Entre la vie et la mort, le sexe

tania navarro swain

Résumé:

Le sexe est devenu axe d´identité, mesure de l´intensité de la vie; mais en fait, qu´est-ce qui détermine l´importance du sexe et de son corollaire, la sexualité, sinon un dispositif qui édifie les êtres en tant que corps sexués? Le discours sur le sexe et la sexualité n´est que répétition incessante d´injonctions normatives sur des comportements, dont la référence est l´hétérosexualité obligatoire. Des corps construits en sexe deviennent des évidences “naturelles” et les mécanismes de leur institution sont ainsi obscurcis.

Mots-clés: sexe, sexualité, vie, mort, dispositif de la sexualité, dispositif amoureux

« Le sexe, c´est la vie », répète inlassablement la pub. à la télévision. « Éjaculation précoce ? Manque de désir ? Frigidité ? » Sur Internet aussi, je reçois des dizaines de messages : « Réactivez votre appétit sexuel ! Augmente ton pénis ! »...mais je n´ai pas de pénis, qui suis-je ?  « Libérez vos hormones, ne savez-vous donc pas que l´odeur c´est la séduction ? » Danse du ventre, pompérisme (gymnastique vaginale), je dois m´actualiser, perdre du ventre, remonter mes seins, me faire arrondir les fesses, et cette cellulite, mais où trouver l´argent pour ma chirurgie esthétique ?

Mais où est donc mon parfum, mon shampooing, mes crèmes pour tout ? Il faut que je me fasse dépiler l´aine, et ces cheveux trop frisés, personne ne me siffle, personne ne me regarde, qui suis-je ? Je transpire, mon désodorant n´est plus efficace, cette robe est vieillotte, j´ai pas fait l´amour cette semaine, je me suis même pas fait draguer, personne ne m´a dit que j´étais sexy...d´ailleurs, c´est quoi être sexy ? Qui suis-je?  J´arrive pas à séduire, suis seule, toute seule, sans désir, faut que je me soigne, qui sait si je suis pas déjà morte !? Qui suis-je ? Pas mariée, pas d´enfant, suis pas une femme ? J´ai pas de pénis, suis pas un homme, qui suis-je ?

C´est le quotidien de tant de femmes, qui se débattent au milieu du dispositif de la sexualité en action, ce dispositif qui institue et destitue les identités, qui dicte les comportements, les pratiques, les représentations, et surtout, les auto-représentations. Il se voit enterriné par le discours des médias, de la science, de la psychanalyse, des images reproduites à l´infini, et crée ainsi des modèles que je dois suivre en m´imposant insidieusement des patrons de conduite, des valeurs qui permettront mon insertion sociale, mon appartenance à un groupe, le sceau de ma santé physique et mentale.

Entre la vie et la mort, le sexe. Entre l´être et le néant, le sexe. Comment expliquer l´expression « vie sexuelle », sinon par l´importance démesurée qu´on donne aux organes génitaux ? Pourquoi ne parle-t-on pas, par exemple, de « vie visuelle », de « vie manuelle » ? Comment la notion de « vie » peut-elle être réduite à des orifices, des excrétions et des humeurs ? Pourquoi cette importance, sinon pour démarquer des pouvoirs, des lieux de possession et de domination, des lieux de parole et d´autorité ? Pourquoi, sinon pour construir et domestiquer les corps ainsi définis, un ordre dont les mécanismes hiérarchisent, tout en créant les valeurs attribuées au sexe ?

Je commence à fatiguer devant ces images, ces bruits, ces paroles, ces textes, ces gestes qui m´envahissent à tout moment, au moyen des médias, de la littérature, des conversations, de mes propres pensées assujéties, modelées par toutes ces louanges faites au sexe et à ses pratiques. L´ode à la sexualité m´irrite, car je suis contrainte de regarder des seins, des cuisses, des poils et derrières en tout genre, forcée d´écouter des soupirs et des bruits caverneux, au moment où je suis à la recherche de distraction, de rire, d´enchantement et que je n´ai aucun choix, seulement ces impositions. Pouquoi la vision de langues, de seins, de poils, de bouches énormes et ouvertes qui se rencontrent doit-elle être excitante, attrayante ou sensuelle ? D´ailleurs, qu´est-ce qu´être sensuel ? S´agit-il de la sexualité ou bien d´un érotisme diffus, tout autant qu´indéfinissable ? Serait-ce l´anti-chambre à la pratique sexuelle? Et quelle est-elle cette sexualité ? L´émotion de corps qui se dé-couvrent, ou tout simplement une mécanique gestuelle codifiée ?

