Christina Dodwell, l´aventure collée à la peau

tania navarro swain

 

Résumé: Femme d´aventure, Christina Dodwell sillonna le monde, la plupart du temps seule, sans chemins tracés, sans but défini. Le goût de l´aventure n´a aucune saveur comparable. Le désir de connaître, d´explorer, de marcher là où d´autres pieds n´avaient pas encore foulé le sol ; son désir de liberté lui tient compagnie lors de ses journées de solitude. Chritina dément tous les discours sur la faiblesse et le manque d´initiative des femmes.


Mots-clé : aventure, désir de liberté, explorateure

« Avant d´entreprendre mes voyages autour du monde, je menais la vie banale d´une citadine moderne. Je portais des vêtements à la mode, me désolais de la perte d´un objet auquel j´étais attachée, et j´avais viscéralement peur du noir. » (Dodwell, 9)

 

L´envie d´aventure lui fit surmonter la peur du noir, ainsi que toutes les peurs. En 1975, elle part pour son premier grand voyage en Afrique. Ils sont quatre, deux filles et deux garçons. Cependant,  

« [...] un beau soir, après une traversée épuisante du Sahara, les deux garçons nous faussèrent compagnie sans crier gare, emportant avec eux le véhicule et l´équipement. » (9)

 

Comment faire face à un dénuement  aussi complet qu´ inattendu?

Christina raconte ses déambulations en Afrique et la suite de cette histoire dans un livre, Travels with Fortune. Elle en a d´ailleurs écrit cette histoire dans un livre, Travels with Fortune. Elle en a écrit d´ailleurs plusieurs, [1]au gré de ses aventures.

 

Avec son amie  Lesley Jamieson, elle a sillonné l´Afrique de l´Ouest, d´abord à pied, ensuite à cheval ; en pirogue elles ont fait plus de 1.500km sur les rivières et les fleuves, sans un tracé précis.

«  Nous n´avions ni carte ni provisions de bouche ; je m´en effrayai d´abord, avant de comprendre que l´obstination et l´endurance pouvaient fort bien pallier le dénuement moral et matériel où nous étions. [...] Nous avions tenu. J´en ressentais une certaine fierté. » (9)

Après un an d´un  périple plein de plaisirs mais aussi d´embûches  Lesley et Christina se sont quittées. Leslie voulait rentrer en Amérique, mais Christina n´était pas prête à retourner en Angleterre. C´est ainsi qu´elle a continué son voyage en Afrique toute seule, pendant encore deux ans, à pied, à cheval, à dos de chameau. Elle le conte en peu de mots :

« Sur le dos d´un poney du désert, flanquée d´un chameau de bât, je remontais la vallée du Rift, en direction de l´Ethiopie. La traversée du désert fut riche en difficultés et désastres divers : il me fallut chercher des pâturages pour nourrir mes bêtes, creuser les lits asséchés des rivières, me protéger des groupes de bandits, supporter la morsure d´une araignée venimeuse qui me paralysa pendant une semaine. Finalement, j´arrivai dans une Ethiopie déchirée par la guerre, où l´armée me prit pour une espionne et m´arrêta. Lorsqu´on me relâcha, je décidai que l´expédition était terminée et me réjouis à l´idée de retourner en Angleterre. » (10)

 

Trois ans d´aventures en Afrique, entre 1975 et 1978.

 

En fait, ce genre de voyage devient un mode de vie, collé à la peau, une figuration du monde dont la cartographie doit être dessinée à chaque pas, à chaque carrefour. C´est le désir de la découverte, de la mouvance qui l´emporte sur tous les inconvénients, tous les dangers, sur la peur, la fatigue, les tracasseries d´un quotidien oh ! combien ardu. Il reste le plaisir du cheminement, les paysages, les animaux, la beauté d´une terre sauvage que seuls les hommes peuvent gâcher. Et la liberté de tracer ses pistes, sans même laisser de traces. Qu´est-ce qui se cache derrière la montagne, dans les forêts pleines de mystères, sur les berges des rivières, au-delà de ce sentier ? Ce n´est pas le but qui  importe, c´est le cheminement.

 

 

Christina prit le goût de la solitude et tous les voyages qu´elle  entreprit ensuite, c´est seule qu´elle les réalisa. Les choix des parcours à prendre, les directions, les moyens de transport, les destinations, tout relevait de son unique volonté. C´est ainsi qu´elle sillonna la Chine, la Turquie, l´Iran, la Sibérie. Le cheval était son moyen de transport préféré.

Quant à la Papouasie-Nouvelle Guinée, Christina s´y rend donc seule, sans but précis, juste pour la découverte, le voyage. L´aventure à son état le plus pur : un petit sac, le nez au vent, rien de prévu à l´avance, rien de confortable, les pieds qui suivent les tracés anciens, la forêt, les animaux étranges,  les rivières à traverser, la pluie à endurer. Et les gens, la rencontre de cultures totalement différentes de la sienne, qui exigeaient du doigté et beaucoup de sourires.

Explorateure intrépide,  Christina est  un exemple contemporain  de la capacité d´endurance et de courage des femmes.

 

Le regard patriarcal

Des femmes comme Christina, il y en a eu et il y en a énormément, au présent et au passé, des explorateures, aventurières, voyageures, défricheures, navigateures, pilotes. Par un froid extrême, ou une chaleur intense, les femmes ont sillonné les terres,  les océans, les airs. Elles brisèrent des tabous, des oppositions, elles  risquèrent l´opprobre, le rejet, la malveillance,  mais elles, ainsi que Christina,  menèrent à bien leurs projets, et conquirent l´admiration, les lauriers, les honneurs de leurs contemporains.

Cependant, ces  femmes d´action, malgré leurs exploits, furent  vite oubliées, leurs empreintes effacées de la mémoire sociale qui ne veut garder  que des accomplissements des hommes. Le patriarcat ne tolère pas qu´on montre les capacités des femmes, leur force, leur bravoure, afin de pouvoir maintenir vivante l´image de la femme docile, dépendante, clouée au foyer.

On peut argumenter que les femmes ne se sont mises à l´aventure que dans l´actualité, après les féminismes contemporains qui leur ouvrirent les portes au monde du politique, de l´emploi, du sport, du voyage. Mais ceci n´est qu´ignorance de l´action des femmes dans l´histoire humaine, méthodiquement entretenue par le patriarcat.

