvrent environ 150 métiers exercés par les femmes, recoupant toutes sortes d´activités professionnelles : le commerce, la coutellerie, la maroquinerie, la boucherie, la ferronnerie, la forge, la médecine, la boulange, tous les métiers du textile, tavernières, hôtelières, présentes donc dans le petit et le grand commerce. (Pernoud, 1980) [13] C´est en fait à la fin du Moyen Âge que les femmes sont exclues de certains métiers. (Gaiardo :116, web)

 Miniaturistes, copistes, suzeraines, reines, héritières, les femmes jouissent jusqu´au XV siècle d´une « capacité juridique » qu´elles commencent à perdre au profit des époux au XVI siècle. [14] (web)

                        

                

                                                                      

           

 

Les tapisseries qui  embellissaient les châteaux, les enluminures qui ont illustré les livres, ont aussi été l´œuvre des femmes. Agnès Van den Bossche et Clara de Keysere, par exemple,  peintres et miniaturistes du Moyen Âge tardif à Gand «[...] étaient d´ailleurs renommées en leur temps et leur talent était bien reconnu, même si leur oeuvre est aujourd´hui pratiquement disparue. » (Hemptinne, 1999, web) [15]

 L´art de l´enluminure fut pratiqué par les femmes pendant des siècles, ce que témoignent les signatures  (colophons) toujours lisibles sur leurs oeuvres. Sans compter celles qui sont anonymes, dont le crédit revient « naturellement » aux hommes.

·         Nous trouvons la première enluminure qui porte un nom de femme, dans un manuscrit espagnol de l'Apocalypse, en 970 :"Ende pintrix et Dei Aiutrix et Frater Emeterius Prêtre".[16](web)                                                                                                                                                                     

17]      [18]

[19]

Dans les faits donc, il y a eu des femmes artistes peintres, leurs oeuvres en sont les traces et les vestiges. Mais la mise en récit de l´histoire de l´art les oublie dans les caves de la mémoire et les dépôts des musées.

 À partir du XV siècle, des recherches ont mis en lumière un grand nombre de femmes artistes et peintres. Elles avaient des commandes en quantité, pouvaient vivre de leur travail comme par exemple Mary Beale ou Sofonisba Anguissola, Rosalba Carriera, Lavinia Fontana, dont la réputation traversait les frontières. D´autres exemples, ci-dessous, à titre simplement indicatif. [20]

1531 Sofonisba Anguissola

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Mary Beale 1633-1699, Angleterre

Caterina de Hemessen, Anvers 1527-28 - env. 1581-87

..

 1648 – 1711 Élisabeth-Sophie Chéron,.écrivaine, traductrice, musicisteux

7

Barbara Longhi Ravenne 1552 - 1638

Clara Peeters 1594  . 1657

Rosalba Carriera naît le 7 octobre 1675 à Venise.

Bologne 1638 – 1665 Elisabetta Sirani

Lavinia Fontana 1552-1614

Artemisia Gentileschi - 1593 - 1652   née à Rome

L´incapacité attribuée aux femmes de réaliser de grandes oeuvres est due, sans nul doute, à l´imposition de normes qui les empêchaient de  s´épanouir en utilisant leurs aptitudes, tout en limitant leur possibilités d´action. Les femmes artistes, connues et respectées à leurs différentes époques, perdent leur place et leur historicité dans les narratives masculines qui créent pour les hommes des domaines réservés.

Les narratives historiques sont perverses car elles donnent un poids de vérité à cette confrérie masculine qui ne cesse de vouloir effacer la moitié de l´humanité de ses discours, dont l´histoire de l´art. La fiction de  la « nature » monte une scénographie où seuls les hommes évoluent, kabuki insensé où le travestissement ne peut cacher leur désir de vivre entre eux, d´effacer les traces des femmes pour mieux les assujettir dans l´imaginaire et dans la mémoire sociale. Ou plutôt, pour mieux valoriser un masculin qui en soi n´a nullement l´importance qui lui est attribuée.

Les innombrables faits insaisissables sont la matière de l´histoire, les vestiges en font témoignage, mais leur mise en récit  les ordonnent selon un principe idéologique, narcissique, selon une volonté de pouvoir qui érige en domination la faiblesse de son apparat, le patriarcat.

L´histoire tue les femmes symboliquement et les condamne aux limites d´ un corps reproducteur pour mieux éviter que leur éclat n´offusque la platitude des éternelles guerres, disputes et violences masculines.

 L´art, la philosophie et l´histoire, déversent la haine et la peur des femmes dans leurs envolées misogynes, qui cachent à peine le désir d´anéantissement de « l´autre », pour mieux renforcer le « nous » de la classe des hommes.

La différence des sexes n´est donc que la matérialisation de la violence du clivage binaire du monde, sous les traits d´une « nature » qui ne réussit pas à dissimuler les griffes du patriarcat. L´histoire est le héraut du masculin, creuset d´une violence matérielle et symbolique qui construit les femmes en superficie corporelle, effaçant ainsi leur présence et leur action politico-sociale, dont l´art n´est qu´une de ces expressions.

L´histoire a créé un imaginaire social si bien accepté et largement répandu, que nous sommes encore obligées d´argumenter, d´expliquer, de montrer que le récit ne correspond pas aux événements. Femmes et hommes sont des figurations du social, mais du fait de leur historicité, leurs significations auraient pu être tout aurtes, là où le sexe ne serait pas roi, là où le binaire laisserait la place au multiple.

Suis-je une féministe radicale ? Sans doute. Radicale dans le sens où je cherche les racines, à faire l´archéologie de la construction et de l´assujettissement des femmes, mais aussi radicale pour briser, rompre  les codes patriarcaux des représentations sociétales et leur matérialité perverse.

 Il en est plus que temps.


  Références

[1] Rosi Braidotti,2009. La philosophie là où  on ne l´attend pas ,Paris: Larousse, pg 75

[2] où se trouvent aujourd´hui l´Egypte,  la  Jordanie, la Turquie, l´Arabie, l´ Ethiopie , Israël, la Syrie, la Chine, Carthage, le Soudan, la Libye,  la Mésopotamie ( Iran, Iraq),  la Chine, les steppes de l´Asie centrale. Des contrées où aujourd´hui l´oppression des femmes est notoire.

[3] Anne Marie de Pessis. Images de la pré-histoire, Fundham / Petrobrás, 2003. pg 236

(3a)http://www.tanianavarroswain.com.br/brasil/constru%E7ao%20imaginaria.htm

[4]  Jeannine Davis-Kimball, Among Our Earliest Amazons Eurasian Priestesses and Warrior-Women   labrys, études féministes/ estudos feministas , juillet/décembre 2012  - julho /dezembro 2012  www.labrys.net.br

[6] Hatshepsut ruled Egypt not only as queen and wife of the pharaoh, but as pharaoh herself, adopting the insignia, including beard, and performing the pharaoh's ceremonial race at the Sed festival [see "Athletic Skill" in Hatshepsut Profile].

Hatshepsut ruled for about two decades in the first half of the 15th century B.C. She was a daughter of 18th-dynasty king Thutmose

[7] Texto meu

[8] Comme l´ont fait les féministes françaises dans les années 1980

[10] Voir également l les noms et biographies d´autres reines de l´antiquité dans le même site :  http://www.mediterranees.net/geographie/pline/livre35.html

[13] Régine Pernoud, 1980, Paris: Stock,  chapitre VII

[19] Hildegarde de Bingen, Vision du Cosmos, Scivias. 12e siècle

http://www.tumblr.com/tagged/hildegard-von-bingen?before=1329002338