La naturalisation des images et des pratiques sexuelles n´est autre qu´une essentialisations de plus des corps, travestis en sexe. Foucault fait, de nombreuses fois, référence à l´auto-érotisme – quelle étrange catégorie ! Dans ce cas, si l´objectif de la sexualité n´est déjà plus celui de la procréation, mais bien l´orgasme généralisé, alors pourquoi cette nécessité d´avoir des partenaires ? En fait, toute cette confusion semble bien être comme une superficie lisse et homogène d´actes naturels, provenant d´une « essence » quelconque, qui définirait les impulsions, les instincts et les pulsions différenciées face au sexe, suivant qu´il s´agit de femmes ou d´hommes ; mais ce n´est qu´un discours redondant, puisque le sexe en est sa définition et la différence son institution, dans la chaire et dans les expressions du politique.

Qu´est-ce qui détermine, finalement, l´importance du sexe et de la sexualité en tant que racines de l´identité, de l´être-dans-le-monde, de la socialisation, du processus de subjectivation ? Ce pourrait n´être qu´une manifestation de plus de l´humain ; mais au creux des articulations du social, c´est en fait la signification donnée à ce qu´on valorise et qui circule sous le sceau de la vérité, surtout sous la marque de la nature indiscutable et souveraine, la masse inerte du déjà-là, du pré-fabriqué, des traditions historiques et datées qui acquièrent le poids du naturel. Que ce soit dans la religion ou  la psychanalyse, l´histoire ou la biologie, on voit le sexe et la sexualité devenir les pierres de fondation, de marquages hiérarchiques, les sceaux qui distinguent et ordonnent une pré-classification de l´humain en féminin/masculin, suivant les organes génitaux.  . “Mais moi, j´ai un utérus”, s´exclament quelques unes! Et alors? Cette expression affirme, encore une fois, une essence du féminin liée  aux corps, au biologique, une  définition  identitaire fondée sur la reproduction.

Des êtres construits, c´est cela que nous sommes. Toutefois, « l´évidence » du sexe est tellement forte, qu´elle en obscurcie les lignes et les traits qui ont présidé à son institution : la lourde matérialité des corps, leurs monts et leurs abymes, justifient des conduites, des concepts, des références. Le pouvoir est toujours du côté du père, du masculin, le langage appartient au domaine du phallus, de l´érection, de la rationalité, de la réalité ; pour le maternel, il ne reste que l´illusoire, l´irrationnel, le manque, l´envie, la répudiation, enfin « c´est toujours la faute de la mère ». Quels sont donc ces mécanismes tortueux et bizarres qui associent raison et sexe, autorité et érection, et le phallus comme signifiant général ? Quel est donc cet aveuglement social, qui recouvre d´un voile les stratégies de la différenciation des sexes, afin de mieux instaurer une « naturelle » différence politique entre femmes et hommes ?

L´incongrüité est tellement énorme, qu´elle a besoin de cette constante itération discursive et imagétique, de cette pédagogie sociale qui institue et naturalise les comportements et les identités de sexe. Élevées en compagnie de dichotomies et de polarités, d´institutions et de pratiques qui délimitent nos possibilités et nos actions, nous sommes prisonnières de corps sexués, peut-être le désirant ainsi, et revendiquons des plaisirs éphémères et insatisfaisants. Le clitoris a été « découvert » par les féminismes des années 70, le plaisir sexuel s´est trouvé au coeur des débats, et on l´a exigé comme condition pour l´égalité. Plaisir symbolique, cependant, puisqu´en termes de libération de l´assujétissement des corps, que représentent, finalement, quelques secondes de tremblements et de soupirs, face à l´importance démesurée attribuée au sexe ? Ce n´était que ça, alors ?