Le dossier « femmes d´aventure » que publie Labrys depuis quelques numéros veut combler un tout petit peu cette brèche, créée et maintenue béante par les narratives historiques.  Malgré le  discours courant selon lequel  la relation  binaire et hiérarchique entre les sexes vient de la nuit des temps, l´histoire féministe, dont l´aventure au féminin, montre que les normes existent de façon spécifique dans chaque formation sociale et que les généralisations ne sont qu´un abus intellectuel.

Cependant, tout est à faire et à refaire car il y a trois obstacles : d´abord une histoire positiviste faite de certitudes et de vérités, telles que la « différence sexuelle », qui ne voit et ne cherche pas à dévoiler la diversité des couleurs et des fils qui tissent les relations humaines. C´est ce genre d´histoire qui fonde la mémoire sociale et donc ses narratives sur les coutumes et les  traditions, qui deviennent ainsi des vérités par la force des réitérations. Et ce sont ces narratives qui soutiennent les grands discours sur l´humain, au masculin, la plus part du temps sans fondement. Que reste-t-il des formations sociales d´avant les Grecs, point de départ préféré de l´enseignement de l´histoire, sinon les discours ? Que reste-t-il dans les discours des innombrables traces laissées par les groupes humains sinon la sélection biaisée par le patriarcat ?

Le deuxième obstacle est la représentation sociale des femmes, prémisse fondatrice des recherches, dont la base est  la biologie. Cette représentation construit un système binaire des relations entre les femmes et les hommes dans le social comme étant des faits naturels et indiscutables.

 Le troisième volet est le langage, qui utilise le masculin pour signifier l´humain, faisant ainsi disparaître complètement les activités des femmes dans le social et surtout dans l´imaginaire. Un simple exemple : les femmes qui, elles, ont fait marcher l´industrie et particulièrement la production des armements pendant la première et la deuxième guerres mondiales se sont vite transformées en « ouvriers » dans les narratives historiques.

Ces trois blocages couvrent tous les champs des sciences et créent l´évidence là où elle n´existe pas. Une certaine anthropologie, par exemple, s´évertue, sans chercher à dévoiler toutes les possibilités, de décrire et de comprendre des cultures nommées « primitives », en dehors de leurs propres conditions de production et d´imagination, traversées par la naturalisation de la hiérarchie sexuée et le binarisme social.

 C´est ainsi que le regard anthropologique se pose invariablement sur les actions et les comportements des hommes : c´est une pré-conception du monde qui ne laisse pas de place à une analyse plus affinée des relations humaines. [2]

Quels sont les documents dont on dispose pour une histoire féministe ? D´abord les textes déjà analysés, issus des institutions politiques et sociales, car les revoir ouvre un nombre inouï de nouvelles perspectives : la présence des femmes n´y était même pas perçue. Ensuite, d´autres sources méprisées par l´histoire officielle : les journaux, les journaux intimes, les correspondances, tout ce qui reste de la production humaine et surtout des femmes.

 Les images sont également des sources extraordinaires pour une histoire féministe, car elles exposent l´action et la présence des femmes là où elles sont absentes dans les discours sociaux.[3] Les enluminures du Moyen Age, les fresques de l´antiquité, les tableaux, les peintures rupestres et autres, les photographies et finalement, plus proche de nous, le cinéma, les vidéos. Les livres écrits par les aventurières sont aussi source de connaissance sur les femmes d´Occident et d´ailleurs.

Une histoire féministe est une histoire des possibilités, de la diversité, une histoire du possible.

 

Ah ! ces femmes d´aventure !

Que font-elles, ces femmes d´aventure ? D´abord, selon l´époque, elles brisent tous les tabous, surtout ceux qui nient la condition de sujet politique et d´action au féminin.  D´autre part, elles montrent que les limites imposées aux femmes n´étaient pas aussi fermées qu´on veut le faire croire et qui parfois n´existaient même pas.

Car le propre du canevas de l´histoire c´est l´oubli. Et l´oubli est devenu la place des femmes dans l´imaginaire qui bâtit l´humain, c´est-à-dire, la non-existence. C´est à l´histoire féministe de dépister leurs traces et d´écrire une nouvelle histoire : celle que j´appelle l´histoire du possible, de toutes les éventualités qui président à l´agencement humain. Et celles-ci ne sont pas forcément basées sur un binaire sexué incontournable.

Christina, comme tant d´autres, a prouvé la valeur et l´esprit d´aventure des femmes, tout en dépassant les représentations « naturelles » du féminin.Ses voyages sont un défi/plaisir, qu´importe les désagréments ! Elle fit de la solitude un atout et une nécessité, malgré le danger évident d`être seule au cours de longs voyages à travers des contrées méconnues.

Christina  s´enfonça dans les forêts, les marécages, navigua en pirogue sur les rivières et les fleuves de Papouasie-Nouvelle Guinée, et apprit, petit à petit, non seulement à communiquer avec des tribus, mais aussi a en dé-codifier certains us et coutumes lors de ses observations

.

Paouasie Nouvelle Guinée en rouge

La préparation du voyage fut aussi un grand plaisir et Christina choisit la Papouasie Nouvelle Guinée après avoir supputé la possibilité d´aller dans de nombreux pays, tels que le Brésil, le Pérou, le Tibet...

Parce que :

«  [...] la Papouasie- Nouvelle Guinée présente des régions plus hostiles, une jungle plus traîtresse et plus impénétrable que toute autre contrée tropicale, L´Amazonie et l´Afrique incluses. Cette perspective m´enchantait » (11)

Pour y arriver, elle méprisa la facilité moderne d´un vol rapide pour ne pas  passer à côté d´un bon nombre de pays ;

Toutefois, pour arriver en Thaïlande, son point de départ vers la Papouasie, elle prit l´avion. « [...]  le voyage  par voie de terre exigerait probablement plus d´années et plus d´énergie que mon corps n´en eût disposé. » considéra-t-elle. (11) Ensuite, elle comptait passer par la Malaisie et faire du cabotage d´île en île pour arriver à sa destination Ce qui fut fait.

