Dian Fossey : sur le sentier des gorilles.

tania navarro swain

Résumé :

Dian Fossey, est l´une des plus importantes primatologues que le monde ait connu. Grâce à elle, les gorilles de montagne furent préservés, pour lesquels elle leur a donné sa vie. Le Centre qui aujourd’hui porte son nom se charge d´accompagner l´évolution des groupes et des familles de gorilles, leur bien-être et leur tranquillité. Dian Fossey a fait de sa vie une aventure sans jamais se dévier de son objectif: l´étude et la protection des gorilles.

Mots-clé : Dian Fossey, gorilles, préservation

 

Une vie faite de détermination, d´une passion sans bornes pour les animaux, pour la préservation de la nature, elle mena une persécution implacable aux braconniers dont la cruauté des pièges se mêlait à la destruction de l´environnement et des espèces animales et végétales. La pauvreté de la population n´explique pas de telles pratiques, car elles se trouvent aussi dans des pays très développés. C´est le désir de tuer, le plaisir d´infliger la souffrance, de regarder et de provoquer la mort, c´est le goût du sang qui habite le masculin.

La préservation des gorilles défiait l´avidité du gain procuré par la vente de leurs mains et des têtes de ces animaux, utilisés par les acheteurs étrangers en tant que cendriers ou de trophées. Les bébés gorilles étaient envoyés aux zoos de plusieurs pays pour y mourir dans la détresse. Enchantée par ces magnifiques et pacifiques animaux, Dian Fossey leur a dédié une grande partie de son existence. Et cela lui a coûte la vie.

 

Petite histoire des débuts1 

Née en 1932, à San Francisco, Californie, Dian Fossey a été thérapeute et directeure du département pour les enfants exceptionnels dans un hôpital au Kentucky. En 1963, elle se rend en Afrique pour la première fois à l´âge de 31 ans afin de réaliser son rêve de toujours.

Grâce à un prêt bancaire, elle partit pour un long périple : Tanzanie, Zimbabwe et République Démocratique du Congo. Pendant ce voyage Dian connut George Schaller, pionnier dans l´étude des gorilles de montagne ; elle fit connaissance également de Jane Goodall, que était déjà sur place depuis trois ans pour l´étude des chimpanzés.

Le mentor de Jane était le Dr. Leakey, qui l´a encouragée à réaliser une étude de longue haleine sur les gorilles de la montagne Virunga ou Birunga. Son premier contact avec ces animaux a eu lieu lorsqu´elle accompagna un couple de photographes, Joan et Alan Root, qui faisaient un documentaire sur les primates en Ouganda, près des montagnes Virunga. Enchantée par ces animaux, Dian décida alors de changer le cap de sa vie et d´inaugurer une nouvelle carrière : étudier en détail la vie et les mœurs des gorilles. Cela lui a pris treize années, de façon presque continue.

Fascinée par ces beaux et mystérieux animaux, Dian Fossey retourne en Afrique, en 1966, pour y rester. Seule sous une tente, avec un guide local, Sanwekwe, elle commence son centre de recherches pour l´observation des gorilles dans les montagnes. C´est probablement grâce à son dévouement que les gorilles des montagnes n´ont pas été décimés. Un an après, 1967, Dian crée le Karisoke Research Center au Rwanda’s Volcanoes National Park.

De nos jours, ce centre s´appelle Dian Fossey Gorilla Fund International et compte 120 fonctionnaires qui assurent la protection des gorilles du Rwanda.

Cette Fondation protège les gorilles avec des patrouilles journalières et poursuit les recherches de Dian Fossey. De nos jours, le nombre total de gorilles est estimé à plus de 800 individus. Mais cependant, ils restent toujours menacés comme à l´époque de Dian Fossey, dû à l´occupation des terres aux alentours et au braconnage. Malgré les patrouilles, des pièges sont posés et même s´ils ne sont pas destinés aux gorilles, ceux-ci s´y prennent souvent et les blessures qui en découlent sont très douloureuses, souvent infectées et parfois mortelles.

Outre tous ces dangers, les gorilles, malgré leur apparence de force et de puissance, restent fragiles face à la contamination des maladies humaines, les blessures causées par les brutalités des rixes qui les opposent entre eux ou bien encore par les changements climatiques. La pneumonie, la malaria et d´autres affections ont été détectées dans des corps de gorilles lors d´autopsies. La destruction de leur habitat a évidemment des conséquences tragiques pour leur alimentation et leur santé. De nos jours au Rwanda, le Parc est encerclé et les touristes y sont admis en très faible quantité, à des prix très élevés dissuasifs, pour observer les groupes de gorilles.

Selon Fossey, les montagnes Virunga ( composées de huit volcans dont deux en activité) sont le seul lieu au monde qui abrite les gorilles de montagne (7). Ce territoire s´étend sur trois pays : le Parc National des Birunga au Zaire, le Parc National des Volcans au Rwanda et Kigezi Gorilla Sanctuary, em Ouganda. Dian fit ses recherches sur le côté rwandais et décrit ainsi son travail :

“ Les recherches que j´ai effectuées sur le gorille, ce grand singe de l´ordre des primates, d ´une grande douceur mais qui, à l´occasion, peut devenir vindicatif, concernent particulièrement l´organisation sociale et familiale. Elles ont permis de découvrir certains modèles de comportement jusqu´alors inconnus.” (7)

Pour cela, elle développa des méthodes personnelles, en imitant le comportement, les bruits et les mœurs des primates, ce qui lui permit de se mêler aux groupes familiaux, d´avoir un contact étroit avec eux et même de jouer avec leurs bébés. Les gorilles la connaissaient, ne la fuyaient pas, ni même la menaçaient. En fait, ils n´intimident que l´inconnu qui pourrait menacer leur groupe familial.

On peut dire, sans se tromper, que c´est grâce à Dian Fossey que les gorilles de montagne existent encore et qu´aujourd’hui leur population s´accroît. Malheureusement, c´est la raison pour laquelle elle a été assassinée.

Dian s´est fait connaitre du grand public grâce au reportage du National Geographic paru en 1968, avec des photos de Bob Campell, qui montraient Dian au milieu des gorilles.3 Évidemment, le film qui porte le même titre que son livre, fut un vigoureux moyen d´inspiration pour d´autres chercheures/urs qui aspiraient à continuer son travail. De nos jours, le centre Dian Fossey compte plus de 100 personnes qui y travaillent, entre chercheures, administrateures, guides et gardes.

Les gorilles dans la brume*

Lorsqu´on pense à la jungle africaine, on imagine la chaleur, l´humidité, la moiteur. La forêt de Dian Fossey, cependant, était tout à fait différente : le froid des montagnes, la fraîcheur de la pluie, la brume enveloppante.

Son premier voyage en Afrique en 1963 fut décisif pour que sa destiné change de cap. Elle se rendit d´abord en Tanzanie où elle rencontra Mary et Louis Leakey, qui s´avéra être une rencontre heureuse puisque Louis réussit à ce qu´elle reçoive un financement pour ses futures recherches. Dian partit alors au Congo, avec des guides et des porteurs. Pendant cinq heures, avec une cheville à peine guérie d´une foulure, Dian a grimpé les 3.141 m pour arriver à l´endroit où le pionnier George Schaller avait fait 450 heures d´observation des gorilles. (12) C´est alors qu´elle fit la rencontre des photographes Joan et Alain Root, qui vont par la suite beaucoup l´aider, principalement en lui présentant Sanwekwe, le guide qui allait l´accompagner plus tard et lui apprendre à suivre les traces des gorilles.

Avec eux, elle fit sa première rencontre avec les gorilles et en fut captivée pour toujours.

