Au-delà
de la “ différence”, les chemins de la diversité tania
navarro swain Résumé
Pourquoi
parler de "différence", puisque c´est sur cette
catégorie qui s´instaure l´inégalité? Mots-clefs: diversité, différence, hiérarchie, politique
Les
êtres ne sont pas égaux entre eux, puisque chaque individu
est une singularité. C´est, en fait, l´expérience individuelle
dans le monde, comprise en tant qu´un réseau de représentations,
habitudes, « un complexe d´effets de signification, de
dispositions, d´associations et de perceptions »
( De Lauretis, 1987:.18) qui créent le sujet. Ainsi,
les femmes sont créées en tant que telles dans le social,
qui les représente avec des caractéristiques, des symptômes,
des corps sexués, des limites et des excès. Et elles
s´y reconnaissent, s´y plient, résistent, ou transforment
les images, tout en modifiant les représentations qui les
façonnent. Le
procès de subjectivation est ancré dans les cadres de
pensée morale, normative, réglementaire, dans des conditions
de production et d´imagination spécifiques selon les coordonnées
temps / espace. En effet, la société et les relations
humaines sont telles qu´on se les représente ou telles
qu´on veut croire qu´elles sont.. C´est ainsi que les
représentations et l´interprétation du monde créent les lignes
de partage et d´insertion sociale des êtres humains :
au moment de ma naissance je deviens « femme »,
là où j´acquière une matérialité nommée « femme ».
Ou
pas. Car l´extériorité des formes qui me sont imposées ne
sont que gardiennes d´un modèle ; elle n´a pas la force
de plier complètement l´individue à ses diktats. L´assujettissement,
l´ auto -représentation autour d´un féminin pré-établi n´est
qu´une tentative répétée pour atteindre la fusion au modèle
de « la femme » idéale toute une vie durant,
L'affirmation identitaire autour de la dénomination "femme"
se fait alors sur un canevas qui s´établit au moment
même de la création de la « différence des sexes »
et détermine ainsi son importance normative dans les relations
humaines. Mais,
comment comprendre l´éclosion des féminismes, si les normes
et les valeurs ne pouvaient pas être bousculées, renversées,
si des individues n´avaient pas pu refusé les moules qui les
enfermaient ?Les sujets politiques « femmes »
ne sont devenus visibles que par l´action des féminismes contemporains,
forts de leur dynamisme et de leur réflexion critique.
Cela
ne signifie pas que les femmes n´aient pas été présentes dans
le scénario sociopolitique dans l´histoire des peuples.
Elles ont été rendue transparentes, meublant la pièce,
comme si elles ne faisaient pas partie de l´action par le
silence éloquent des sciences sociales. Sujets – politiques,
oui, mais toujours dotés d´une irréductible spécificité. Les
analyses féministes on montré, en long et en large, le rôle
et la généalogie des discours scientifiques /religieux / médiatiques
/ pédagogiques, dans la tâche acharnée de créer un second
sexe, inférieur, car marqué d´un corps spécifique, féminin,
différent, au demeurant. L´
infatigable discours social, l´itération constante du sens
commun à la philosophie, de la biologie à l´histoire et j´en
passe - sur « la » femme, au singulier,
sur ses devoirs, son apparence, son destin biologique,
ses défauts, sa sexualité, ses désirs, son corps, ses capacités,
ne cesse de vouloir remplir l´espace de représentations, de
colmater les fissures, de réaligner le Même sur l´apparence
du nouveau, de reconstruire la division de travail sexué,
les hiérarchies et les asymétries entre le féminin et le masculin.
De
nos jours, le sexisme est joué sous d´autres accords
. Femmes, sujets- politiques ? À la rigueur, oui, dans
la mesure où elles ne soient pas nombreuses dans les postes
de décision, où les tâches domestiques soient bien accomplies,
dans la mesure, enfin, où elles connaissent bien leur place.
De femmes. Mais la critique féministe des « évidences »
de la nature humaine a bouleversé les processus de production
du savoir : ce qui était censé être des discours de vérité
sur le monde apparaît comme étant des représentations créatrices
de valeurs hiérarchisées, des énnoncés vides de substance
mais instituteurs de relations sociales asymétriques. . « Qu´est-ce
qu´une femme » ? En détruisant les « évidences »
du naturel, les féminismes ont, selon moi, créé le sol pour
la critique actuelle des « vérités » de la science,
dévoilent son incontournable historicité. La
créativité féministe a fait du « genre », marque
culturelle du sexe, une catégorie d´analyse politique.