Le désenchantement passe toujours par une auto-représentation négative : des questionnements sur la santé physique et mentale, l´adaptation sociale, une sociabilité centrée sur la séduction, la beauté, gagner le coeur de l´autre et les prouesses sexuelles. Comment puis-je m´inserrer ou me démarquer dans un milieu où le sexe est roi ? Comment exprimer mes doutes sans tomber dans l´ostracisme social, repoussée sur les bords, même parmi les féministes ?

 L´institution de la sexualité

Mais alors, qu´est-ce donc ce dispositif de la sexualité qui me piège et me construit, sans que même je ne m´en aperçoive ? Sans que je ne cherche même pas à m´en libérer ? Foucault considère que la notion de « dispositif » explicite les techniques de  la production de la sexualité elle-même , dans des cadres  historiques, datés, qui ne se réfèrent  pas à une réalité sousjacente , une donnée de la nature que le pouvoir essaierait de domestiquer . Le dispositif pour l´auteur serait un grand réseau de superficies où se chevaucheraient la stimulation des corps, l´intensification des plaisirs, la formation des connaissances, selon des stratégies de savoir et de pouvoir. .(Foucault,1976: 139)

Le dispositif de la sexualité, ainsi identifié par Foucault, se manifeste dans les technologies du sexe, ces tactiques sociales anonymes qui utilisent toutes les archives de la mémoire, toutes les modalités d´interprétation disponibles dans le social, non seulement pour induire à la sexualité, mais également  modeler le sexe et le désir sexuel au moyen de contraintes, autour et au-delà de l´hétérosexualité reproductive.

Dans cette perspective, la sexualité n´appartient pas au domaine du «naturel», du biologique, mais bien à la production discursive du sexe-nécessité, du sexe-vérité, du sexe-identité, du sexe-vie.

On voit donc que le dispositif invente les corps et les possède, et à la fois les crée en les définissant et les modélant sur la note majeur du plaisir, sans même définir ou questionner ce dernier, afin d´effacer au mieux les traces de leur construction et de leur domestication. Qui ne ressent pas ce plaisir, tellement loué, se trouve malade ou anormal : pourquoi les cabinets seraient-ils donc si pleins de gens à « problèmes sexuels » ? Alors, pourquoi ne pas prendre le désir ou l´émotion quand ils surviennent, sans avoir besoin de médicaments, de stimulations ou d´analyses psychologiques ?

Cependant, si  Foucault identifie les technologies productrices du sexe et de la sexualité, ne tient pas compte des technologies du genre ( (De Lauretis, 1987 )qii créent des corps séxués et instaurent, en même temps, la diférence et l´inégalité comme son corolaire, puisque «  naturel »..Et cette construction se répète inlassablement par la prolefération d´images et discours qui m´assailent, me possèdent, m´identifient, me suggènt toujours plus de sexualité .  

Ces discours sociaux produisent sexe et sexualité – soit des corps biologiques et des pratiques sexuelles- de manière encore plus dense lorsqu´il s´agit de binaire et de hierarchie. C´est ainsi que ces discours produisent les genres, les différences, les marges, les centres, les polarités, les modèles, les typologies et toutes ces différences créées de cette façon, portent le signe du politique, le sceau des relations de pouvoir d´un patriarcat qui n´a pas encore dit ses derniers mots.  

On voit ainsi que le sexe naturalise le destin biologique des femmes en tant que femmes, mères ou orifices à disposition, objets de plaisir et surtout de pouvoir, le pouvoir de déterminer, d´ordonner, d´humilier, d´ironiser, d´inférioriser, de posséder, de violer, de contrôler, d´acheter et de soumettre au traffic généralisé. Christine Delphy, Colette Guillaumin, ont pertinemment identifié « la classe des hommes », une ample coalition d´un système historique et social, le patriarcat, qui leur confère « naturellement » autorité, prestige et également la possession des femmes en tant que classe, ce qui les transforme en LA FEMME, singulier qui efface toutes les singularités.