« Je n´oublierai jamais ma première rencontre avec les gorilles. J´entendis, je sentis avant de voir : le bruit d´abord, puis une puissante odeur musquée, une odeur de basse-cour, en même temps, une odeur presque humaine. L´air retentit soudain de cris perçants suivis d´un bruit de battements rythmés. C´était un énorme gorille mâle à dos argenté, caché derrière un rideau de végétation impénétrable, qui se frappait la poitrine. […] Nous nous arrêtâmes à une distance de cinq mètres environ. A travers le feuillage nous aperçûmes une panoplie de faces noires au cuir tanné qui nous fixait d´un air furieux et inquisiteur. [...]Je fus captivée au cours de cette première rencontre, par leur personnalité et la timidité de leur comportement. Je quittai Kabara avec regret, mais convaincue qu´un jour ou l´autre je reviendrais pour en apprendre davantage sur les gorilles de la montagne perdus dans les brumes ». (13-14)

famille

 

mamãe

En 1966 Dian était de retour, avec un financement du Dr. Leaky et de Leighton Wilkie, qui sponsorisait déjà les recherches de Jane Goodall sur les chimpanzés. (14-15) Par chance, Dian a rencontré les Root à l´aéroport, et Joan fut sa conseillère pour acquérir son matériel, tentes, éclairage, réchaud, literie, etc. (15)

Le Dr. Leaky lui a acheté une vieille Land Rover, devenue sa nouvelle compagne et qu´elle appela Lily. Et c´était parti pour 1.000 km du Kenya au Congo. Dian a pu compter avec la précieuse aide de celui-ci pour démêler les tracas administratifs afin d´obtenir un permis pour travailler à Kabara, dans le Parc des Birunga.


« Alan Root, qui entretenait de sérieux doutes sur ma santé mentale et celle du Dr. Leaky, décida finalement de m´accompagner avec sa Land Rover jusqu´au Congo. » (16)

Sa présence et son assistance furent essentielles lors de son installation à Kabara. Mais deux jours après il repartait et Dian se retrouvait seule. Il ne faut pas oublier qu´elle ne parlait pas la langue du pays, et au début se communiquait par gestes avec ses aides.

« C´était mon dernier lien avec la civilisation, telle que je la connaissais du moins, et la seule personne dans ces montagnes qui parlait ma langue. Je m´accrochai au poteau de ma tente pour m´empêcher de courir derrière lui. » (17)

Des éléphants lui rendirent visite au quatrième jour, et revinrent souvent...adieu donc, les beaux rêves de jardin potager. (18) Il y avait plein d´animaux dans ces forêts, à cette époque là. Dian, dès le début, passait la plus grande partie de son temps en forêt, des marches parfois épuisantes, de plus de 20 km, en montée. Sa vie était bien remplie :

« Je rencontrais presque chaque jour des éléphants, des buffles, des cochons sauvages géants et évidemment, des gorilles.Je notais soigneusement les détails concernant le temps, les oiseaux, les plantes, le braconnage et, bien sûr, les gorilles. Je fus bientôt submergée par les papiers. Je consacrais mes soirées à taper à la machine et à classer ma documentation. » (18)

 

L´installation

Au début Dian avait une tente et une installation précaire. Deux hommes étaient à son service et plus tard arriva Sanwekwe, son guide et maître dans le dépistage des animaux. Leur repas consistaient surtout de platées immense de patates douces, haricots et maïs.

Dian faisaient son approvisionnement une fois par mois ; 15 jours d´abondance et ensuite, se serrer la ceinture et manger des patates. Elle s´achetait surtout des conserves, du pain, du fromage, des légumes frais (19) et avait une poule, Lucy et un coq Dezi, ses compagnons, ses premiers animaux domestiques en Afrique. Plus tard elle adoptera une chienne, Cindy.

Sa tente avait deux mètres sur trois et « [...] me servait à la foi de chambre à coucher, de salle de bains, de bureau et de séchoir pour mes vêtements perpétuellement mouillés. » (19)

 

Des cageots faisaient office de bureau, de chaises, d´étagères et de placards. Les repas étaient préparés dans la cabane où logeaient les hommes, une vieille baraque décatie en bois. Les journées étaient longues et les marches épuisantes : pataugr dans la boue, se frayer un chemin à travers les taillis, ramper sur les mains et les genoux, monter plusieurs heures sur des pentes de 45 *, subir les piqûres d´orties, etc. (23) La pluie, le froid, la brume étaient très souvent au rendez vous. Elle avait toujours des gants, de hautes bottes, jeans épais et veste chaude. Le poids du matériel, appareil de photo, magnétophone, jumelles, thermos, rouleaux de pellicules, devenait parfois insupportable.(23)

Avec Sanwekwe, Dian apprît à dépister les traces laissées par différents animaux, dont les gorilles. Elle réussit à identifier trois groupes sur les pentes du mont Milkeno. Selon elle, ils vivent en groupes, qui varient autour d´une dixaine d´individus, suivant les naissances, les morts, les migrations des individus vers d´autres groupes. (20) Les adultes, mâles et femelles confondus pesaient chacun/une plus de cent kilos. Dian apprît à les identifier par la forme du museau, spécifique à chaque animal. (21)

mâle à dos argenté

C´est au fur et à mesure de son expérience qu´elle créa sa méthode d´approche :

« Observer les gorilles à leur insu présentait l´intérêt de ne pas altérer leur comportement, mais il y avait un inconvénient : les gorilles ne pouvaient s´habituer à ma présence. Je réussis à vaincre peu a peu leur réticence en imitant certaines de leurs activités. En me grattant et me nourrissant à leur manière et en émettant des vocalisations manifestant le contentement. » (21

Elle a vite compris que la station débout faisait peur au gorilles. Elle a donc adopté la position à quatre pattes lorsqu´elle les approchait. De plus, elle a parié sur leur curiosité qui les faisait grimper sur les arbres pour mieux la voir. Les contacts furent donc lents mais productifs. (22)

Sa vie au campement était dure, mais aussi pleine de surprises. Le comportement des gorilles était fascinant : en une occasion, Dian eut beaucoup de mal pour monter sur un arbre avec force soupirs et exclamations et telle fut sa surprise lorsqu´elle vit les gorilles qui la regardaient, assis en rang.

«  Il ne leur manquait plus que des sachets de caramels ou des esquimaux. Ce fut mon premier public et, certainement, le plus inattendu. » (22)

Mais ses jours au Congo étaient comptés.

Une rébellion s´est produite au Congo, (nouveau Zaïre) et un beau jour Dian s´est retrouvée escortée par des soldats qui l´attendaient à son campement pour l’évacuer, ce qui fut vite exécuté. Elle fut détenue dans un camp militaire sans explications et dût payer 400 dollars pour légaliser sa Land Rover, qui avait une plaque d´immatriculation de l`Ouganda. Pour payer cette somme, elle fit croire aux militaires qu´il lui fallait aller en Ouganda chercher son argent : l´appât du gain eut le dessus et ils décidèrent de l´escorter jusqu´à là.

« La nuit précédant notre départ je chargeai subrepticement Lily avec toutes mes affaires, mon matériel de photo, Lucy et Dezi. […] Les hommes étaient déjà très excités au moment du départ. » (25 )

Et ils se sont saoulés tout au long du chemin ; à la frontière les palabres furent interminables. Bref, elle réussit à passer la frontière et se cacher dans un hôtel à Kisoro, le premier village sur le chemin ; le propriétaire, Water Baumgartel s´occupa des papiers pour qu´elle puisse rester en Ouganda.

Malgré tout, Dian fut interrogée pendant plusieurs jours. Finalement relachée, elle reçut l´autorisation de partir à Nairobi et c´est là qu´elle apprit qu´elle avait été déclarée morte. À l´ambassade américaine on lui a dit que :

« […] il était hors de question que je retourne au Rwanda car j´en serais immédiatement expulsée et refoulée au Zaïre où j´était considérée 'prisonnier évadé' » (26)

Impasse. Panique.

Le Dr. Leakey, son sponsor, était là par chance et réussit enfin à optenir la permission qu´elle puisse s´envoler pour le Rwanda, avec un nouvel équipement. Apparemment, les choses arrivaient toujours à s´arranger...