Comme tant d´autres femmes d´aventure, son équipement était sommaire , quelques boites de corned-boeuf, des fruits secs, du sel, des cachets de vitamines, une tente, une boussole.

En décembre 1979, sans aucune préoccupation d´horaires ni du temps passé, Christina resta trois mois avec « les peuples de la jungle » du Nord de la Thaïlande. Là, elle apprit à maîtriser la conduite d´un éléphant et c´est sur son dos qu´elle se déplaçait.  La forêt toutefois exigea son dû : fièvre, faiblesse, fatigue, perte de 15 kg. Le village de Pang-yi, bâti sur pilotis et dont les villageois vivaient du commerce des perles, s´avéra être une bonne option pour le repos.

Christina commence à vivre alors ce qui va être son quotidien  pendant l´année de cette aventure : hébergée par les villageois, comprenant à peine leur langue, elle prend le rythme de  leur vie, et jouit  partout d´une incroyable hospitalité. À Pang-yi, elle était toujours accompagnée par une joyeuse ribambelle  de filles qui s´amusaient à l´habiller et la parer à leur manière, lui enseignant le thaï et les coutumes locales. Son besoin de solitude cependant, en pâtit.

« Un jour, tout un groupe de femmes est arrivé, suivi de chèvres menées par leurs chevriers, si bien que, sur la petite plate-forme où je me trouvais, on pouvait compter trente personnes et dix animaux, tous serrés les uns contre les autres. » (17)

          L´appel de la route se fit sentir. La Malaisie était la prochaine étape : là, elle participa à la grande festivité hindoue consacrée à Shiva, le Thaipusam, dont les cérémonies étaient censées purifier les âmes et leur donner de la vigueur.

«  Etrangement, quand le silence se fit à nouveau, je me sentis revigorée et confiante en mon destin. » (21)

 

Ensuite, à  Malacca, port peuplé notamment par les Chinois, Christina  prit le départ vers Singapour, puis Java, Bali et finalement elle quitta le port principal de Java, Surabaya, pour la Papouasie. Pas de liaisons régulières, il fallait donc attendre un départ dans la direction de la Papouasie, car aucun bateau n´y allait directement. (26)

Java se compose de 13.500 îles, habitées par 350 ethnies, suivant les informations que détenait Christina. Des civilisations très anciennes y ont fleuri, laissant des vestiges et des temples pour la plupart en ruines. (23) L´île principale, Java est surpeuplée, la chaleur, le bruit ont été accablants pour Christina.  

 

A vol d´oiseau, l´image montre la distance parcourue en bateau par Christina de Java à la Papouasie.

(l´itinéraire du bateau en rouge)

Cette région de la planète est fascinante pour qui aime le voyage. Les noms font rêver : mer de Banda, des Fleurs, de Java, des Moluques, de Savu, de Ceram, étroit de Malacca, des îles à la saveur de l´histoire, de l´inconnu, des explorations, des naufrages. Les fosses abyssales du Pacifique y sont déjà, surtout du côté de la mer de Banda, ( bleu foncé sur l´image) située au carrefour de trois plaques tectoniques majeures, Asie, Pacifique et Australie, d´où peuvent sortir tous les monstres, imaginaires ou pas, qui ont hanté tous les marins, même les plus endurcis.

La traversée de toutes ces mers fut épique : Catherine embarqua sur un cargo surchargé !

«  Je ne trouvais pas la moindre place sur le pont, à cause des énormes piles de marchandises et de la foule de passagers chargés de balluchons et de paniers à poulets.[...] C´est à la proue du bateau que j´élus finalement domicile au–dessus d´un énorme rouleau de cordages. Je suspendis mon hamac entre deux hauts conduits de ventilation. » (26)

En deux jours, le bateau était jonché de débris, les eaux usées envahissaient le sol, là même où les gens campaient. Les toilettes vite bouchées, malgré un nettoyage quotidien, pas de douche, juste l´eau de la mer. Le bateau tombe en panne, la chaleur est torride, trois repas par jour, juste du riz et des têtes de poisson.

« J´étais furieuse contre moi-même d´avoir mis les pieds sur ce bateau sans avoir prévu les conditions de vie à bord. Comme j´étais la seule Blanche, j´étais continuellement entourée. On me suivait où que j´allasse. J´avais des spectateurs même lorsque je me brossais les dents et je fus constamment ennuyée par des jeunes idiots qui me lançaient des quolibets en indonésien ponctués de grands éclats de rire. » (27)

 

Et pour le malheur de qui aime la solitude, ce tourment allait durer trois semaines ! Mais finalement, Christina décida de prendre les choses telles qu´elles étaient : elle se mit à apprendre l´indonésien avec ses nombreux compagnons de voyage qui allaient du soldat aux commerçants, en passant par des universitaires et des prostituées. (28)  Le spectacle était continu : les bancs de poissons, des baleines, des oiseaux et les gens, leur va et vient, leur sourire, leur gentillesse, ainsi que leur présence encombrante.

 L´embarquement, sur le bateau bondé de 800 bovins et d´une centaines de chèvres, auxquels il faut ajouter des taureaux furieux et sauvages, ainsi que d´ immenses bottes de foin, défia toute raison. Mais le chargement fut fait par des filets, des poulies, un brouhaha, un charivari, 24 heures pour  monter les animaux  à bord,  des spectateurs tombés à la mer dans l´affolement général, il y avait tout pour un spectacle unique. (29) Et les haut- parleurs tonitruants n´arrangeaient rien.

Le cabotage se faisait lentement, chaque arrêt une nouveauté, des commerçants qui montaient et descendaient, les marchandages, le bruit omniprésent ;le débarquement de trois cents têtes de bétail pour un village où il n´y avait pas de port, fut réalisé sur des radeaux en bambou ou sur des embarcations défraîchies de la 2e guerre. (30-31)

Le bateau s´arrêta encore maintes fois sur des îles où il se frayait un passage ; pendant tout ce temps, à ciel ouvert Christine endura la pluie, ou la  chaleur torride, mais c´était le voyage, ses plaisirs et ses peines ! Avec le temps,

« Le bateau était devenu un véritable village flottant où chacun connaissait les gens de son ‘quartier’. » (31)

Christina s´est fait de bons amis qui l´ont accueillie dans leurs familles lors de l´arrivée à destination, Jayapura, la modeste capitale de la moitié indonésienne de l´île de la Nouvelle Guinée.

