Les gouines rouges[1]: la terreur du patriarcat
«Il existe l´histoire, ensuite la vraie histoire et puis l´histoire telle qu´elle fut racontée. Et puis ce qui resta hors de l´histoire. Ce qui fait aussi partie de l´histoire. » (Margaret Atwood,) « Les gouines rouges. Le glorieux groupe d´amantes qui vivent en Gaule et qui ont découvert la poudre dite d´escampette se sont appelées « les gouines rouges » par pure modestie. Les porteuses de fables disent qu [´elles ont pris l´habitude de se peindre la figure et les mains en rouge » (Monique Wittig)
ce que l´histoire ne dit pas, n´a jamais existé La narrative historique dépend des choix de l´historien, de ses conditions d´imagination, de l´intérêt social d´explorer certaines thématiques. En fait, ce ne sont que des événements pincés ici et là qui composent un récit historique doté d´une certaine cohérence. Le célèbre historien Georges Duby (1989) était catégorique: pour lui, la tapisserie de l´histoire n´avait de réel que les clous qui l´attachait au mur. Si l´histoire patriarcale oublia, effaça, nia les femmes et leur importance dans le social, que dire des relations entre les femmes, qui refusent la domination, la prégnance du masculin ? La possibilité même de l´existence des femmes entre elles, tel le cas des Amazones fut renvoyée au domaine de la fantaisie, de l´impensable. Mais les traces sont là, pour qui veut les trouver. On est à Babylone. Elles étaient appelées Salzikrum[2] dans le Code d´Hamurabi (1770 BC), des femmes qui jouissaient de tous les droits dont celui d´avoir plusieurs compagnes. C´est un statut qui reproduit sûrement celui des prêtresses à Sumer, les plus hautes autorités dans la cité de Uruk. [3] On est au Brésil, XVIe siècle. Selon les chroniqueurs de l´époque, les indiennes de plusieurs tribus, décidaient librement de leurs rôles sociaux et sexuels. L´homosexualité faisait d´ailleurs partie intégrante des mœurs des tribus, sans aucune espèce d´exclusion. « Elles abandonnent le monde des femmes et restent avec les hommes dans toutes leurs activités, comme si elles n'étaient pas des femmes. Elles se font couper les cheveux comme les mâles et font la guerre armées d'arc et de flèches, et vont à la chasse, toujours dans la compagnie des hommes, et chacune d'elles a une femme pour la servir et elles disent qu'elles sont ainsi mariées et ont des relations intimes comme mari et femme." (Gandavo. 1964: 56-57) L´iconographie de l´Inde ancienne[4], expose des mœurs sexuelles dont la présence des relations entre femmes n´est pas la moindre. Les Amazones des narratives grecques furent renvoyées au creux des mythes puisqu´elles refusaient l´hétérosexualité obligatoire; au Brésil l´existence des Amazones [5] rejetant le masculin de leur milieu fut largement rapportée par les colonisateurs du XVIe siècle; ces narratives furent cependant refusées par les historiens pour la même raison. Impossible, l'existence des Amazones? Impossible pourquoi et quand? La démarche prônée par Foucault, (1971: 53) du renversement des évidences, trouve son pendant dans le renversement des impossibilités. L´histoire crée son objet et contrôle la production de ses discours autour du mâle et de ses faits. « [...] chaque discipline[...] reconnaît des propositions vraies et fausses ; mais elle repousse, de l´autre côté de ses marges, toute une tératologie du savoir. » (Foucault, 1971 :35) Les femmes et les relations entre elles appartiennent à l´immense zone d´exclusion de ses narratives. On se doit donc d’ausculter les silences de l’histoire: le possible et l’impossible se retrouvent ainsi redessinés dans le grand canevas de l’histoire que l’on connaît et à laquelle on se doit de croire. L´impromptu se révèle: les dessins rupestres trouvés par Niède Guidon (Navarro Swain, 2011-2012 ) au nord-est du Brésil (Piaui), vieux de milliers d´années offrent, entre autres, l´image toute en délicatesse d´un baiser entre femmes. Mais je ne cherche pas les origines, car les relations humaines sont toutes sur le terrain de l´imprévisible. De l´impossible pour les visées patriarcales. D´ailleurs, la malédiction d´Eve, qui cherchait Lilith, fut celle de ne rencontrer qu´Adam. Parler de Sappho comme une exception n´est qu´une manœuvre