« J´allais retrouver des gorilles sur les pentes des monts Birunga. Je me sentais revivre. » (26)

De nouveau, il lui fallait repartir à la recherche d´un endroit où s´installer et Dian dut monter jusqu´à 3.600 m pour trouver le lieu adéquat. Les braconniers et les troupeaux se concentraient plus bas. Et c´est à cette altitude qu´elle eut la chance de redécouvrir le groupe de gorilles dont elle avait fait connaissance à Kabara, cinq mois auparavant.

 

« Ce fut l´un des plus merveilleux cadeaux de bienvenue que j´aie jamais reçu. Les gorilles me reconnurent. » […] Plus de dix ans ont passé. Assise à ma table de travail, je peux voir de la fenêtre ce même terrain que j´avais découvert de mon poste d´observation ce jour-là, et mon cœur est toujours rempli d´une joie aussi vive. Au cœur des volcans des Birunga, parmi les gorilles, je me sens chez moi. » (27)

Dans son livre, Dian raconte en détail la vie des gorilles, leurs réseaux familiaux, les naissances, les morts, leur quotidien. Elle suivit la déambulation de 9 groupes, dont elle connaissait chaque individu, leur ayant donné à chacun un nom. (163-195) Les groupes se formaient et se désintégraient selon les migrations des femelles, les morts naturelles ou les massacres opérés par les braconniers.

Dian a procédé à un recensement annuel (152) des gorilles ; son amie qui l´a aidée depuis le début, Alyette de Munk et le photographe du National Geographic Bob Campell (161), furent les premiers à travailler avec elle pour cette tâche.

«  Il fallait parcourir chacun des six volcans, des cols aux sommets, explorer les pentes et les ravins. » (152) explique-t-elle.

Quelques étudiants se montrèrent efficaces dans l´accomplissement de cette tâche, mais d´autres ne furent pas capables de supporter la dureté de la vie en forêt : les marches épuisantes, l´immobilité de l´observation pendant des heures, le froid, l´humidité, le manque de confort dans les bivouacs journaliers. Elle eut 21 étudiants qui sont venus au camp pendant une période de 11 ans, mais elle n´a gardé un bon souvenir que d´une petite poignée d´entre eux. (154)

Pour elle, ces jours étaient extraordinaires :

«  En ce qui me concerne, je garde un souvenir impérissable de cette expérience avec l ´aiguillon de la recherche, l´émerveillement à la rencontre d´un nouveau groupe de gorilles, l a sauvage beauté du paysage et le plaisir de se faire un chez-soi avec pour tout bagage une tente et ce que la nature, dans sa bonté nous fournissait. » (153)

 

Ré-installation : le centre de recherches Karisoka

Le Parc des Volcans au Rwanda, où vivaient les gorilles fut amputé de 8 000 ha en 1969 pour donner place aux plantations de pyrèthre , matière première dans la fabrication d´insecticides. Sans protection efficace, l´action des braconniers se développait. La pauvreté secondée par l´ignorance eut pour résultat le ravage du paysage par le feu et des plantations, ainsi que la tuerie in-discriminée des animaux. C´est ainsi qu´elle le raconte :

« Sous le brouillard épais, nous marchions à travers les champs de pyrethrum, au milieu d´un paysage dévasté par le déboisement. On pouvait voir, ça et là, quelques troncs de magnifique Hagenia, seuls vestiges de ce qui avait été une forêt luxuriante. Je ne retrouvais pas l´exaltation que j´avais ressentie en escaladant la montagne pour aller à Kabara. J´avais l ´impression de marcher à travers une région saccagée par les bombardements. » (31)

Pour arriver à la zone de forêt du Parc, il fallait traverser un tunnel de lave, large de 2m et long de 10m, utilisé par les éléphants, avant qu´ils soient décimés par le braconnage. C´était comme un passage qui marquait la divisons entre deux mondes : la terre dévastée par les hommes et le domaine d´une épaisse forêt (32) qui avait des arbres de plus de 2m de diamètre et de nombreuises espèces propres à l´alimentation des gorilles.

C´est donc dans les hauteurs que Dian s´installa, dans le froid et la brume des montagnes à plus de 3000 m : le 24 septembre 1967, à 16:30, le Centre de Recherches, qui allait attirer l´attention du monde et recevoir des chercheurs et des étudiants, était créé. (33)

Dian choisit, parmi les porteurs, trois hommes qui voulurent bien rester avec elle dans le campement et les tentes furent posées, une pour elle, une pour les hommes, à une certaine distance. Plus tard, des cabanes en toit de tôle seraient construites.

« Je connus parfois la solitude des pionniers mais aussi des joies exaltantes. » (34)

Dian était seule avec des hommes, leur communication était précaire et ils ne comprenaient pas grand chose à ses objectifs ; afin d´obtenir un rythme de travail, elle créa une routine sévère pour le quotidien des activités et du campement. La lutte contre les braconniers, le dépistage des groupes de gorilles ainsi que les travaux d´aménagement, la corvée du bois, l´alimentation : c´était en fait, une vie très remplie. Elle occupait ses nuits à organiser ses notes et les photos prises dans la journée. (121)

Cette époque, dit-elle, fut magique. Peu de contacts avec l´extérieur, un silence plein de mystères, seulement les bruits de la forêt, la présence de toute sorte d´animaux près du camp. D´ailleurs, la solitude n´était pas un problème pour Dian. Elle trouva les premières années très productives, car son temps était dédié presque entièrement à l´observation et à l´approche des gorilles. Même avec un confort très précaire, les vêtements toujours humides et le froid ambiant que seule une petite lampe à pétrole tentait d´amenuiser. Le soir, on entendait taper à la machine. (121)

«  Quand je contemplais les montagnes sauvages et désertes, je me sentais l´être le plus heureux du monde » (121)

Dian resta un an et demi logée dans sa tente, puis des amis sont venus l´aider à construire une cabane avec une cheminée, des nattes tissées à la main pour isoler les murs et le plancher, des bureaux, des étagères et même des rideaux. Le luxe ! (122) Petit à petit, d´autres cabanes poussèrent, neuf en tout, destinées aux employés, aux étudiants et aux chercheurs éventuels. (127)

Elle adopta une petite chienne, Cindy, qui devint partie intégrante du camp et aimée de tous. (122) Un jour elle fut kidnappée : des bergers ou des braconniers ? Dans le doute, Dian a retenu dans le camp quelques têtes de bétail - sept vaches et un bœuf- (123)| pour avoir une sorte de monnaie d´échange. Elle envoya des hommes dans la forêt, en criant un message : pour chaque jour que Cindy ne serait pas retrouvée, une vache serait tuée. Cette tactique a très bien marché puisque le propriétaire des animaux – Muturutkwa- est vite venu la voir pour communiquer qu´il avait découvert où était Cindy :

«  Le matin j´« armai » mes hommes et Muturutkwa de pétards et de masques d´Halloween pour l´« Opération sauvetage » de Cindy. Dans le style des Marines, les trois hommes prirent d´assaut l´ íkibooga, en lançant des pétards dans le feu du camp et, profitant de la confusion, enlevèrent Cindy, pendant que les braconniers prenaient la fuite. (124)

Muturutkwa devint son ami et bientôt prit la place du chef des patrouilles anti-braconnage des Birunga. Mais Dian fut très critiquée pour cette opération : on a commencé à dire qu´elle avait l´habitude de voler et de tuer le bétail des africains . Ce fut ce genre de distorsion qui créa une mauvaise réputation pour Dian, ce qui arrangeait beaucoup de monde, notamment ceux qui profitaient du massacre des animaux et spécialement des gorilles.

Le camp était très souvent visité par toute sorte d´animaux : des éléphants, de buffles, dont deux, Ferdinand et Mzee, habitants permanents du Camp et des antilopes, qui en fait y trouvaient refuge (127). Mzee avait l´habitude de venir chercher des câlins, dès qu´il entendait la voix de Dian. (129)

Une petite antilope, Primus, fit la gaîté du camp : orpheline, elle s´identifiait aux poules, à Cindy, et ne frayait pas avec les autres antilopes. Ses jeux, ses sauts, sa présence enchantaient les visiteurs et les aides de Dian ; n´ayant jamais été chassée elle ne ressentait aucune crainte. (127)

Une nouvelle compagne vint également ajouter à la gaîté de la vie du camp : Kima, une petite femelle de singe bleu.