 

 

les deux points sur la carte marquent les villages de frontière entre la partie indonésienne et le Papouasie N.Guinée

Là, on lui raconta d´horribles histoires de cannibalisme auquel s´adonnaient les tribus environnantes, des missionnaires dépecés, mais cela ne l´a pas empêchée de circuler chez les Dani, dans la vallée de Ballem, dont le village était barricadé et bordé de tours de garde. À l´occasion de sa visite, pas d´hostilités entre voisins, qui étaient cependant toujours sur le pied de guerre.

         Christina  rencontra  des chercheurs scientifiques, dont elle tient à se démarquer :

« Cette tranquillité fut interrompue par l´arrivée d´un groupe d´anthropologues qui s´agitaient comme des insectes. Leur présence me mettait mal à l´aise. Je ne tenais pas à me joindre à eux : j´étais une voyageuse solitaire et non un membre d´une expédition de savants. » (33)

Tout à coup, panique ! Son visa indonésien était périmé !! Bureaucratie, palabres, angoisse, finalement on s´est mis d´accord pour l´expédier en avion tout de suite pour la Papouasie-Nouvelle Guinée,  (l´autre côté de l´île) et re-panique ! Son visa pour y entrer expirait le lendemain. De plus, son vaccin contre le choléra, obligatoire, était aussi périmé ! Résultat : elle n´a pas pu embarquer sur l´avion ( un par semaine) et ne pouvait plus rester en Indonésie.(33)

«  J´avais l´impression de perdre pied. Il m´avait fallu huit mois d´un voyage pénible pour atteindre la Papouasie- Nouvelle Guinée et voilà qu´on me claquait la porte au nez. L´idée que l´on allait me renvoyer chez moi alors que j´étais si près du but m´était insupportable. Les larmes me montaient au yeux. » (34)

Si la solitude peut être un bonheur, face à l´immigration et à la bureaucratie, on aimerait bien ne pas être toute seule, avoir un appui, une amitié. Etre extradée était le moindre des malheurs qui pouvaient lui arriver. De plus, feignant une assurance qu´elle n´avait pas, elle prévint le chef des services d´immigration qu´il n´y aurait pas de pots de vin et qu´elle ne se laisserait pas impressionner par des démonstrations d´autorité. Son pari était fait.

Et elle l´a gagné. On l´envoya vers sa destination, sur le canot du garde-côte. De Jayapura à Vanimo, la distance était courte. (voir carte ci-dessus)

«  Quand nous entrâmes dans les eaux territoriales de la Papouasie-Nouvelle Guinée, je me sentis envahie par la peur. Loin sur notre droite, une côté inhospitalière déroulait ses marais infestés de malaria et de marécages de mangrove. Au-delà, une jungle dense, tentaculaire, étouffait jusqu´aux montagnes. Nulle trace de vie humaine. C´était  pour atteindre ce pays-là que j´avais parcouru la moitié du globe ! » (35)

Tous les gens qui s´aventurent dans des contrées si lointaines arrivent à ce genre de question à un moment donné ou un autre. C´est classique.

Et là commence son vrai périple, le parcours ultime de cette aventure, qui n´avait finalement pas de but précis, sinon la découverte, la passion du voyage.

 

  La Papouasie-Nouvelle Guinée

 

l´île de la Paupouasie N. Guinée touche presque la pointe nord de l´Australie

 

1526, les Portugais « découvrent » l´île et l´appellent Ilhas dos Papuas, c´est-à-dire, l´île aux crépus en malais. Plus tard, pour assurer son empire indonésien, la Hollande s´est emparée de la partie occidentale de l´île, aujourd´hui appartenant à l´Indonésie. (36) Allemands, Britanniques, Australiens s´y sont succédés, et finalement, en 1975 le territoire accéda à l´Indépendance. «  La chaleur, le climat malsain, l´environnement hostile avaient eu raison de l´avidité des grandes puissances occidentales », dit-elle. (36)

La langue commune, le pidgin, enseignée dans les écoles, était un mélange d´anglais, d´allemand, de chinois, de malais, de portugais, entre autres, et faisait le pont pour la communication entre les diverses tribus et leurs dialectes. (37) En fait, personne ne le parlait vraiment.

Son premier hébergement sur l´île fut la maison de missionnaires américains en poste au village de Vanino. Le manque d´infrastructure  touristique faisait de l´hébergement chez l´habitant la seule solution pour la voyageure qui s´enfonça dans l´intérieur des terres. De Vanimo, Christina devait partir. Pour où ? Elle n´en savait rien, mais son désir était d´aller à la rencontre des tribus méconnues et connaître l´intérieur des terres. Le pays, traversé dans sa longueur par une chaîne de montagnes, n´avait pratiquement pas de routes  reliant les villes entre elles.

Christina ausculta les diverses possibilités et finalement prit une décision au hasard :

« Étalant la carte, j´y laissai choir un crayon qui tomba sur les hautes montagnes, au point le plus reculé de la cordillère et le moins connu de la Papouasie-Nouvelle Guinée. Va pour les hautes montagnes ! »(38)

Encore fallait-il trouver un avion qui l´y emmena. Et après, direction l´Ouest, à pied, pour rejoindre une improbable piste marquée sur la carte par un trait rouge. (38) 

 

 

 De Vamino à OKP-Oksapmin, il y a environ 300 km à vol d´oiseau)

(les tracés bleus représentent les innombrables rivières et cours d´eau.