pour ancrer l´hétérosexualité en tant que naturelle.Tout se passe comme si le récit de l´histoire fut le reflet réel du vrai dans les relations humaines. Ce récit, cependant, est le fruit des choix des historiens et des conditions d´imagination de leur époque. En effet, le vrai des relations sociétales est dans le possible qui recouvre 40 mille années du passé humain. L´hétéro-normativité basée sur la « nature » n´est qu´une création patriarcale qui définit des rôles à partir du sexe et de la procréation, selon la volonté de pouvoir masculine. La tâche patriarcale fut et est encore donc d´effacer toute échappée possible à la norme du « naturel », créée de toutes pièces par les narratives religieuses, historiques, psychologiques. Faute de pouvoir les éliminer complètement, elles furent rayées de l´imaginaire et des représentations « normales » de l´humain: les amours entre femmes sont remises au ban du social et des narratives historiques, anthropologiques,. Le danger qu´elles représentent pour la dominance hétérosexuelle devient l´innommable, l´impossible, l´inexistant. Toutefois, lorsqu´on ne pouvait pas nier leur présence, leurs relations étaient considérées comme fautes mineures, méprisables au demeurant, puisque il n´y avait pas la concurrence d´un pénis. Les documents de l´Inquisition au Brésil au XVIe, dévoilés par Lygia Bellini (2014), montrent plusieurs cas de lesbianisme, de femmes qui ne cachaient pas leurs relations, au contraire. L´historienne révèle que ces cas jugés par les inquisiteurs, n´ont pas eu de suite, car en fait, ils furent considérés sans importance. D´ailleurs, il n´y avait pas une dénomination pour les amours entre femmes: elles étaient placées dans le cadre de la « sodomie » mais sans la charge « néfaste » de la relation entre hommes, punie lourdement par les lois. Tellement insignifiantes, les amours entre femmes n´étaient pas prises en considération en tant que crime ou faute majeure. Sous cette perspective toutefois, se cachait la peur de l´éveil de l´imaginaire féminin qui pouvait apercevoir un autre chemin que l´incontournable relation hétérosexuelle. Il valait mieux, alors, ne pas trop le divulguer. Cependant, les discours fusèrent sur le danger du clitoris, sur les tribades [6] qui s´évertuaient à engager les jeunes filles sur les chemins tortueux du vice et du libertinage. Marie Jo-Bonnet explique que le discours sur la pathologie clitoridienne avait déjà été formulé dans ses lignes de force aux XVIIe et au XVIIIe siècles. (Bonnet,1981 : 171-186). Couper le mal à la racine: l´excision ou la cautérisation du clitoris était conseillées, puisque il fut coupable de produire le lesbianisme, la folie, l´hystérisme, l´épilepsie, la catalepsie, etc. ( Bonnet, 1981 :175). Le XIXe siècle appliqua cette méthode comme moyen soi-disant, d´enrayer les maladies nerveuses. (idem, 175-177) On est au début du XXe siècle lorsque le tout-Paris connaissait un engouement pour Nathalie Barney, Djuna Barnes, Colette, Gertrude Stein, chantres des amours entre femmes. Dans le domaine de l´imaginaire, les garçonnes changèrent la représentation des femmes, des lesbiennes et animèrent la vie sociale du début du siècle. De la douloureuse narrative de Radcliff Hall aux allègres et libidineuses rencontres des jeunes filles, au Brésil de Cassandra Rios [7], la littérature a discouru sur la rencontre amoureuse entre femmes. Renée Vivien, Adrienne Rich, Elisabeth Bishop (compagne de la brésilienne Lota Macedo Soares), bardes des amours lesbiennes transformèrent les sillons en chemins hors de l´ombre, ouverts à la parole. Dans ce sens, Virginia Wolff fut un phare (sans jeux de mots). Pour ne parler que des plus connues. Simone de Beauvoir (1949/1978) eut, cependant son mot à dire sur le lesbianisme, dans un discours essentialiste, binariste, à rebrousse poil de son œuvre féministe. Si elle reconnaît la construction sociale du féminin (idem: 487) elle voit dans les penchants des adolescentes pour l´amour lesbien [...] une étape, un apprentissage, et celle qui s´y livre avec le plus d´ardeur peut être demain sera la plus ardente des épouses. Des amantes, des mères ». (idem: 486) Mais il y a des cas où « [...] laide, mal bâtie ou croyant l´être, la