Elle avait été capturée par un braconnier qui l´a offerte à Dian lors d´une de ses visites au village. Il voulait 30 dollars pour le contenu d´un panier dont Dian s´est emparé tout de suite, voyant la petite boule noire plus morte que vive au fond.

«  Je me saisis vivement du panier, mis la voiture en marche en menaçant le braconnier de poursuites s´il capturait encore des animaux dans le Parc. Tandis que l´homme prenait la fuite, je plongeai mon regard dans deux grands yeux bruns et timides. C´est ainsi que commença une histoire d´amour qui devait durer onze ans. » (125)

En fait Dian s´occupait de tous les animaux qui lui tombait entre les mains. Ce fut une fois une petite chienne, très blessée par un piège qui lui avait entamé les chairs jusqu´à l´os. Dian la soigna pendant trois mois et par chance, lors de l´arrivée d´une équipe de l´ABC TV., elle fut adoptée par Earl Hollinam, acteur membre de l´ONG « Actors and Others for Animals ». Elle est partie pour Hollywood et est devenue une vraie star. Ses cachets servirent à défendre la cause des animaux. (132)

«  Je me mis à rêver à la disparition du braconnage et au jour où les animaux pourraient enfin faire confiance aux être humains » (128)

Elle pouvait toujours rêver...

Il y avait des gardes forestiers, certes, mais ils ne faisaient strictement rien. Le parc était laissé à l´abandon, en proie à toutes les invasions des prédateurs humains. Dian dut organiser ses propres patrouilles en fournissant aux gardes un salaire, de la nourriture et des uniformes pour essayer de les sortir de leur apathie. (103) Elle prit donc en main la guerre contre le braconnage et commeça par détruire les pièges qui assuraient une mort lente et douloureuse aux animaux qui s´y prenaient, dont les gorilles qui, au hasard, en étaient victimes également. (35, 38) Pris au poignet ou à la cheville, les gorilles mouraient d´infection, en une lente agonie. (38)

Il y avait aussi des trappes, grands trous dont le fond étaient hérissé de piquets. Dian tomba dans l´un de ces instruments de mort mais dont les pics, par chance, étaient émoussés.(36) Elle réussit à en sortir en creusant des marches sur le côté. «  Ce fut la seule fois de ma vie où je fus satisfaite de mesurer un mètre quatre-vingts ». (37)

On trouvait aussi des nœuds coulants sur la hauteur des baies sauvages qui prenaient les antilopes au cou et les étranglaient petit à petit. Autre sorte de piège : une barrière de troncs qui formait un couloir se rétrécissant au fur et à mesure que l´animal arrivait au bord d´un précipice. Les chasseurs attendaient en bas les animaux qui y tombaient. (37) Un autre dispositif qui faisait tomber des troncs d´arbres si l´on touchait à un fil de fer caché dans les feuilles a failli tuer un étudiant. (37)

Voilà les résultats :

On trouve des photos impressionnantes des armes, des pièges, des corps éventrés, des têtes coupées de toute sorte d´animaux, notamment des gorilles.

La lutte contre le braconnage était perpétuelle. Celui-ci visait surtout les antilopes. Dian a même appris à les libérer, tâche très difficile car, blessé et apeuré, l´animal se débâtait et ruait. (39) Lors d´une de ces libérations, quelques gorilles sont restés perchés sur les arbres pour l´observer.

«  Quand l´antilope fut libérée et s´échappa d´un bond, les quatre gorilles se frappèrent vigoureusement la poitrine et descendirent de leur perchoir. Leur sens de l´observation, leur curiosité m´émerveillèrent, une fois de plus. » (39)

Mais elle n´acceptaient pas des « accommodements raisonnables » avec la présence des troupeaux dans le Parc et sa « chasse aux chasseurs » était impitoyable. (43)

En une occasion, Dian a capturé un jeune garçon, le fils du chef des braconniers, qu´elle emmena sous sa tente, muni de ses armes.

« Je voulais engager des discussions avec son père et les autres chefs braconniers pour leur demander de cesser leurs activités sur le flanc des montagnes.[...] Mon captif passa deux jours très agréables au campement[...]J´échangeai l´enfant contre la promesse que me fit Munyarukiko de ne plus chasser sur les contreforts du mont Visoke. (36)

Cette tactique fut bien comprise parce qu´il tint parole.

Dian raconte cet épisode en toute innocence, mais qu´est-ce elle a donc fait ? » Les gens se sont scandalisés, criant à la torture, disant qu´elle prenait des « attitudes extrêmes et agressives », qu´elle utilisait des méthodes « controversées », créant ainsi des « vérités » destinées, en somme, à disqualifier son travail car, soi-disant, elle aimait plus les animaux que les hommes. 4 Même sa position ferme face au laxisme des autorités fut critiquée.

En fait, c´est la femme qu´on critiquait, car pour un homme son attitude serait considérée « virile », positive, affirmative.

Pour une femme, malheureusement, les critiques et les attaques font partie de l´aventure. Imaginez donc cette grande femme, qui impose ses règles, défie l´autorité masculine, vit de façon indépendante, mène un travail dont l´importance dépasse la compréhension locale, qui vit seule, sans un compagnon attitré pour lui donner le sceau de sa masculinité.

Dans un culture misogyne, polygame, comme celle de la plupart des pays africains, où les femmes n´avaient aucun droit, et n´ avaient pas encore relevé la tête, Dian était vue par les natifs comme un être bizarre; en tant qu´étrangère on lui accordait un certain respect, mais en fait, puisqu´elle bravait les chasseurs, braconniers, éleveurs, gardes et autorités relapses, elle vivait toujours dans un état de résistance.

Je ne vois en Dian qu´une femme libre, accrochée à un rêve, amoureuse des animaux, de la forêt, de la beauté de la nature, risquant sa vie continuellement pour eux. Quotidien difficile et rude. Les contraintes étaient traitées, cependant, à leur juste mesure ; sa joie de retrouver les gorilles et de se mêler à eux n´en souffrait point.

En effet, les gros problèmes venaient des hommes, des braconniers, des éleveurs, des planteurs de pyrèthres qui envahissaient les forêts et détruisaient la nature. Elle fut accusée maintes fois de ne pas s´occuper des gens, de ne pas aimer les gens, seulement les animaux. C´est le refrain qu´on entend toujours lorsqu´on veut protéger les animaux, qui sont en fait aussi importants que les humains et ont le même droit d´exister et de vivre en paix sur terre. Mais ils n´ont pas de voix pour crier leur détresse. Et je me demande : comment aimer ces gens qui tuent et détruisent de manières les plus cruelles et in-discriminées ? Sont-ils dignes de la moindre considération ? Quelle genre de pensée colonialiste peut accepter n´importe quoi en tant que « culture » ?

Que ce soit des gorilles, des tigres, des éléphants, des chiens ou chats, les antilopes, les ours, ou tout autre animal, c´est la bigoterie ambiante qui s´attaque à leurs protecteurs, au lieu de blâmer les agresseurs. On oblitère ainsi le rôle des hommes dans le ravage et la destruction des ressources de la terre, qu´elles soient animales, végétales ou hydriques. Protéger les animaux est, à mon avis, aussi important que de protéger les femmes des exactions masculines, ou protéger les enfants de la maltraitance ou bien l´environnement des attaques insidieuses des profiteurs, toujours à la recherche du gain, du profit quelles qu´en soient les conséquences. Briser le silence qui entoure toutes ces pratiques, est un devoir et une nécessité.