Dans ce sens, la prostitution, le viol et la violence domestique qui peuplent le quotidien des femmes, condensent le pouvoir masculin sur les corps féminins, reproduisant ainsi, au travers de la peur ou de l´avilissement, la sexualité dans sa violence et le pouvoir lié au sexe. Les femmes claustrées sous leurs voiles, les petites filles vendues, pour ce grand festin mondial où l´on consomme le féminin en chair et en orifices, sont l´expression la plus limpide du patriarcat – elles ne sont sur terre que pour servir les hommes, sous toutes les formes possible, prises dans les plis de leurs désirs et de leurs injonctions. Et cet assujetissement se naturalise dans la différence.

Afin de vendre ses produits de parfumerie différenciés, une récente pub. à la télé proclame : « les femmes et les hommes sont différents... ». Ceci est l´évidence même et réaffirme l´idée de « nature » des sexes ; cependant, la différence se trouve construite au moment exact où les images défilent. La différence existe, sans nul doute, d´un individu à un autre, mais elle n´est pas fondée sur l´essence des corps marqués du sceau des sexes : il s´agit, en fait, de la construction de cette essence par les pédagogies sociales multiples, parmi lesquelles on trouve la spirale qui entraîne la sexualité elle-même. Colette Guillaumin dit que:

« La notion de différence, dont le succès parmi nous est prodigieux- parmi nous et ailleurs- est à la fois hétérogène et amigue. L´une à cause de l´autre. Hétérogène car elle recouvre d´un côté des données anatomo-physiologiques et de l´autre des phénomènes socio-mentaux (...) Niveaux qui sont inséparables car ils sont la conséquence les uns des autres, mais qui pourtant sont distincts dans l´analyse. (...) Enfim, on ne peut parler de « différence » comme si cela advenait dans un monde neutre Puisqu´en effet on parle de « différence des femmes » si aisément, c´est bien qu´il s´agit de quelque chose qui arrive aux femms. Er les femmes ne sont pas des vaches laitières ( des « femmelles ») mais un groupe social déterminé (des femmes) dont on sait que la careactéristrique fondamentale est d´être approprié. Et de l´être en tant que groupe ( et pas seulement en tant qu´individus pris dans des liens personnels). » (Guillaumin,1979 :4):

 Les structures du pouvoir politique ici présentes, disparaissent pour laisser la place à celles du sexe/sexualité qui s´imposent comme les marques et les limites de l´humain, des êtres tranformés en corps sexués, dont le visage féminin en devient l´expression majeure.

Comme l´a bien analysé Colette Guillaumin, les femmes n´ont pas un sexe, elles sont un sexe. Différentes, certes, mais s´agissant d´une différence politique qui ancre sa justification dans les corps et dote les organes génitaux des marques du supérieur et de l´inférieur.

Différentes, les sexualités féminines et masculines ? Sans nul doute, puisqu´elles naissent des constructions représentationnelles et imagétiques qui président à la construction politique des genres. Adrienne Rich déjà  dans les années 1980 posait ces questions :

«  pourquoi la survie  de l´espèce, les moyens de fertilisation, et les rapports affectifs/ érotiques, ont ét´si rigidement identifiés les uns aux autres ; et pourquoi des contraintes aussi violentes ont été jugées nécessaires pour assurer une alégeance et une soumission totales, affective et érotique, aux hommes » (Rich,1981:21)