Cependant, vite domestiqué, surtout dans l´académie, le genre
devient le passe- par- tout des études sur les relations féminin
/ masculin, notamment au Brésil. Affublé de l´adjectif « relationnel »,
la catégorie « genre » perd son côté subversif,
dans la mesure où la construction sociale atteint femmes
ET hommes ; l´analyse oublie ainsi, au
passage, les marques d´hiérarchie et asymétrie , constitutives
du genre. Le relationnel du genre re- instaure le binaire
asymétrique et bloque l´impulsion transformatrice des représentations
sociales. En
plus, la catégorie « genre », comme l´a si bien
explicité Linda Nicholson, garde un certain déterminisme biologique
puisque le sexe, le corps sexué est la superficie pré-discursive
et le réceptacle des contours variables du genre. C´est encore
la spécificité des corps, antérieurs aux valeurs sociales
qui ancre les analyses de genre. C´est le retour en force
du sexe biologique « naturel », socle des mésaventures
du genre féminin. Je parle ici des significations attribuées
aux corps, aux délimitations autour des génitaux, à l´axe
de la reproduction qui oriente la construction du binôme sexe/genre.
C´est ainsi que l´histoire des femmes devient descriptive,
toujours attachée aux tâches et espaces d´action propres aux
femmes et que l´historicité de l´ humain se voit réduite à
la répétition du même. En effet, la production des significations de genre sont indissociables des significations attribuées au corps ; la question est, pourquoi le sexe est devenu le socle des rôles sociaux ? Pourquoi CE détail biologique est devenu l´importance majeure de l´humain sinon par les sens apportés à la reproduction ? Les corps sont là, leur matérialité est indéniable, mais l´importance donnée à certains de ses composants expriment l´institution du corps sexué, délimité par des régulations et normes, par une morale et ses effets de création du normal et du pathologique, du vrai et du faux, de la « vraie femme » et de ses ersatz. Il faudrait peut-être y débusquer les formes de pouvoir et domination que contiennent ces normes. Si le genre est variable
et ses significations confèrent une forme et un destin aux
corps, dans son historicité incontournable, le sexe
biologique est , en effet, sa création en tant que socle
des modes de subjectivation. Comme affirme Judith Butler «
la production du sexe comme instance pré-discursive doit être
comprise comme l´effet de la construction faite par
l´apparatus culturel, nommée genre »(Butler, 1990 :7)Mais
si le corps et le sexe sont produits par le genre, par les
significations sociales, que reste-t-il du sujet politique
« femmes » ? Quel est le futur de l´action
stratégique transformatrice, que reste-t-il, en fait, de nos
amours, épelés au masculin, ou au féminin, quel est l´opposé
qui m´attire, que devient-elle ma féminité qui me plaît,
mes atours qui me parfont, quelle est le nom, la désignation
qui me concerne, quelle est ma place au sein de Laissons donc de côté le genre ; il y reste toujours la différence sexuelle, qui me donne l´assurance d´une identité tout en me permettant l´action politique, en tant que sujet. Je veux la dénomination « femme », elle me plaît, me démarque, elle ancre mon activisme féministe. « Féminisme », mouvement des femmes pour les femmes, pour avoir des droits, du respect, de la citoyenneté. Femme, donc, différente. De qui ? Comment déjouer l´inégalité qui accompagne mon corps, habité par une spécificité qui fait de nous, femmes, toutes tributaires des significations communes ? La différence sexuelle en soi n'est ni positive ni négative, mais l'inégalité s´instaure lorsque cette « différence » établit des modèles façonnés par les valeurs sociales, soit féminin / masculin, une différence qui devient la base de la taxinomie de l'humain.Cette « différence », ainsi, marque la naturalisation des êtres humains à partir d'un de leurs composants – le sexe - qui devient l'expression de sa totalité . Les inégalités s´établissent donc, autour d'une évidence corporelle et puisque « naturelles » occultent les mécanismes de pouvoir qui les créent, voilent les pratiques discursives et non discursives du processus de différentiation. Si la différence peut-être une question philosophique au départ, l'inégalité est politique et la lutte pour l'égalité dans la différence apparaît comme une antinomie. En effet, la différence s´oppose à l´identité et, comme souligne Geneviève Fraisse(1995), le binôme égalité / différence