 

À Teleformin Christina a vu ses premiers autochtones :

« [...] les femmes allaient les seins nus et portaient des jupes d´herbes. Les hommes étaient petits, bruns de peau et barbus. Un nez proéminent, recourbé, soit percé d´une tige, soit traversé par d´étranges pointes courtes. Aucun ne s´exprimait en pidgin ; leurs intonations, perçantes et saccadés, leur donnaient un air féroce. Cela me rappela que l´on m´avait parlé à Vanimo de meurtres récemment commis à Teleformin par des cannibales » (39)

 

Malgré le fait qu´elle eut bien noté un tel commentaire, Christina ne lui donna aucune importance. Son hôte à Oksapmin, un Anglais, est reparti avec le pilote et elle s´est retrouvée seule pour monter son expédition au Lake Kopiago. Personne ne parlait correctement le pidgin, ni elle, ni les Indigènes. Tant bien que mal elle monta son équipe, deux hommes, armés d´arc et de flèches, l´accompagneraient pour la première partie du voyage. Ensuite... on verrait. (41)

Le brouillard et le froid tombaient encore au petit matin quand ils sont partis. Le chemin était tout simplement un marais. Pour une voyageuse aguerrie, Christina se montra très inconséquente : sans bottes, ses tongues s´engluaient dans la boue . Résultat : elle dut continuer le chemin PIEDS NUS ! (45)

Christina raconte son éblouissement devant la forêt, les animaux, tout ce qu´elle voyait était nouveau et saisissant. Ils rencontrèrent peu de gens sur leur chemin, deux femmes qui se dirigeaient vers d´autres huttes, deux chasseurs. Les femmes, qui m´intéressent spécialement ici, et dont elle parle plusieurs fois, avaient des

« [...] lignes de points et de traits tatouées sur leur visage. Sur le front, les lignes suivaient la courbe des sourcils ; les tempes étaient marquées d´étoiles et le centre du front s´ornait d´un soleil. » (46)

 

Parfois, les passages des ravins étaient réalisés sur des troncs glissants et Christina se faisait un devoir de les traverser, malgré la peur qui la laissait paralysée ! Pour elles, c´était comme un jeu d´enfants ! Escalade, descente, escalade, après 8 heures de marche, elle était éreintée. ( Il ne faut pas oublier sa récente maladie en Thaïlande)

D´un endroit à l´autre, Christina observa des accoutrements différents : à l´arrêt suivant, les femmes du hameau, qui ne comprenait que  deux huttes, portaient des jupes d´herbe et les lobes de leurs oreilles étaient distendus par des anneaux de bambou : la plupart des hommes avaient le nez percé par des crocs de porc. (49)

 

 

 

Pendant ce voyage, Christina reçut l´hospitalité des villageois, des missionnaires ou dormit à la belle étoile. Les tribus en Papouasie, étaient au nombre de 700 environ, chacune ayant son dialecte. Chaque tribu comptait selon l´auteure, entre 50 et 100 hommes – on identifie ici parfaitement l´imaginaire anthropologique courant, c´est-à-dire, elle ne fait que le décompte des mâles. C´est ainsi que les femmes deviennent invisibles. (51)

Elle était toujours un motif de curiosité et entourée à tout moment par les villageois pour échanger des salutations ou discrètement l´observer. (51) En chemin, elle longea le territoire des Hewa, officiellement classé « zone d´accès restreint », qui resta fermé aux étrangers jusqu´en 1977 et par conséquent jamais exploré. (50)

Lorsque son chemin l´obligea à traverser un torrent bouillonnant où plusieurs y avaient laissé la vie, elle dut abandonner l´idée de le faire à la nage. On lui assura que sans un radeau elle serait emportée par le courant. En fait de radeau, il s´agissait de quelques bûches liées ensemble, qui servaient d´appui individuel où s´agripper à des lianes, tout en nageant avec les jambes.

«  Il ne s´agissait en aucun cas d´un défi que je me serais lancé à moi-même. Je n´apprécie guère ces petits jeux de l´orgueil et de la vanité. Plus simplement, ici, dans ce pays, loin de tout, il me semblait que certaines choses devaient être réalisées pour la seule raison qu´elles faisaient partie de la vie quotidienne. » (52)

 

Ce sont les ombrageux Hewa qui l´ont encouragée à la traversée en lui construisant un petit radeau individuel, tout en se proposant de lui servir de guides après, sur l´autre rive.

Trois hommes s´élancèrent, l´un deux avec ses bagages. Un radeau se brisa et son occupant fut emporté ! Malgré la peur qui la glaçait « [ ...] plus froide que l´eau où baignaient mes jambes » (53) Christina s´est jetée dans les flots boueux :

«  Mes jambes battaient l´eau avec l´énergie du désespoir. J´avais les oreilles emplies du rugissement du torrent et mes poignets devenaient blancs sous l´effort que je faisais pour me cramponner au radeau [...] Au milieu de la rivière, à mon grand étonnement, l´angoisse qui m´oppressait se changea soudain en un violent sentiment d´excitation. » (53)

 

Une fois sur l´autre rive, les Hewa, impassibles, voulurent partir tout de suite à travers  la forêt, en ouvrant un sentier au fur et à mesure de la marche. Ensuite, marécages, rocailles, ravins à traverser sur des troncs branlants, fatigue, épuisement, marche acharnée la nuit tombée et tout d´un coup, [...] une lampe de brousse annonçait « [...] une ravissant hutte perchée à flanc de montagne. » (55) Le plaisir du repos fait aussi partie de l´aventure !

 

Cette carte montre une partie du chemin que Christine fit à pied, en tout et pour tout plus de 300 km à travers forêts et marécages,

traversant des rivières, des canyons sur des troncs d´arbre et, fait incroyable, la plus partie du temps, pieds nus.

 

 

À propos des femmes

 

Foucault invitait à détruire les évidences. (1971)  Plusieurs fois, Christina observa  que les femmes et les hommes mangeaient séparément et que les femmes ne pouvaient pas rentrer dans la hutte des hommes. Mais les hommes pouvaient-ils entrer dans la hutte des femmes ? (60-61) Manger séparément d´ailleurs en soi ne signifie rien.

Elle dit aussi qu´un homme pouvaient « posséder » deux épouses ; si l´on déconstruit les évidences, n´est-il pas possible que deux femmes se partagent un même homme ? D´autre part, les femmes détenaient la plus grande richesse, qui était commune aux tribus qu´elle a rencontrée : des porcs et leur élevage.

Christina raconta le déroulement d´un jour d´élections à Kraimbit ; elle donna le résultat, mais on ne sait pas qui avait voté, s´il y avait des restrictions ou si tout le monde pouvait voter. C´est encore le masculin générique qui englobe tout et laisse entendre ce qu´on veut.