femme refuse un destin féminin pour lequelle ne se sent pas douée ; [...] » (idem: 489). Ainsi, « De même que la femme frigide souhaite le plaisir tout en le refusant, la lesbienne voudrait souvent être une femme normale et complète, tout en ne le voulant pas. » (idem: 492) [...] et la femme, sous prétexte de se soustraire à l´oppression du mâle se fait l´esclave de son personnage ; elle n´a pas voulu s´enfermer dans la situation de femme elle s´emprisonne dans celle de lesbienne. Rien ne donne une pire impression d´étroitesse d´esprit et de mutilation que ces clans de femmes affranchies. » (idem: 509-510) Opinion décevante de la part de Simone de Beauvoir, qui a débroussaillé les enchevêtrement des représentations sociales du féminin, devenant ainsi une influence majeure du féminisme contemporain.
Guerrillères ? Lesbiennes ? Gouines ? Goudous ? « Désert. Autre fois terre aride, étendue de sable. Actuellement, tout endroit qui n´est pas habité par des lesbiennes. D´où l´expression, ‘ aller dans le désert’. » (Wittig, 1976 :76) Monique Wittig reprend le flambeau. Sa prose relève de l´aventure, de l´invention, de la glissade vers d´autres horizons. Lire Wittig remplit tous les creux laissés par les bosses patriarcales. Dans sa prose inventive et enchanteresse, elle nous parle des Guerrillères qui ont créé le Féminaire, qui ont chéri et chanté leur corps, leurs poils, leurs clitoris, leurs vulves et ont identifié et battu l´ennemi: > « Elles disent: ils t´ont tenu à distance, ils t´on maintenue, ils t´ont érigée, constituée dans une différence essentielle. Elles disent : ils t´ont, telle quelle, adorée à l´égal d´une déesse, ou bien ils t´ont reléguée à leur service dans leurs arrière-cours. Elles disent: ce faisant, ils t´ont toujours dans leurs discours traînée dans la boue. Elles disent: ils t´ont dans leurs discours possédée, violée, prise soumise humiliée tout leur saoul. [...] Elles disent: oui, ce sont les mêmes oppresseurs dominateurs qui ont écrit des nègres et des femelles qu´ils sont universellement fourbes hypocrites rusés menteurs superficiels gourmands pusillanimes. Que leur pensée est intuitive et sans logique, que chez eux la nature est ce qui parle le plus fort etc. » (Wittig, 1976: 147-148) Et elles, les guerrillères, partent en guerre. Qui peut mieux décrire le patriarcat dans son système tentaculaire de domination qui joue sur les corps, l´imaginaire, les représentations de l´autre basées sur la « différence » ? Guerrillères. Amazones. Gouines. Fortes, farouches, autonomes. Elles refusent le status de « femme », creusé dans la « différence », synonyme d´infériorité. Quoi de plus menaçant pour le patriarcat ? Pour détruire l´idée même de leur existence l´Ordre du Père efface leurs traces, brûle leurs corps- sorcières maudites - les expulse des murs de la Cité, de l´imaginaire, de la réalité construite à coups de massue: les femmes sont vendues, échangées, prostituées, mariées de force. Le viol est un apprentissage pour qu enfin elles se décident à « être femme », soumises, dociles. Monique Wittig affirme: « une lesbienne n´est pas une femme » dit-elle, cassant le binarisme lié au sexe. « [...] Il serait impropre de dire que les lesbiennes vivent, s´associent, font l´amour avec des femmes, car ‘ femme’ n´a de sens que dans les systèmes de pensée et les systèmes économiques hétérosexuels. » (idem: 53) Elle nomme « pensée straight » ce qui englobe théories, disciplines, représentations, idéologies, religions et crée les rôles sexuels et sexués. Cette pensée institue des lois « naturelles » et universelles qui « [...] valent pour toutes les sociétés, toutes les époques, tous les individus. » (Wittig, 1980: 49) L´histoire, donc, parmi d´autres savoirs, est l´imaginaire patriarcal en action, car elle organise, sélectionne les thématiques, les faits, elle obéit aux normes qui sous-tendent les discours savants. L´histoire ainsi crée le sol sur lequel elle s´appuie pour assurer la vérité de son discours. L´hétérosexualité gère cette sélection en fonction des intérêts de l´ordre des trois P : Père, Pénis, Patriarcat. Tout se passe comme si la diversité des mœurs n´ait jamais existé. L´histoire est l´expression même de la pensée straight. Et ce que