Le dispositif amoureux

Ainsi, nous assistons, de nos jours, à une croissante soumission des corps aux impératifs de la sexualité, mais de façon différentiée et binaire. Le dispositif crée les corps sexués et agit sur eux selon leur appartenance à la classe des femmes ou à celle des hommes. Pour ces derniers, la sexualité se présente d´abord comme une nécessité  aussi pressante que celle de manger ou de boire, source d´un plaisir soi-disant ineffable. Quel est donc ce plaisir ? Une tuméfaction, un jet de sperme, le tout en 30 secondes ? Ou bien le plaisir de la possession, non seulement du corps d´autrui, mais bien de sa personne ? Car en effet, c´est un individu que l´on possède, que l´on achète, c´est  cela le plaisir inavouable.  Si les mécanismes de la sexualité sont simples, voire linéaires,  surtout pour les hommes, c´est l´entière économie symbolique des relations de sexe qui lui octroie  la force de vie et le sceau de l´identité. « Sois un homme » signifie en fait, « ne sois pas une femme. »

Au creux du dispositif de la sexualité, les femmes sont « différentes», c´est-à- dire que leur construction, au travèrs du prisme des pratiques et des représentations sociales, souffre l´interférence d´un autre dispositif : le dispositif amoureux. On pourrait suivre sa généalogie dans les discours – philosophiques, religieux, scientifiques, des traditions, du sens commun - qui instituent l´image de la « femme véritable », qui répètent inlassablement les qualités et les devoirs d´une femme : douce, aimable, compatissante, dévouée, et surtout amoureuse. Amoureuse de son époux, de son homme, de ses enfants, de sa famille, au-delà de toute limite, de toute expression de soi.

 Dans ce quadre des représentations sociales, l´amour est pour les femmes ce que le sexe est pour les hommes : nécessité, raison d´être, raison de vivre, fondement identitaire. Le dispositif amoureux investit et construit des corps-en-femmes prêtes à se sacrifier, à vivre dans l´oubli de soi pour l´amour d´autrui : mari, enfants, parents et les démunis en général . Les professions dites féminines partagent ces caractéristiques : infirmière, institutrice, serveuse, domestique, garde d´enfants et bien d´autres. Le dispositif amoureux, en outre, les conduit tout droit vers une hétérosexualité incontournable, sans ambages, puisque la procréation en est leur récompense.   Même si le plaisir y est rare ou absent, c´est une sexualité sans questions, sans détours, c´est comme ça, c´est tout.

Le dispositif amoureux crée des femmes et plie leurs corps aux injonctions de la beauté et de la séduction, il guide les pensées, les comportements à la recherche d´un amour idéal, fait d´échanges et d´émotions, de partage et de complicité. La sexualité y est accessoire maintes fois.  Les technologies sociales du genre investissent les corps- sexués-en-femme dans les pratique discursives,  qui proposent comme axiome  la « nature » féminine, une pré-conception ancrée dans le sens commun, propagée et instituée par un certain ensemble de discours sociaux.

C´est-à-dire que les pratiques créent l´objet dont elles décrivent le fonctionnement ou les contours, en un processus continu. Ainsi, la formule de Judith Butler(1990) «  il n´y a pas de genre hors des pratiques de genre » y trouve tout son sens. C´est effectivement le genre et ses technologies qui construisent les sexes et leurs délimitations, leurs principes d´exclusion, leurs formes et leurs expressions, tout comme l´hétérosexualité en tant que norme et référence, et la sexualité en tant que socle de l´être. Femmes dans le social, femelles dans le biologique, les corps-en-femme fixent une identité fictive où s´imbriquent les injonctions de l´amour et de la sexualité. Le dispositif amoureux s´affirme donc dans des pratiques, qui se dédoublent de manière exponentielle, et assurent la construction du féminin : l´éducation formelle,  la pédagogie sexuelle, la discipline des corps – maigres et beaux -  la domestication des sens et des désirs, selon l´image idéale de LA femme. 

Le dispositif amoureux et de la sexualité forment le canevas où l´on tisse et  produit du  féminin – l´objectivation indissociable du processus de subjectivation, la production du sujet d´un savoir et la production du savoir sur le sujet, au moyen de pratiques discursives diverses. Les technologies du genre ont ainsi une double face, intérieure et extérieure à elles-mêmes, qui travaillent dans la production du sujet féminin dans un cadre de valeurs auxquels fait référence. L´action sur soi utilise des techniques d´adaptation, de refus, d´assujettissement aux codes, aux limites  et aux normes de genre et de la sexualité.