économise la catégorie politique de l´inégalité. En effet, en assumant l´identité « femme » la problématique s´estompe, car j´affirme la différence et je délaisse les mécanismes de production de ce partage, ainsi que les pouvoirs qui le soutiennent. J´assume , dans ce cas, la représentation qui démarque mon infériorité sociale. Il est évident que les féminismes ont oeuvré de tout temps pour donner un autre tournant aux représentations des femmes, montré leur force et présence dans le social ; mais la lutte pour l´égalité est entachée par le poids des significations courantes liées au féminin, par des conditions d´imagination limitées, qui comprennent encore le féminin en tant que l´autre du masculin, délimitée par un cadre de valeurs et représentations normatifs.Le féminin est ainsi plutôt « le corps féminin » dont la spécificité dicte que son destin social est lié au biologique, fondement de la « différence sexuelle » promue en tant qu´axe primaire de l´humain. La différence sexuelle n´appelle donc pas à l´égalité, car son institution est l´expression même de l´inégalité politique. Lorsqu´on parle de « différence » nous sommes renvoyées à un référent, et dans ce cas, le référent est le masculin. Prétendu sujet- en- soi, le masculin exige cependant, la présence d´un autre inégal, d´un opposé qui lui confère, en fait, son importance et sa supériorité, qui assoie les disparités dans les pratiques politiques. Qu´est-ce que la « crise de la masculinité » sinon la dénomination donnée à la détresse d´une perte de pouvoir , si petite soit-elle ? Sur le terrain des paradoxes, les féminismes ont donc cassé la « nature », « l´essence » des sexes, tout en gardant le sexe biologique en tant que socle du sujet politique « femme ». C´est ainsi que plus de 65 ans de féminismes n´ont pas changé la division du travail sexuée, ni la vente et le trafic des femmes, la violence sociale et domestique, la prostitution, la pédophilie, une domination qui se prolonge et ne s´explique que par les mécanismes d´assujettissement et pouvoir exercée envers et contre les femmes. Car tout se joue maintenant sur le terrain des représentations binaires de l´humain et leurs significations, sur le sens donné au sexe et à la différence, sur une sexualité reproductive qui devient le noyau identitaire des femmes. Les représentations sociales, fondés sur des valeurs historiques , arbitraires et non essentiels sont le « détail » qui justifie et ré-crée les cadres de domination de l´un sur l´autre, car pour un référent, il y a toujours un autre, le différent, la différente. Je suis femme donc, dans le creuset de mon expérience symbolique et matérielle, faite de sens et de ratiques que je peux assumer ou refuser. Je suis proie, cependant, d´une extériorité qui m´assigne une place dans le social e ma voix est toujours nuancée par les accents du « féminin » , opposé, différent. Cependant, les négociations entre l´extériorité et mes pratiques d´existence font en effet que j´ai une identité sociale « femme » ; mais ce lieu de parole et d´action, je peux en fait le rendre mobile et multiple, pas du tout assujettie au modèle « femme ». L´expérience des femmes, loin de les restreindre à une matérialité donnée, leur permet de montrer inextricable imbrication entre le réel et ses conditions de production et d´imagination . En dévoilant les mécanismes d´assujettissement à une représentation donnée, les féminismes peuvent alors envisager une politique de déplacement continu, de critique radicale de l´identité et de la différence. Car la cristallisation d´une identité appelle à la différence. Mais la mobilité et le désir de changement créent du nouveau , l´espoir d´une condition humaine autre, où les relations ne soient définies ni par le pouvoir, ni par le sexe , ni par une quelconque différence.Transformer c´est aussi créer, inventer, donner vie à d´autres images, autres relations possibles, loin de la fixité des rôles, des attaches, des ancrages. Rester toujours autour du sexe et de la sexualité c´est tourner en rond, c´est prêter allégeance aux « maîtres du savoir » qui ont tracé les chemins permis aux femmes, qui ont parlé en leur nom, qui ont délimité leur corps autour d´orifices et des humeurs. Transformer c´est se moquer de l´importance que se donnent ces mêmes "maîtres du savoir"; c´est exposer le seul fondement de leurs édifices théoriques: l´arrogance des "discours vrais, sur le vrai, dans le vrai,"des constructions