Dian n´avait à faire qu´à des hommes, qui, à quelques exceptions près, la trouvaient gênante quant à leurs intérêts ou leurs affaires. Elle s´est battue non seulement contre l´ignorance et la méchanceté, mais aussi contre l´appât du gain : qu´importe si les animaux sont en voie de disparition si je peux remplir ma bourse, en les tuant et les offrant en pièces, comme ce fut le cas pour les gorilles, leurs mains et leurs têtes vendues sur les marché.

Elle déplorait l´action des autorités qui, en voulant capturer des gorilles pour les envoyer à des zoos, tuaient plusieurs individus qui défendaient leur famille. En s´insurgeant pour défendre les gorilles et autres animaux de la forêt, Dian s´attirait toutes les foudres de ceux qui s´intéressaient à leur exploitation, d´où les calomnies et les reproches acerbes devant son refus de céder à certains compromis. Intransigeante ? Oui, bien sûr, attitude à laquelle on ne s´attend pas de la part d´une femme.

Dian a mis quatre ans pour enrayer le braconnage et a même eu des chasseurs infiltrés parmi ses aides. (42). Les braconniers se vengeaient avec le sumu, la magie noire, ce qui effrayait ses aides et limitait leur action. (40) Quant aux troupeaux, elle avait des scrupules pour demander aux éleveurs de quitter la montagne, car c´était une activité traditionnelle dans la zone des volcans.Cependant,

« Les parcs nationaux ont été conçus pour protéger la flore et la faune. Cet objectif ne peut souffrir de compromis. » (41)

Les tentatives de délimiter le Parc ont maintes fois échouées ou ont détruit plus que conserver. Par exemple, en 1970 les arbres furent brûlés sur une longueur de 4 km et 12m de largeur, afin de délimiter la frontière entre le Zaire et le Rwanda, ce qui devait empêcher les bracconiers et les chasseurs de passer la frontière selon un technicien occidental qui travaillait à ce projet; (46)

Ahurie, Dian ironisa:

“ Je ne puis que lui demander où il fallait s´adresser pour obtenir un visa afin que les gorilles, les éléphants et les antilopes puissent rendre visite aux membres de leur familles habitant de l´autre côté.” (46)

>La défense acharnée que Dian a déployée en faveur des gorilles et autres animaux a ainsi créé les fameuses « controverses » sur son activité. La question de fond est : une femme ne doit pas s´opposer aux hommes, une femme ne doit pas s´irriter, une femme ne doit pas mettre en question l´autorité, une femme ne doit pas vivre sans homme, une femme ne doit pas commander, une femme ne doit pas imposer ses règles. Et ainsi de suite...

Dian était appelée par les africains Nyiramachabelli , soit «  La veille femme qui vit sans homme dans la montagne ». Les braconniers la détestaient, les éleveurs ne l´aimaient pas, les autorités du Rwanda la supportaient car elle assurait ce qu´il ne faisaient pas : la protection du Parc des Volcans.

En fait, si l´on veut mettre les points sur les ii, le patriarcat, ce système de domination des femmes, s´impose aussi sur les animaux et sur la nature. L´intérêt, le gain, le pouvoir, l´assujettissement sont les objectifs de ce système ; le patriarcat, cependant, n´est pas une entité fantôme qui étend ses griffes sur le monde. C´est, au contraire, une réalité créée et maintenue par les hommes, par le masculin, ceux qui arborent un air de supériorité de seigneurs du monde.

Femme, Dian se voit confrontée à la communauté masculine, cette fraternité qui assure et pardonne toutes les exactions commises par ses membres, dont l´identification se fait par la possession d´un pénis. C´est, en fait ce patriarcat qui va reserrer ses filets pour aboutir à l´assassinat de Dian Fossey. On n´est pas étonnées que son assassin n´ait jamais été retrouvé.

 

Les visiteurs

Au début des année 1970, des étudiants sont venus au Centre, des photographes, des prétendus assistants, des touristes, qui en fait, la plus part du temps, lui causaient plus de problèmes que de satisfaction ou d´aide. Elle avait parfois à se battre contre certains d´entre eux, de vrais intrus, qui n´observaient pas les règles d´approche des gorilles, une opération délicate, car ils sont très féroces pour défendre leur famille. Ils suscitaient des disputes, s´imposaient sans vergogne ; il y eut un professeur de biologie qui alla jusqu´à mettre le feu dans les cabanes, par pure négligence. (156) Des documents et des notes irremplaçables furent ainsi perdus. Et jamais il ne s´est excusé.

Selon Dian, les gorilles, em général, n´attaquent pas les gens qu´ils connaissent et même des inconnus ne reçoivent qu´une tape, à condition de ne pas courir. (60) Mais s´ils se sentent menacés c´est une autre histoire.

Dian raconte le cas suivant :

« […] un jeune touriste essaya de prendre un enfant du groupe 5 dans ses bras, malgré les cris d´alarme poussés par les gorilles. La mère et le mâle à dos argenté chargèrent avant qu´il ait pu toucher le bébé. Le jeune garçon prit la fuite. Instantanément, les parents gorilles furent sur son dos, le mordant et mettant en pièces ses vêtements. Plusieurs mois après, je le rencontrai à Ruhengeri. Il portait encore de profondes cicatrices sur les bras et les jambes. » (61)

Par contre, elle tint à distinguer Tim White et Ric Elliot (158) du reste des visiteurs. Ils restèrent au centre l´un et l´autre 10 mois. Ric était vétérinaire et a beaucoup aidé en enseignant à Dian et ses aides africains certains soins, à faire des autopsies sur les gorilles morts et des recherches en parasitologie. (158)

Ian Redmont, un Anglais, se révèla aussi une aide précieuse.

« […] très aimé des Africains. Le soir, il s´asseyait avec eux autour du feu et partageait leur repas de maïs, de haricots et de patates. Il était chez lui dans la forêt, ce qui est rare pour un Européen. Il participait aux patrouilles anti-braconnage et aux opérations de recensement. Il parcourait très facilement près de vingt kilomètres par jour et, quand il était trop loin du camp, passait la nuit sous un Hagenia, couché sur la mousse avec un poncho pour toute couverture. » (159)

Ian fut attaqué par un braconnier avec une lance, dirigée sur sa poitrine, mais qu´il a heureusement déviée de son poignet. Sa blessure a mal guéri, son poignet est resté déformé. En fait, les braconniers n´hésitaient pas à assassiner qui était sur leur chemin.

Ces trois visiteurs ont laissé de très bons souvenirs et un vide après leur départ.

« Grâce à leurs efforts inlassables, ils ont grandement contribué à la préservation active des gorilles. Pour mon équipe et pour moi-même, ce sont les meilleurs amis que nous avons jamais eus. »(160)

Dian remercia également, dans son livre, ses aides africains, sans lesquels, dit-elle, Karisoka n´aurait pas pu exister.

«  Ils n´attendaient ni louanges ni récompenses. La satisfaction du travail accompli leur suffisait. » (160 »

Elle passait les fêtes de Noël avec eux et leurs familles, aux sons de chants accompagnant des danses qui s´inspiraient des événements de l´année. Dian les a tous enregistrés. «  Ces enregistrements restent parmi mes souvenirs les plus précieux de Karisoka. » (161) dit-elle.

 

L´approche

Son travail était géneralement épuisant, avec de longues marches journalières sur les pentes des montagnes pour retrouver les groupes des gorilles. Le soir, il fallait transcrire les notes, les organiser, ainsi que les photos. Lorsqu´elle a pu monter des patrouilles anti-bracconage, son emploi du temps fut plus allégé, mais tout aussi chargé par l´administration du camp et le travail sur le terrain.