l´histoire ne dit pas, n´a jamais existé dans ce régime de vérité biaisée par le patriarcat. L´hétérosexualité est un système politique, une grille de domination portant le masque d´un aura mystique voire « scientifique », qui décide de façon simpliste et binaire ce qui est le normal/pathologique, le bien/mal, le bon/mauvais et surtout le supérieur et l´inférieur. Le patriarcat se fonde sur ces bases et érige l´homme blanc en tant que paradigme de l´humain. La hiérachie sexuelle est la clé de voûte du patriarcat. Et la procréation devient le destin biologique des femmes, le règne des mères, celles qui louent leur ventre à la semence mâle. Car, dans l´ordre du Père c´est le mâle qui engendre malgré l´évidence des ventres gonflés et des accouchements dans la douleur. Car, oui, il faut souffrir pour payer à dieu et ses acolytes la dette du pêché d´être femelle. L´hétérosexualité obligatoire est ainsi considérée comme naturelle, « préférence sexuelle » des femmes, innée, jamais mise en question. (Rich, 1981 :17) Parce qu´au-delà de la soumission, il faut aimer les bourreaux. Rich questionne :
"les moyens de fertilisation, et les rapports affectifs/érotiques, ont été si rigidement identifiés les uns aux autres; et pourquoi des contraintes aussi violentes ont été jugées nécessaires pour assurer une allégeance et une soumission totales, affective et érotique, aux hommes. [...] Ces forces [...] vont de l´asservissement physique, littéral, à l´occultation et à la distorsion des choix possibles .(idem : 21) L´analyse de Rich, publiée il y a 38 ans garde toute son actualité : « Il est bien probable que ce que les hommes craignent, en fait, non pas que les femmes leur imposent leur appétit sexuel, qu´elles veulent les dévorer ou les étouffer, mais plutôt la possibilité qu´elles soient parfaitement indifférentes à leur égard, qu´ils n´aient accès aux femmes sexuellement, effectivement, et donc, économiquement, qu´aux conditions de celles-ci, [...]. » (Rich, idem: 27) Il fallait identifié ce danger. Créer une catégorie: la « sodomite » est devenue la « lesbienne » pour mieux être exclue, blâmée, bannie. Mais on est toujours dans l´histoire de l´Occident. Que savons-nous sur les amours et les relations entre femmes, en Extrême Orient, dans les plaines de l´Europe centrale, dans les îles du Pacifique, parmi les peuples de tous âges et de toutes les contrées ? Rien. L´histoire n´est qu´un bout de tissu déchiré et sali par le désir de vérité patriarcale. De toute façon, l´histoire et l´anthropologie ne s´occupent que des faits liés au masculin. Identité – pratiques sexuelles. Et nos amours, oú sont-ils passés ? Dans les souterrains des boîtes de nuit, dans les armoires métaphoriques qui cachent « la honte » des familles, le péché majeur de ne pas chérir l´empire du pénis ? Où sont passées nos Goudous, nos « goûts doux que j´ai de vous » ? (Wittig,1976: 111) De nos jours les lesbiennes s´affichent, malgré les violences dont elles sont passibles en Occident et ailleurs. Mais elles sont trop encadrées par les paramétres patriarcaux, des épousailles, fêtes à l´appui, des robes blanches pour deux ; en fait elles singent le « normal » pour mieux se faire accepter. L´enfantement par des lesbiennes n´est qu´une façon de s´introduire dans la normalité du schéma social, suivre le « destin biologique » sous le signe de la procréation. Être reléguée sous le sigle LGBTT+ me paraît sans aucun sens, car il n´y a pas d´attaches, d´objectifs, de propositions entre les catégories ainsi nommées, ne serait-ce qu´un lien hypothétique par détournement de la hétérosexualité. Et encore... puisque ces dénominations tournent autour du sexe, l´injonction majeure du patriarcat, car le contrôle du sexe et de la sexualité se fait à partir de la « différence ». « J´accepte ta différence », c´est le mot qui ré-installe la référence, l´hétérosexualité. La tactique actuelle des hommes pour s´immiscer dans les groupes féministes ou de lesbiennes c´est de dire qu´ils se « sentent » femme, devenant ainsi des « hommes lesbiens ». En ce sens, Janice Raymond explicite: > « Men who claim they are women, and their advocates, have devoted enormous energy to ensure that a man, whether he has gone through