Lors du processus de subjectivation donc, je me construis sans cesse. Et les technologies du sexe, du genre, sont constitutives de mon devenir puisque je ne suis que dans l´itération, l´assujettissement, le refus, ou le dépassement de leurs normes ou de leurs définitions.

 De nos jours, les moules qui enferment les contours femme / homme rendent presque  impossible une relation égalitaire dans les rapports sexuels, puisque traversés de pouvoir. Il existe au creux des plis des draps, un manichéisme binaire insidieux, même si, le cas échéant, les rôles sont interchangeables. Par conséquent, là où il y a sexualité,  se niche aussi l´appartenance, la possession, la trahison, l´honneur, l´auto-représentation, toutes valeurs confondues, autour de corps définis par le pouvoir de nommer, par la performativié des comportements codifiés, par les conditions d´imagination qui sculpent les modèles et les référents idéaux.

Je suis très sceptique quant au thème de la sexualité incontournable. Certes, les réseaux de sens qui nous donnent intelligibilité – à commencer par notre auto-image-  nous façonnent de la sorte : sois sexy ou meurs ! La performance sexuelle est tout : le désir de l´autre pour moi ouvre mon chemin vers le  monde, garantit mon insertion dans le social.

J´estime que le dispositif de la sexualité, imbriqué au coeur du dispositif amoureux, a atteint ses limites de saturation. Ce qui est certain, c´est que l´injonction à la sexualité – et quelle que soit sa pratique – est  l´action du pouvoir créant  une nouvelle servitude, celle des orifices, des érections, des performances, des conquêtes, d´une banalité à mourir d´ennui. J´ai besoin de changer de niveau, de changer tout court. Non, je ne suis pas contre la sexualité, pas du tout. J´ai, cependant, un engagement féministe qui m´incite à refuser l´assujettissement aveugle aux impositions du social sur mon corps et mon être.

 Je reprends donc ma question, qui suis-je hors de la sexualité ? qui suis-je hors des normes de sexe ? Pourquoi dois-je me plier aux dictats qui imposent la sexualité comme fond de vérité de l´être ? En fait, cela ne m´intéresse pas de savoir qui je suis, puisque je ne le suis plus la même, au moment de cette énonciation – c´est là où les normes perdent de leur pouvoir, car elles n´ont plus d´importance.

 eferência bibliográficas:

BUTLER, Judith. 1990. Gender trouble. Feminism and the Subversion of Identity , New York : Routledge.

DE LAURETIS, Teresa (1987) Technologies of gender. Essays on Theory, Film, and Fiction., Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press

GUILLAUMIN, Colette:1979. Question de différence. Questions féministes, septembre, n.6, Ed. Tierce. pp 3-22

FOUCAULT,Michel . 1976, Histoire de la sexualité, Foucault électronique, Folio 4

RICH,Adrienne.1981 La contrainte à l´hétérossexualité et l´existence lesbienne, Nouvelles questions féministes mars, n.1 Ed. Tiercepp15-43

 

note biographique:

tania navarro swain est professeure au Département d´Histoire de l´Université de Brasilia, docteure de l´Université de Paris III, Sorbonne. Elle a été professeure invitée, en 1997/98 à l´Université de Montréal-UdM, ainsi qu à l´Université du Québec à Montréal, à l`IREF- Institut de Recherches et Études Féministes. À la tête d´un cours d´études féministes en graduation, elle travaille en Théorie de l´histoire et Études Féministes en post-graduation. Parmi ses plus récentes publications: “O que é lesbianismo?” (Qu´est-ce que le lesbianisme?), 2000 ; un numéro spécial intitulé “Feminismos: teorias e perspectivas” (Féminismes: théories et perspectives) de la revue Textos de História, paru en 2002, outre des nombreux articles publiés dans des revues nationales et internationales. Elle a organisé également le livre " Mulheres em ação:práticas discursivas, práticas políticas", publié en 2005; est éditrice de la revue électronique "Labrus, études féministes"