 Christina fait remarquer également qu´on pratique « l´achat » des femmes en échange des porcins. (120) Ne serait-ce pas un cadeau fait aux femmes d´un clan à l´autre clan pour ce transfert familial ? Comment trancher sur une signification sociale lorsqu´on effleure à peine le sens des paroles ? De plus, un trait particulier des relations sociales des Hewa était de conférer une plus grande importance au fait de donner, plutôt que de recevoir :

«  Grande est la rivalité entre les villages. La supériorité se mesure au nombre de biens offerts. La générosité est totalement absente de cette opération qui fait partie intégrante du système économique. Les règles sont inversées : alors que nous mesurons la richesse à l´aune de ce que nous possédons, eux l´évaluent à ce qu´ils donnent. Les clans doivent souvent emprunter pour offrir le plus possible. Mais les dettes « enrichissent », car la banqueroute  confère statut social et prestige. » (80 ; 99)

 

Pour élaborer une histoire ou une anthropologie féministe, il faut toujours inverser les canons habituels de la pensée, du regard, pour arriver à d´autres hypothèses que celles qui nous sont coutumières.

Si l´on part de la certitude que les hommes sont les plus importants, ils le seront effectivement dans les discours qui analysent les relations humaines. Sans nullement avoir l´intention de faire de l´observation ‘scientifique’,  Christina explique  également que les Hewa, semi- nomades et très farouches, avaient une culture artistique. Elle fit l´inventaire de leur production, tout en laissant supposer, à partir du masculin universel, que c´était les oeuvres des hommes. Pourquoi les femmes ne seraient-elles pas les auteures de ces oeuvres d´art ? (56) Silence.

Les chercheur/es sont apparemment incapables, ne serait-ce que d´imaginer une société où le masculin ne soit pas prédominant. Leur approche, en ce qui concerne les genres, est biaisé par les préjugés de la norme hétérosexuelle, de la prédominance du masculin. C´est un discours fondé sur la « nature » humaine, dont les bases ne peuvent être que d´origine divine. La déconstruction des évidences est le moyen qui nous permet de plonger dans l´univers de l´autre, sans le « tacher » de  nos propres conditions de production. C´est un saut imaginatif qui recompose les discours au-delà d´un imaginaire domestiqué.  

Christina a l´humilité de confesser :

«Je devais garder à l´esprit que les gens répondait souvent ‘oui’ à une question qu´ils n´avaient pas comprise, à moins qu´à leurs yeux la politesse n´exigeât que l´un fût toujours d´accord avec son interlocuteur.[...]  Mais il est certain, par ailleurs, qu´il m´est arrivé de mal interpréter leurs propos. » (115)

 

Il est évident que la complexité des relations sociales ne peut pas permettre des généralisation abusives. Dans toutes les tribus que Christina a visitées, les femmes prenaient part à toutes les activités : elles pêchaient, avaient leurs pirogues et naviguaient gaiement sur les rivières ; elles dansaient lors de toutes les fêtes en choisissant leurs partenaires, se paraient, se tatouaient, avaient leurs rituels de scarification, leurs huttes, faisaient des réunions exclusivement féminines, avaient leurs chansons, élevaient les cochons, plantaient, récoltaient.  Leur importance était indéniable et leur liberté aussi. (46 ;114-100 ; 89 ; 84 ; 122 ; 100 ; 166 ; 167 ; 157 ; 183 ; 196 ;200 ; 201 ;207, par exemple)

 

 

Une histoire féministe ne prendrait pas uniquement les femmes comme objet spécifique, mais abandonnerait les prémisses et les préjugés sur la « différence » des sexes, sur la hiérarchie sexuée, sur un binarisme incontournable. Ces catégories ne font que réduire les relations sociales, dans leur temporalité et leur spatialité, à un même modèle, le binaire. C´est en fait contre cette norme de bio-pouvoir que se sont érigés les féminismes.

En conséquence, le fait qu´un observateur se serve de ces catégories sur des formations sociales éloignées, soit dans le temps, soit dans l´espace culturel, constitue un abus intellectuel. Les féminismes reprennent l´histoire pour mieux transformer l´imaginaire sur l´humain, pour refaire une mémoire sociale qui ne s´appuie plus sur l´oubli mais sur la découverte.  

Christina, qui n´a pas la préoccupation des méthodes d´observation, nous livre ses impressions, parfois contradictoires, mais aussi remplies de toutes les possibilités de l´agencement humain. Comme toutes les autres femmes d´aventure, son regard se pose sur des détails dont on ne tient jamais  compte, ce qui en fait un matériau précieux pour une histoire féministe .

 

 

Le retour au voyage

 

Par monts et par vaux, Christina continue dorénavant son voyage sans guide, juste avec son nouveau compagnon, Horse, son cheval.   « C´était un arabe pur sang, sans prétention ; il mesurait 1,50 m, sa robe était blanche, par endroits mouchetée de brun. » (77)

 

Déjà entraînée à monter à cheval, après son périple de 9.000 km en Afrique, Christina n´eut pas de problèmes avec son étalon, bien qu´il lui fallut lui allouer un certain temps pour qu´il s´habitua à elle. Plus tard, elle dira :

«  J´aimais aussi la façon affectueuse qu´avait Horse de me rejoindre et de fourrer son nez contre mon épaule à chaque fois que je m´arrêtais. » (89)

 

Elle logeait toujours chez l´habitant, ceux-ci parfois très étonnés devant son cheval. En fait, un beau matin, Christina alla chercher Horse, mais il avait disparu ! Volé. Après beaucoup d´angoisse et de recherches, on le retrouva, mais le voleur, furieux, prétendit l´avoir adopté parce qu´il était abandonné. De plus, il demandait des dédommagements ! Marchandage aidant, elle réduisit ses frais d´un tiers, mais finalement fut obligée de payer une rançon pour récupérer son cheval. (90)

 Dans l´intérieur des montagnes qu´elle traversait, habitaient auparavant de nombreuses tribus Mendi, environ  600, qui vivaient encore à l´âge de la pierre et dont les outils étaient encore fabriqués d´os et en pierre. (93) D´autres clans ne furent découverts qu´en 1977, car les explorations vers l´intérieur des terres furent interrompues par la 2e guerre. (94)

Les chevauchées de Christina faisaient frémir :

« Remonter la côte qui s´élevait en face fut un enfer ; les chemins avaient été conçus pour des gens capables de grimper à quatre pattes en s´aidant des racines et des creux de la roche. Quant aux descentes, elles étaient tout simplement terrifiantes. Le sol était pierreux, abrupt, rendu glissant par la boue. Un jour que je menais Horse le long de l´une d´elles, il dérapa et descendit si vite qu´il m´eût piétinée si je n´avais pas sauté de côté. » (79)

 

De Ialibu, elle partit vers les montagnes et les routes qui grimpaient jusqu´à 2.300m/ 2.700m d´altitude ; la pluie, le brouillard, le froid étaient du voyage.