illusoires pour mieux contrôler, pour mieux domestiquer le multiple et la diversité. L´hégémonie, la nature et l´universel sont les mots utilisés par less fous du pouvoir; pourquoi ne rigole-t-on pas des discours de vérité, puisqu´ils sont si ridicules? Les dogmatiques, les psychanalytiques, les scientifiques de tout poil, qui les prend encore au sérieux dans leur illusion de codifier la réalité dans les étroits couloirs des vérités? Mais transformer c´est inventer d´autres mots, pas seulement défaire, déconstruire;on l´a déjà fait, on le fait encore, nous connaissons toutes les « figurations de Braidotti(1994), l´ eccentric subject » de de Lauretis(1990), le « cyborg » de Donna Haraway(1991), les pratiques subversives des « riot girls » ; toutefois, les mots reviennent régulièrement : différence sexuelle, sexualité, maternité, hétérosexualité, homosexualité, on ne dépasse pas le seuil du biologique, des génitaux, de la reproduction, ce qui montre l´incroyable force des représentations sociales . Nous, sujets politiques, ivres de mouvances, on voudrait que l´extériorité « femmes » ne soit plus métaphore pour les philosophes en quête de boussole ; ni matérialité crée pour le plaisir ou le désir d´autrui. J´ai cinquante et huit ans et je ne supporte plus de voir les petites filles vendues, je ne supporte plus d´écouter parler de « industrie du sexe » qui justifie et reproduit cette intolérable violence sociale qui est la prostitution ; d´ avoir devant les yeux cette brutalité domestique journalière qui assole les foyers, sous prétexte de subordinations, allégeances, primauté d´un sexe, d´une représentation sociale qui institue la différence. Je suis peut-être trop vieille pour avoir de l´espoir, trop jeune cependant pour l´avoir abandonné. Pourquoi ne pas tenter la créativité ? Ce n´est pas un paradoxe pour moi, féministe, de parler -en-femme tout en étant un sujet multiple, incurable déracinée, éternelle migrante de moi-même, sans quête d´absolu. Je suis féministe, oui, je lutte pour les femmes et je peste contre les femmes, mon désir est celui du nouveau, c´est d´éclater le cadre binaire qui nous ramène au schéma homme/femme, supérieur /inférieur, moi et l´autre, c´est un trop plein d´opposés, de la répétition du Même, d´une production de savoir trop teintée d´hiérarchies et de vérités définitives. C´est comme une aveuglante circularité qui nous fait tourner en rond et nous ramène au dispositif de la sexualité dans tout son éclat. Pourquoi la mouvance serait-elle synonyme de .paralysie politique ? Au contraire, dans la mouvance, plusque jamais le privé est politique, le personnel est politique, puisque les mécanismes de production des corps sexués, des identité des hiérarchies sont dévoilés ; l´action dans le social est prioritaire au niveau donc de la ré- création des images et des représentations sociales car , ne l´oublions pas, tout ce qui a été construit pas, peut être défait, renouvelée, substitué. Qu´ attendons nous pour changer ces images qui nous figent, les représentations sociales qui nous obligent, ces modèles de « femme » dont la signification reste attachée au référent du masculin,? Le sujet politique féministe est, aujourd´hui le centre des négociations entre l´extériorité sociale « femme », ses pratiques qui exigent droits et égalité et l´individue en quête de mutation, en état de critique radicale et permanente de la matérialité de son propre corps et de son processus de subjectivation. Au delà de la différence, la diversité, le multiple, le pluriel , sans référent, sans modèle, sans stéréotype. Sous cette optique la différence n´est plus. On ne la regrettera pas. Références:
HARAWAY, Donna J. 1991. Ciencia, Cyborgs Y Mujeres. La reinvención de la naturaleza, Valencia : Ediciones Catedra. BUTLER, Judith. . 1990. Gender Trouble. Feminism and the Subversion of Identity. New York : Routledge. de BEAUVOIR, Simone. 1966. Le Deuxième Sexe. L’expérience vécue, Paris , Gallimard ( 1er édition en 1949) DE LAURETIS, Teresa. . 1987. Technologies of Gender, Essays on Theory, Film and Fiction. Bloomington (Indiana) : Indiana University Press. DE LAURETIS, Teresa. 1990. « Eccentric subjects : feminist theory and historical consciousness ». Feminist Studies, Maryland, Vol. 16, no 1, Spring, p. 115-150. FRAISSE,, Geneviève..1995.
“ Entre égalité et liberté », in La place des femmes, les
enjeux de l´identité et de l´égalité au regard des sciences
sociales.Ephesia, Paris, Editions |