Dian avait ses méthodes particulières pour approcher les gorilles: à leur vue, elle se mettait à quatre pattes et rampait pour les rencontrer, tout en faisant des vocalisations semblables aux leurs, ou se tapant la poitrine pour les imiter.5 Ainsi elle a suivi une cinquantaine de gorilles, répartis par groupes, pendant plus de 10 ans. Ils avaient tous un nom, une identification faite suivant la forme des museaux qui sont spécifiques à chacun, telle une empreinte digitale. Elle en suivait certains depuis leur naissance, puis accompagnait leur socialisation et leur développement. Dian s´était imposé la règle de ne pas intervenir dans leur vie ; mais cela lui coûta beaucoup, surtout quand ils étaient blessés ou souffrants. (64-65)

Elle raconte en détail la vie des gorilles (66-75), leur alimentation, leurs jeux, leur repos, les migrations inter-groupes, les bagarres éventuelles, la constitution des familles, leur sexualité, dont l´homosexualité (71). Ils démontraient beaucoup de gentillesse entre les membres de la même famille (83), mais une agressivité féroce entre les groupes (84) ce qui, parfois, aboutissait au meurtre et même à l´occasion un infanticide par des mâles.

Leur curiosité était sans bornes. Les petits montaient sur elle, prenaient ses affaires, examinaient tout ce qu´elle avait. (79-80) La mère, attentive, regardait de loin et à un certain moment venait chercher son bébé. (90-92)

Il y avait une grande diversité dans le comportement des mères, quelques unes affichaient un certain détachement, d´autres des soins jaloux. Les mâles participaient aussi aux jeux et aux soins des enfants. (174) Il y avait des mâles dominantes et des femelles également, (170) selon ce que Dian a pu observer. (167)

Dian ne faisait donc pas une observation éloignée, mais bien rapprochée : parfois, elle participait à la vie du groupe, mangeait comme eux, “parlait” comme eux. Rien ne pouvait être plus gratifiante que cette proximité et Dian mentionne plusieurs fois la joie et le bonheur qu´elle ressentait à leur contact.

Leur curiosité l´étonnait toujours ; Puck était un très jeune enfant dont elle raconte les approches :

« […] J´étais souvent submergée par le nombre d´enfants essayant d´attraper mon matériel que je ne parvenais pas toujours à protéger.[...]certaines pièces de mon matériel avaient une grande valeur mais Puck les maniait avec soin et les protégeait des autres membres du groupe. […] Pour calmer Puck j´enfreignais une de mes règles : ne pas donner aux gorilles des objets. Je lui tendis un exemplaire du magazine National Geographic. Je fus stupéfaite de l´habilité avec laquelle il tournait les pages. Il montra un vif intérêt pour les photographies de visages en couleurs. Au bout d´une heure et demie, il laissa tomber le magazine. Les autres membres du groupe s´étaient levés pour aller se nourrir. Avant de les suivre, Puck courut vers moi et me donna des tapes de ses deux mains, comme s´il avait médité ce châtiment pendant la sieste. » (79-80)

Son contact avec les gorilles était journalier et elle suivait de près un groupe ou un autre, selon les chemins qu´ils prenaient ou le besoin de vérifier l´état des individus, de façon à être toujours au courant de la situation de chaque groupe.

 

Coco et Pucker : le déchirement

Il y a eu des épisodes très marquants et très douloureux pour Dian, qui ont mis son cœur en miettes. Ce fut le cas d´une petite femelle capturée pour être envoyée à un zoo, en Allemagne.

Dian et bébé gorille

L´administration du Parc lui avait demandé de saisir un bébé gorille pour un zoo en Allemagne, en échange d´une Land Rover et une somme d´argent. (104-104) Dian resta abasourdie par cette requête. Elle a longuement expliqué au conservateur la force des liens familiaux entre les gorilles et qu´un massacre se serait produit lors une telle tentative de séparation. (104) Il a obtempéré, mais en cachette a fait capturer une femelle bébé par des braconniers, qui ont tué, par la même occasion, toute la famille composée de dix individus. (105) Tout comme l´avait prévu Dian...

Et elle fit observer que :

«  Dans les trois pays, les responsables de la préservation des animaux sauvages n´ont aucune formation et ne connaissaient rien à la complexité des problèmes que pose la sauvegarde des gorilles. » (104)

Pour eux, les gorilles devaient générer du profit : ils ne comprenaient apparemment pas l´importance des groupes familiaux pour la préservation des ces primates. Ni le besoin de préservation de l´espèce. C´est ainsi que la petite femelle fut capturée et maintenue dans une cage, dans un état de stress absolu. Lorsque Dian a eu vent de sa capture, six semaines s´étaient écoulées et la petite était presque mourante.

Sans plus tarder, Dian est alors descendue de sa montagne, et a trouvé le petit animal dans une espèce de cercueil, entouré par de nombreuses personnes et surtout des enfants. Repoussant tout le monde, Dian entra dans le bureau du conservateur et malgré ses protestations, relâcha la petite :

« La petite boule de poils se précipita à l´extérieur et, avant que le conservateur ait pu faire un mouvement, le mordit à la jambe. Elle courut ensuite vers les fenêtres […] elle frappa les vitres avec une telle force que je craignis un instant qu´elle ne les brise.[...] Il fallait de toute urgence ramener l´animal au camp et je n´avais pas une minute à perdre en discussions » (105)

C´est ce genre d´action qui lui ont valu les épithètes d´ « intransigeante », « brusque  dans le traitement avec les autorités», ses fameuses « méthodes controversées ». Elle a simplement informé le conservateur qu´elle allait prendre la petite gorille et la ramener à la montagne. Dian connut plus tard les conditions de la capture de la petite femelle : d´abord on a tué toute sa famille, ensuite elle fut transportée pieds et mains liés, suspendue sur une tige de bambou ; elle fut ensuite mise dans une cage minuscule où elle ne pouvait pas se mettre debout ou se retourner, pendant deux semaines. Pour finalement aboutir au cercueil dans lequel Dian l´a trouvée. (105) On ne peut regretter ici que, pour la sauver, les méthodes de Dian n´aient pas été plus « controversées ».

Dian lui donna le nom de Coco (106). Elle n´avait que trois ans et Dian s´est promis de la remettre en liberté. Elle transforma une pièce de sa cabane en un lieu reproduisant au mieux l´habitat des gorilles. (106) Pour la transporter jusqu´à son camp, Dian l´a mise dans un parc d´enfants, fermé par une planche. En arrivant,

«  Je restai enfin seule, au calme, avec le bébé-gorille. J´enlevai doucement le couvercle du parc, sans trop savoir ce qui allait se passer. […] Coco sortit directement du parc et commença, tout étourdie, à marcher au milieu des feuilles et des tiges, les tapotant comme pour s´assurer de leur réalité.[ …] Enfin, elle se mit debout, me fixa intensément pendant une minute puis vint en rampant se blottir contre moi. » (107)

Ensuite, Coco s´est mise près de la fenêtre et commença à sangloter en regardant les pentes de la montagne, à verser de vraies larmes. « Je n´avais jamais vu pleurer un gorille », dit Dian. (107)

Non, les animaux n´ont pas de sentiments, ne sentent pas la douleur, la peur, l´angoisse. Comme les humains. L´humanité n´a pas encore admis que les animaux sont scients, intelligents, qu´ils comprennent et éprouvent toute la gamme de sensations connues, de l´affection, de l´amour, de la peur, de la haine, de l´affabilité, de la curiosité, de l´ingéniosité, des troubles psychologiques, d´un fort sentiment d´appartenance, surtout en ce qui concerne les gorilles.

Coco commença a dépérir.

« [… ] le traumatisme de la capture ajouté aux mauvais traitements sont plus qu´ils n´en peuvent supporter. Les secours arrivent généralement trop tard. Coco cessa de s´alimenter, ses fèces devinrent liquides et teintées de sang.[...] La sixième nuit de son arrivée au camp, je transportai Coco dans mon lit. Tout ce que je pouvais faire pour elle était de lui donner un peu de chaleur et de sécurité. » (108)

Le lendemain Coco était encore vivante. Mais Dian n´était pas au bout de ses peines, car le jour même on lui a amené un autre petit bébé-gorille, enfermé dans un baril de bière. Les huit membres de sa famille, tous avaient été tués pour la défendre.(109) Les prognostiques de sa survie étaient sombres. C´était encore une petite femelle, plus craintive encore que Coco, toute blessée, à la tête, aux poignets et aux cheville par les fils de fer du piège où elle s´était laissée prendre.(109) Mises dans la même chambre, petit à petit elles se sont rapprochées.