transsexual surgery or whether he simply self-identifies as a woman, is allowed into women’s bodies, events, meetings, music festivals and the like. It appears that the bedrooms of lesbians are now the topic du jour of the transgender press and blogosphere. Certain transgender forums have been organized specifically to discuss and strategize how lesbians could be pressured to date and have sex with those who identify as trans-lesbians. As one transgender activist put it, ´Trans women’s bodies are female bodies, whether or not we have penises. Perhaps the epitome of this incongruity is that men who claim to be lesbians are now claiming that they have a lesbian penis or, as one transgender activist worded it, a ´ lady stick.´ Yet lesbians who reject that men can be lesbians are slurred as transphobic ». (Raymond, 2015) Il y a là un détournement complet des théories féministes qui déconstruisent l´essence de « la femme », un noyau « naturel » que composait leur être: non seulement ils reviennent en force à la généralité essentialiste de « l´être femme » mais ils renforcent la sexualité comme axe de l´humain. Au lieu donc de réinventer les relations sociales, les LGBTT+ renforcent le système sexe/genre. Je suis « trans » cela veut dire je sors d´une catégorie pour rentrer dans l´autre, mais toujours dans le schéma binaire . On change le sexe social pour se vautrer dans le Même. C´est-à-dire, l´ordre du sexe. Rien à voir avec les visées du féminisme qui cherchent à déconstruire l´ordre du sexe et de la sexualité en tant qu´identité primaire pour transformer les relations sociales. Donc, l´axe de la question demeure le même: c´est autour du sexe, de la sexualité, de la dichotomie hétéro / homosexualité que transitent les problématiques de la diversité. Au lieu de penser le nouveau, le transitoire, l´expérience du possible, la « différence » binaire devient la « diversité » qui reproduit la différence. Et la sexualité demeure le point d´orgue de la domination patriarcale. L´après Freud détermina l´importance démesurée de la sexualité dans l´identité de l´humain. L´essence de l´individu serait donc placé entre ses cuisses. Qui suis-je ? on entend toujours cette question liée aux pratiques sexuelles. Et se dire, se raconter lesbienne fait partie d´une identité qui n´est que fictive. Je n´aime pas le mot « lesbienne », qui marque en fait une catégorie à part de l´humain, l´anormale dans le binarisme patriarcal. D´abord il n´existe pas le personnage « la lesbienne » de la même façon que « la femme » est une manière de réduire tout le féminin à un seul individu, à la différence. Les êtres sont différent entre eux, ainsi « la lesbienne » est une catégorie imaginaire. Qu´est-ce finalement une lesbienne ? Celle qui aime les femmes? Ou qui aime la sexualité entre femmes? Sexe et amour sont-ils associés nécessairement? Puis-je aimer une femme sans que son corps éveille le désir sexuel? Je préfère l´insulte détournée et réinventée – la gouine - car cette dénomination ouvre vers un sujet politique autonome, indépendant, ni butch, ni dyke, ni « femme », celle qui n´a pas besoin de se montrer ni de se cacher. Celle qui fait fi des « mariages gay » car elle ne veut pas s´insérer dans les moules du patriarcat. Celle qui refuse le destin biologique incontournable de la maternité, guerrillhère de toutes les luttes pour la liberté. Celle qui chérit l´érotisme, pas la sexualité en tant que nécessité identitaire. La gouine en fait c´est aussi une goudou. Les gouines ne cherchent pas une identité cachée dans le bas ventre ou dans une essence innée. Les pratiques sexuelles ne les définissent pas, car leur vie ne se résume pas au nombre de partenaires ou d´actes sexuels décrochés dans la semaine, dans le mois. Les gouines ne sont ni lesbiennes ni femmes. Elles chérissent les mythes. Elles n´ont pas de maîtres à penser. Elles recréent l´histoire peuplée d´amazones, de reines, de guerrières, d´amantes, des règnes où la différence n´est pas installée. Elles pensent la diversité dans le nouveau, l´inédit, l´imprévisible. Le masculin leur indiffère. Elles sont la terreur du patriarcat. Les gouines rougissent de l´indignation, de la révolte contre les lois et les contraintes patriarcales. Elles