Á cheval, Christina allait seule, savourant les sons de la forêt, les couleurs du paysage, l´infini plaisir de la solitude. Il faisait déjà froid à 2.100 m d´altitude, il pleuvait sans arrêt, le bois à brûler était aussi  mouillé, les vêtements trempés. Le voyage était autant fait de fatigue, que de faim, de découragement, d´éventuelles maladies, de la fièvre, des petits ulcères tropicaux ou de grandes blessures.

« Je ne me sentais pas très bien, probablement à cause du régime alimentaire médiocre que j´avais adopté depuis quelque temps et aussi en raison d´une mauvaise toux attrapée au contact des enfants. » (189)

Mais elle remontait toujours la pente, les gens étaient si gentils, ils partageaient tout : elle vécut, dormit, mangea, dansa, chanta avec eux, lors des rencontres fortuites ou des visites prolongées.

Christina, en ne voulant pas les offenser, mangeait tout ce qu´on lui offrait, comme par exemple, des larves ! Pas étonnant qu´elle en subisse les conséquences :

«  Ma fièvre montait. Je perdis la notion des jours. J´étais en sueur, partagée entre le délire et un état de semi-conscience. J´aurais donné cher pour un bon lit et la présence de ma mère. Elle m´aurait dorlotée, régalée de toasts au fromage et de milk-shake... Au plus fort de mon agitation, j´avais la sensation de me noyer. » (194)

 

Cela aurait pu très mal tourner, mais elle s´en est sortie. Christina eut  une mésaventure au cours de ses déplacements : un groupe de jeunes gens la suivirent et exigèrent son argent et son cheval. (100) Comme pour le voleur de Horse, elle marchanda, son couteau en main,  pour ne pas être totalement détroussée, mais ils étaient décidés à la voler. (101) Malgré la peur,

«  Je pris mon air le plus courroucé pour leur annoncer que j´irais trouver le chef de leur village et lui rapporterais leur tentative de vol. Cela eut l´effet de les calmer immédiatement [...]. (101)

 

Christina ne subit pas d´agression ou de harcèlement à caractère sexuel, à part deux occidentaux qui l´ont aidée à passer une rivière et qui voulaient à tout prix une « récompense ». (102). En effet, le patriarcat n´est pas un état naturel de l´humain, mais un système construit socialement qui permet et stimule l´appropriation des femmes.

D´ailleurs, à part les affirmations des anthropologues sur l´existence universelle du patriarcat, sans aucune preuve, rien ne prouve son existence de façon générale et atemporelle. C´est ainsi que les hypothèses sont devenues des certitudes.

Toujours à cheval, Christina  sillonna la région montagneuse ; elle se fixait souvent dans un endroit et ensuite partait visiter les environs. Son voyage s´étendit ainsi sur un large territoire.

« Le Gap me plaisait. J´aimais ces paysages désolés et l´absence totale de vie humaine. Cela me procurait une immense sensation de liberté : je n´avais ni à décliner mon identité ni à me justifier – je n´étais qu´un élément du ciel et de la terre. (112)

On la connaissait déjà un peu partout sous le nom de  Horse Lady. Deux vieillards lui affirmèrent qu´elle ferait partie de l´histoire du pays et « [...]qui sait- le point de départ de nouvelles légendes... » (114) 

Après toutes ses chevauchées, l´heure des adieux était arrivée. Il fallait se séparer de Horse. Comme convenu lorsque Christina en prit possession, elle dut le laisser à un missionnaire, le cœur brisé.

«  Les adieux furent déchirants. Le Père Albert répugnait à m´arracher Horse. Il essaya de me consoler en me décrivant sa ferme, le bétail, les chèvres et les juments qui allaient partager la vie de mon cheval. Mais ses paroles ne faisaient qu´aviver ma tristesses.[...] La boue toute fraîche recouvrait sa robe, et sa longue queue blanche s´agitait, pour chasser les mouches. Des larmes me piquèrent les yeux quand je le vis disparaître. » (126-127)

 

Pour se consoler Christina décida de monter le Mont Wilhelm, le point le plus haut du pays, 4.500m. Un camion-autobus l´emmena jusqu´au pied de la montagne (132), trajet extrêmement pittoresque, en compagnie de passagers et de marchandises diverses, tels des poulets, des sacs de café, du fuel. Mais les paysages étaient superbes.

Le lendemain, Christina commença à grimper, en traversant des forêts, des alpages, des vallées pour camper au bord d´un lac à  4.000m d´altitude. (133)

         Au sommet, elle assista au lever du soleil « [...] qui baignait le ciel de teintes féeriques. » (133) En contrebas, les lacs miroitaient.

« De retour à mon camp, je goûtai la plus intense sensation de solitude qu´il m´eût jamais été donné de connaître. [...] Qu´est-ce qui peut bien pousser quelqu´un à s´asseoir seul au sommet d´une montagne et à rechercher la société des nuages et des rochers plutôt que celles des hommes ? Quelles tempêtes récolterais-je si je jetais mes filets ? Et quels sont les rêves nébuleux que je poursuis dans le ciel ? «  (133)  

 

Au pays des crocodiles

 

Pour parfaire son périple il fallait que Christina goûtât à la navigation sur le fleuve Sepik, qui coupe les montagnes jusqu´à la mer ou sur le dédale de ses affluents.

la bande grise est le Sepik

Arrivée au fleuve par avion, c´est à bord du May River que Christina commença sa navigation, pour un trajet réalisé sans guide, avec une carte approximative. (15-142) Sa pirogue était creusée dans un tronc d´arbre, patinée par l´âge et l´usage. « La proue épousait la forme de la tête d´un oiseau-crocodile » précise Christina. (143)

Elle ne savait pas vraiment pagayer et c´état à peine si elle arrivait à maintenir son embarcation droit devant. Elle laissa donc la pirogue suivre son chemin et en profita pour apprécier le paysage.