«  Leur comportement était un mélange d´agressivité légère et du besoin pathétique qu´elles avaient l´une de l´autre. Le soir, cependant, elles se blottirent dans le même nid de feuilles et s´endormirent étroitement embrassées. » (110)

Pucker gardait un isolement farouche et se laissait rarement approcher. Cependant, lorsque Dian s´occupait de Coco, Pucker poussait des petits cris plaintifs qui se transformaient en vrais hurlements. (113)

Entre temps, des gardes sont venus les rechercher et le travail de soin et d´approche entrepris par Dian avec les bébés-gorilles fut presque gâché par leur vue et leur bruits  : elles se sont cachées dans leur chambre qu´elles n´ont pas quittée pendant deux jours. (114) Dian eut beaucoup de mal à convaincre les gardes que les petites étaient encore malades, car elle comptait les libérer à leur insu.

Petit à petit, les deux bébés se sont laissées apprivoiser et ont commencé à se promener sur l´étendue du camp :

«  Les excursions en dehors de la cabane […] constituaient les meilleurs moments de la journée. Nous sortions chaque fois que le temps le permettait. [...] Je portais généralement Coco dans mes bras. Pucker s´accrochait à mon dos ou à l´une de mes jambes. A elles deux, elles pesaient près de cinquante kilos et se tortillaient sans arrêt. Je pliais sous le poids » (114)

 

Les soins et l´amour donnés aux petites portèrent leurs fruits Les jeux avec Dian et Cindy, sa chienne, se multipliaient. Dian remarqua des comportements qu´elle n´avait jamais vus : des chatouilles entre elles, des gloussements et des rires auxquels Dian participa avec plaisir. Plus tard, elle put faire les mêmes jeux avec des bébés en liberté à la manière des leurs parents. (117)

 

Le bonheur, comme toujours, n´a pas duré : le conservateur est venu réclamer les petites. Il avait reçu un billet d´avion et la promesse d´une réception officielle en Allemagne et cet appât l´a rendu intraitable. Il a menacé Dian d´aller capturer d´autres gorilles et elle savait déjà que cela signifiait la mort de toute une famille.(118-119) Ses gardes ont apporté de nouveau le cercueil sans aération pour les transporter et rien que cela présageait déjà les mauvais traitements à venir.

Dian a tout essayé, a écrit en Allemagne pour les dissuader d´avoir les bébés, a encore argumenté qu´elles n´étaient pas en santé pour ce voyage, rien n´a donné de résultats. Elle aurait pu les libérer dans la forêt, mais leur survie était incertaine. Le cœur déchiré, elle a vu partir les deux petites femelles, effrayées, pour ne jamais revenir en Afrique. Prisonnières à perpétuité.

«  […] la porte se referma derrière elles. Les porteurs arrivèrent immédiatement. C´était plus que je n´en pouvais supporter. Je sortis de la cabane et m´élançai à travers les champs où nous nous étions si souvent promenées. Je m´enfonçai en courant dans la forêt. Je ne m ´arrêtai que lorsque mes forces m´abandonnèrent. Dix ans plus tard, les mots me manquent encore pour décrire la douleur que me causa cette séparation. » (120)

L´existence des zoos qui propicient de tels barbarismes, est un hymne à la bêtise et à la méchanceté humaine : créer des geôles et des prisonniers à vie, dans des enclos parfois infects, réduits, encerclés, mal nourris, maltraités, au gré des administrateurs indifférents. C´est un voyeurisme mal sain vis-à vis des animaux qui alimente l´existence de ces lieux incongrus.

Rien que l´enfermement dans des espaces réduits séparés de leurs familles et de leur entourage, faisaient mourir rapidement les gorilles capturés, ainsi que bien d´autres espèces animales. Pour quelle raison ? Quel est l´argument valable qui peut justifier ces pratiques ? Quelle est la gloire de tuer un être libre qui ne peut pas se défendre ? Si la chasse est une aberration, que dire de la condamnation d´innocents à l´enfermement perpétuel ?

En Chine, comme on peut voir sur les photos divulguées sur les réseaux sociaux, des animaux vivants sont jetés aux prédateurs pour que les visiteurs puissent se délecter avec leur terreur et leur mort. C´est l´enseignement pratique de la méchanceté et de l´indifférence face à la torture des animaux dans un spectacle sanglant regardé par des enfants.

Les animaux sauvages, en fait, sont presque tous menacés d´extinction. Je pense aux Mustangs exterminés aux USA, aux bisons, également massacrés, les parcages d´animaux en France destinés uniquement à être tués par des « sportifs » et j ´en passe.

Le nombre des éléphants décroît tous les ans , leurs immenses corps abandonnés une fois prélevées leurs défenses.“Un recensement d’ampleur inédite, le Great Elephant Census, révèle que le nombre de pachydermes vivant dans les savanes d’Afrique a chuté de 30 % entre 2007 t 2014. Et ce déclin s’accélère, pour atteindre désormais un taux de 8 % par an.”6 Bientôt, on ne verrra plus d´éléphants que dans les films.

Les chiffres sont vertigineux, car on estimait, par exemple, à plus de 20 millions les éléphants avant la colonisation européenne em Afrique »; leur nombre était estimé à 1 million dans les années 1970, il n’en reste plus qu’un tiers aujourd’hui. Soit 352 000 individus en 2014, contre 496 000 en 20077. Il existe des organisations de protection, telle la fondation David Sheldrick Trust, dirigée par Dame Sheldrick au Kenya, par exemple, qui ne cesse de protéger et d´accuilller des bébés-éléphants, rendus orphelins par l´action des bracronniers,8 mais ceux-ci ne cessent pas leurs activités. 

Les cornes des rhinocéros doivent satisfaire les virilités défaillantes, malgré le banniment au niveau international depuis 1977, par la Convention sur le commerce d'espèces sauvages menacées (Cites)

“[...] il a fallu attendre 2008 pour qu'il soit interdit em Afrique du Sud, pays qui abrite 80% de la population mondiale de rhinocéros. Depuis cette date, le braconnage a explosé en Afrique et l'UICN évalue à au moins 5.940 le nombre de rhinocéros braconnés jusqu'à aujourd'hui.”9

Malgré les efforts de création d´aires protégées, les bracconiers, les demandeurs de trophées, les industries de peaux et d´huile ne donnent pas de repos. Par exemple,

“[...]dans les années 1900, 100 000 tigres vivaient dans la nature. Aujourd’hui, le félin est classé « en voie d’extinction » sur la liste rouge de l´Union Internationale pour la conservation de la nature. Répartis dans 13 pays (Bangladesh, Bhoutan, Birmanie, Cambodge, Chine, Inde, Indonésie, Laos, Malaisie, Népal, Russie, Thaïlande et Vietnam), les fauves sont principalement menacés par le braconnage et le commerce illégal.”10


 

Quant aux baleines, malgré la décision de la Commission baleinière internationale (CBI) qui a décrété en 1982 une pause dans la pêche commerciale à partir de 1986, et l´action des ONGs, le Japon, la Norvège et l´Islande ne se privent pas de continuer à harponner les baleines.11 Le massacre des bébés-phoques continue de plus belle, avec des méthodes insoutenables: on estime que plus de 40% d´enttre eux sont dépouillés de leur peaux encore vivants. Et j´en passe.

 

Digit : le cœur en miettes

digit et Dian

Dian connut Digit lorsqu´il avait environ 5 ans, (168) encore enfant, il jouait jusqu´à l´épuisement avec ses demi-sœurs.

«  Quand j´étais à découvert, ils ajoutaient à leur comportement ludique des battements de poitrine, des bris de feuilles et des pavanes d´intimidation. Chacun semblait vouloir rivaliser avec l´autre pour attirer mon attention. […] je dus souvent me retenir pour ne pas me joindre à eux. Je ne le fis que lorsqu´ils n´eurent plus aucune appréhension » (168)

Elle l´a vu devenir adulte, procréer, se faire une place au sein de son groupe. Un très bel animal, dont la douceur n´avait d´égale que son apparence féroce ; d´ailleurs, à part les bébés, tous les gorilles ont des faciès terrifiants.