sont des sujets politiques à part entière, elles n´acceptent pas les impositions des mœurs, des sentiments, du sexe obligatoire. Elles chérissent l´érotisme, l´amitié, l´amour entre elles. Elles ont parfois des complices, des féministes radicales, qui elles non plus n´acceptent pas les « accommodements raisonnables » avec les visées patriarcales, telle la prostitution devenue un « travail » pour mieux asservir les femmes au sexe masculin. Elles attirent des femmes encore plongées dans les boues patriarcales pour découvrir le nouveau, l´impromptu, les pots d´or au bout de l´arc en ciel. Leur teint que reflètent des horizons rouges. Qui sont ces gouines rouges, nos goudous de toujours, nos amours complices, les guerrillères contre toute norme, contre toutes les chaînes, qui résistent sans répit, cassent les images et les représentations des lesbiennes conformistes? Peu importe. Elles ne sont pas définissables, car se reinventent à chaque jour. « Elles disent qu´au point où elles en sont elles doivent examiner le principe qui les a guidées. Elles disent qu´elles n´on pas à puiser leurs forces dans des symboles. Elles disent que ce qu´elles sont ne peut pas être compromis désormais. Elles disent qu´il faut alors cesser d´exalter les vulves. Elles disent qu´elles doivent rompre le dernier lien qui les rattache à une culture morte. Elles disent que tout symbole qui exalte le corps fragmenté est temporaire, doit disparaître. Jadis il en a été ainsi. Elles, corps intègres premiers principaux, s´avancent en marchant ensemble vers un autre monde. » (Wittig,1976 :102) Les gouines rouges de nos jours seraient-elles le fruit de mon imagination ? Peut-être bien que oui. Peut-être bien que non. . Bibliographie Bellini, Lygia. A coisa obscura: mulher, sodomia e inquisição no Brasil colonial. 2014, Salvador: Edufba. Bonnet, Marie-Jo. Un choix sans équivoque, 1981, Paris: Ed. Denoel / Gonthier de Beauvoir, Simone. Le deuxième sexe,1, Paris, 1978, Paris: Idées/Galimard Duby, Georges, Lardreau, Guy - Diálogos Sobre a Nova História, 1989 , Lisboa: Dom Quixote Foucault, Michel. L´ordre du discours. 1971. Paris: Gallimard Gandavo, Pero Magalhães. História da Província de Santa Cruz. Tratado da terra do Brasil, 1964, SP: Ed. Obelisco, navarro swain, tania. Niède Guidon , archéologue: une aventure dans le temps http://www.labrys.net.br/labrys20/aventura/niedefr.htm Radclyffe Hall. The Well of Loneliness , 1928, London: Jonathan Cape Raymond, Janice. Radical Feminist activism in the 21st century, https://www.labrys.net.br/labrys27/radical/janice.htm Rich, Adrienne. La contrainte à l´hétérosexualité et l´existence lesbienne. Nouvelles Questions Féministes, Mars 1981, Paris: Éditions Tierce Weiss, Andrea. Paris était une femme, 1996: Anatolia Éditions Wittig, Monique. Les Guerrillères, 1976, Paris: Les Éditions de Minuit Wittig, Monique, Sande Zeig. Brouillon pour un dictionnaires des amantes, 1976, Paris : Grasset Wittig, Monique .La pensée straight. Questions Féministes, février 1980, Paris: Éditions Tierce [1] Les Gouines Rouges furent un mouvement de lesbiennes créé au sein du MLF ( Mouvement de libération des femmes) en 1971 à Paris. Voir l´historique écrit par Marie Jo Bonnet, une de ses co- fondateures https://mariejobon.net/2009/08/les-gouine-rouges-1971-1973/ [2] Voir par exemple http://galeon.com/martin-cano/sacerdotisas2.htm Les interprétations fusent et tantôt elles deviennent des travestis, tantôt des transgenres car l´imaginaire patriarcal n´accepte pas des dérogations à ses normes. [3] http://sagradofeminino.saberes.org.br/saberes-ancestrais-femininos-sabedoria-espiritualidade-psicologia-saude-danca-feminina/sacerdotisas-sumerias/ [4] Voir par exemple http://www.univers-l.com/portrait_homosexualite_feminine_inde.html [5] Voir Tania Navarro Swain. Amazones Brésiliennes ? les discours du possible et de l´impossivle [6] Dénomination donnée aux femmes homosexuelles dont la grandeurs du clitóris étaient considéré trop saillante. Est devenu synonime d´onanisme, clitoridisme, lesbianisme, comme explique Bonnet (1790 [7] Écrivaine bresilienne, auteure de 50 livres sur le lesbieanisme, censurée férocement par la dictature militaire qui a brulé maintes de ses livres. |