«  [...[ Digit s´étira soudain, en renversant la tête en arrière et en baillant. […] avec sa bouche largement ouverte et ses énormes canines, évoque plutôt un monstrueux King Kong. » (193)

Digit eut un contact très proche avec Dian ; c´est sa photo qui servit de publicité au Parc des Volcans pour attirer les touristes.(178) L´Office de Tourisme rwandais fit de lui des posters en couleur où il mangeait paisiblement un morceau de bois : cette photo fut bientôt répandue dans les hôtels, les banques, l´aéroport et les agences de voyage. Leur vie au Centre risquait d´être bien perturbée avec toute cette propagande, mais Dian ne put se dérober à cette demande de l´administration rwandaise.

 

<>

Dian et Digit

Digit fut mordu au cou lors d´une des bagarres entre gorilles et cette blessure mit 4 ans à guérir. Malgré son abattement à cause d´une infection prolongée, il était toujours doux avec les siens et avec Dian, qui l´appelait « mon adorable Digit ». (178) Il la reconnaissait de loin et paraissait toujours content de la rencontrer, avec des gestes de tendresse. Par un jour de pluie et de brouillard,

« Soudain, je sentis un bras qui entourais mes épaules. Digit me regardait pensivement de ses yeux bruns. Il tapota doucement ma tête puis s´affala à mes côtés. Je posai la tête sur ses genoux. Dans cette position, j´avais chaud et je pouvais aussi observer la blessure qu´il portait au cou depuis quatre ans. Elle ne suppurait plus mais avait laissé une profonde cicatrice de plusieurs centimètres et d´autres plus petites autour » (192)

En une autre occasion, Digit s´est trouvé face-à-face avec l´un des assistants de Dian :

«  Digit se dressa sur ses pattes arrière, émit deux cris terrifiants, la bouche grande ouverte, ses canines énormes bien visibles[...] » (193)

Dian s´est précipitée devant lui, voyant arriver le pire, mais aussitôt la reconnaissant, Digit se mit sur ses quatre pattes et partit paisiblement rejoindre son groupe. Il avait déjà le sentiment de protection envers sa famille. Elle aimait Digit peut-être plus que tous les autres.

Mais les braconniers, malgré les patrouilles, continuaient leur besogne maligne. Dian a découvert que les gardes forestiers étaient de connivence avec eux : ils se faisaient payer en francs ou en viande en les laissant chasser dans le Parc. (200)

C´est ainsi, qu´un jour, on vint lui rapporter la mort d´un gorille. C´était Digit. Et pour ajouter à la scène déchirante de son corps sans vie, ils lui avaient coupé la tête, les mains et les pieds. 

«  Pendant que Ian me racontait l´horrible nouvelle, je revoyais défiler devant mes yeux toute la vie de Digit, depuis le premier instant où je l´avais vu, dix ans plus tôt, petite boule soyeuse de fourrure noire. Je me sentais comme amputée d´une partie de moi-même ». (199)

Il est mort en défendant son groupe, en tenant en respect six hommes qui, armés de lances, lui ont perforé cinq fois la poitrine. Dian décida de faire connaître l´assassinat de Digit : la chaîne américaine CBS annonça la nouvelle, quelques jours après. Elle fit venir le conservateur et le chef des brigades pour voir le corps mutilé de Digit et la roue commença à tourner : on procéda à des emprisonnements, certains braconniers connus furent arrêtés et condamnés. (201-202- 206) (206). C´est ainsi que les gardes envahirent des villages concernés par le braconnage, à la manière des marines.

En hommage à Digit, Dian créa alors en 1978 le Digit Fund, rebaptisé em 1992 Dian Fossey Gorilla Fund International, dont l´argent récolté devait servir à organiser les patrouilles anti-braconnage qui, en 18 mois ont détruit 4.000 pièges. (212)

Mais les malfaiteurs continuaient à s´attaquer aux animaux : Dian a encore réussi à sauver une petite femelle de trois ans qu´un médecin français avait achetée à un braconnier et la lui avait envoyée. Après l´avoir achetée le médecin a fait arrêter le braconnier. (215) Le bébé-gorille était resté six semaines enfermé dans une cage et souffrait d´une sévère déshydratation et d´une maladie des poumons. (213) Elle l´appela Bonne Année.

Dian l´a soignée comme elle l´avait fait pour Coco et Pucker mais cette fois-ci elle ne fut pas envoyée à un zoo. Elle l´a introduite dans un groupe de gorilles dans la forêt. Il lui a fallu plusieurs tentatives car les gorilles sont agressifs envers des individus qui ne sont pas de leur groupe. (217) Finalement, après quelques tentatives qui ont presque coûté la vie à Bonne Année, elle s´est intégrée à un groupe et a vécu toute une année en liberté, pour finalement mourir d´une pneumonie. Une mort naturelle, s´est dit Dian, au moins elle n´a pas eu le malheur des autres petites, prisonnières d´un zoo. (218)

En 1980 Dian partit pour les États Unis où elle donna des cours à Cornell University de 1981 à 1983. C´est alors qu´elle écrivit le livre à partir duquel j´écris ce texte. Elle n´explique pas la raison de ce départ.

Avec Jane Goddall (chimpanzés), Biruté Galdikas (orangoutangs), elle a composé les « Trimates » le groupe le plus important de chercheures sur les primates dans leur habitat naturel. Il est bizarre de noter que apparemment il n´y a eu des femmes parmi les étudiants ou assistants ayant participé aux recherches du Centre Karisoka.

À son retour au Centre, elle fut assassinée en 1985. Elle avait 53 ans, dont 18 consacrés à la protection et l´étude des gorilles dans la brume des montagnes rwandaises.

Dian Fossey fut enterrée près de la cabane où elle a vécu tant d´années de luttes et de joie, dans un champ où gisent des gorilles assassinés, dont Digit.

L´assassinat de Dian Fossey fut la preuve de la haine portée aux femmes qui n´acceptent pas les règles du mâle, qui installent le désordre dans l´ordre patriarcal. Empêcher les gains frauduleux, parer à l´occupation anarchique des terres, s´interposer contre le massacre des espèces, mérite apparemment la peine de mort, surtout pour une femme. Dian a trop dérangé : il y avait trop d´intérêts en jeu, trop d´argent à gagner, avec le massacre des animaux.

Elle fut frappée à la tête et au visage, à coups de machette. Sa cabane était em désordre, mais rien n´avait été volé, ni documeents, ni argent.

Les assassins n´ont jamais été identifiés. Mais la pègre n´a pas gagné, car les gorilles sont devenus de plus en plus protégés et en nombre croissant.

Les femmes d´aventure ne trouvent pas toutes la mort, dans la mesure où elles ne dérangent pas trop les pouvoirs patriarcaux. Le féminicide est la punition des femmes et des féministes qui s´insurgent contre le patriarcat dans tous les domaines de la vie.

Dian Fossey, femme d´aventure, de caractère, d´opinion, de lutte, son héritage reste dans la forêt des gorilles des montagnes, dans la brume et le froid, où ils gambadent et vivent leur vie en liberté.

 

 

Notes

1Pour plus de détails sur sa vie et son oeuvre, voir https://gorillafund.org/who-we-are/

*Ce texte se base sur la traduction en français du livre de Dian Fossey “Gorrillas in the mist”: Gorilles dans la brume” 1984.Paris: Ed. Du Club France Loisirs. Les chiffres entre parentèses se refèrent aux pages du même livre.

4 On peut encore lire sur internet ces affirmations mensogères, liées surment aux intérêts d´explotation des animaux à outrance. Je ne donnerai pas d´adresse car ce serait leur preter trop d´importance.

5Voir vidéos à la fin du texte

7idem