« . [...] je pris conscience que ce que prenais depuis un moment pour des bûches disparaissait à mon approche...L´une d´elle avait... des yeux ! Je m´attendais bien à rencontrer des crocodiles, mais pas si tôt. » (144)

 

Christina n´allait pas où son désir la poussait, au début, mais où le courant la menait. Des méandres lui faisaient craindre de se perdre : elle marqua donc les arbres à la craie pour reconnaître le chemin si par hasard elle tournait en rond. (145)

L´atmosphère était admirable :

«  Je voguais lentement dans un décor de racines entremêlées en de savantes arabesques, couvertes de mousses et de fougères géantes, d´arbres garnis de guirlandes de sombres plantes grimpantes et d´orchidées bleues. La voûte des arbres filtrait une faible lumière verdâtre, les branches basses étaient voilées de toiles d´araignée. Le silence regagnait, seulement rompu par le bourdonnement des moustiques et les cris des perroquets. La forêt moite exhalait des odeurs d´eaux stagnantes et de fleurs inconnues. Sous les rayons du soleil, l´eau se teintait d´un rouge pourpre du fait de la végétation en décomposition. Univers étrange, fantastique. » (145)

 

Sur le fleuve Christine fit plusieurs rencontres, des chasseurs de crocodiles, des familles entières sur plusieurs canots conduits par de vieilles femmes fumant leurs cigares de feuille de bananiers. (155) À l´occasion des hordes de femmes en pirogue l´approchèrent et l´interpellèrent : Femme du Sepik ! (167)

«  Elles avaient entendu parler d´une femme blanche en canoë, mais elles n´y avaient pas cru. Nos bateaux s´aggloméraient comme les pétales d´une fleur de lotus et c´est ainsi que nous nous sommes laissées emporter par le fleuve, mes compagnes chantant leur joie de m´avoir découverte. » (167)

Quelle belle image !

 D´autres femmes, occupées à la pêche, lui apprirent la bonne manière de pagayer. (158) Il y avait peu de villages dans les environs du Sepik, mais elle reçut toujours un accueil chaleureux partout. (148-151)

Tout à coup, Christina frôla un désastre quand sa pirogue se retrouva coincée au milieu d´ un courant formant « des spirales insensées » !

«  Attirée comme par un mouvement de succion, heurtée par un arbre qui tournoyait, j´envisageai le pire. Surtout ne pas chavirer ! » (151)

Que d´émotions ! De plus, une fente s´était ouverte sur le côté de la pirogue. Et les crocodiles étaient toujours aux aguets. Malgré tout, à chaque halte, elle se lavait dans le fleuve...

Christina  sillonna les environs du Sepik, sans but précis, au gré du hasard. D´un village à l´autre les parures et les coutumes changeaient beaucoup ; elle se faisait héberger et ne répugnait pas de manger les « apéritifs » de larves bouillies. (189)

Lorsqu´elle arriva à Pagwi, ville très fréquentée dans la région du Sepik, sa pirogue fut volée ! Elle la retrouva dans un « stationnement »  de pirogues et la reprit tout simplement. Mais le paradis n´est plus ce qu´il était !

« J´en éprouvais un véritable désespoir, furieuse contre ce maudit progrès qui avait corrompu les tribus, contre la ‘route’ qui avait introduit dans les villages la bière, les missionnaires et tout ce à quoi je pus penser. » (165 )

Christina s´est même fait arrêter comme « espionne », car elle n´avait pas son passeport avec elle. Les femmes l´ont protégée et renvoyé les importuns à « de plus saines occupations » (168)

C´est dans cette partie du Sepik qu´elle a trouvé des genres de « boutiques » à touristes et a subi un harcèlement inattendu : des jeunes gens ramèrent vers elle pour lui proposer de coucher avec eux. Stupeur ! Elle n´avait jamais eu de telles avances depuis qu´elle naviguait sur le Sepik. C´est ainsi qu´elle est tombée sur un village où les parents livraient leurs filles à la prostitution. Une demande s´installe, l´offre l´accompagne. Les affres de la « civilisation » patriarcale s´étaient installées chez eux.

Et c´est la fin du voyage, un an d´errances, d´inconforts, mais que de découvertes et d´amitiés liées pendant ce temps !

«  Tout le long du fleuve, les gens criaient : Femme du Sepik ! Ils ramaient vers moi et m´offraient des fruits, des papayes, des melons d´eau, de la canne à sucre, du poisson et une nouvelle moustiquaire. Leur générosité me touchais plus que je ne saurais le dire. » (210)

Dans le tumulte qui accueillit son arrivée à Angoram, la voix d´un homme se fit entendre :

«  Femme du Sepik, dans ta pirogue, tu as parcouru un long, long chemin. Tu as triomphé du Sepik, la victoire est ta couronne. »(210)

 

Christina ainsi clôt le livre de son voyage en Papouasie Nouvelle Guinée :

«  Cette voix résonne encore en moi. » (210)

Et très bientôt, elle repartira pour d´autres aventures, tout aussi fascinantes.

 

Références

Dodwell, Christina. 1985. Une femme chez les Papous, Paris : Ed. Presses de la Cité

Foucault, Michel. 1971. L´ordre du discours, Paris : Gallimard.

 

Note biographique:

tania navarro swain

Professeure del´Université de Brasilia, docteure de l´Université de Paris III, Sorbonne. Elle a été professeure invitée, en 1997/98 à l´Université de Montréal-UdM, ainsi qu à l´Université du Québec à Montréal, à l`IREF- Institut de Recherches et Études Féministe. Elle a créé le premier cours d Études Féministes au Brésil, en graduation et Post-graduation, au niveau de Maîtrise et de Doctorat . Ses publications comprennent des livres, et de très nombreux chapitres de livre et articles dans des revues brésiliennes ou internationales (voir site personnel: www.tanianavarroswain.com.br) .Elle est également éditeure de la revue électronique "Labrys, études féministes", www.labrys.net.br


 notes

    [1]Travels with Fortune - an African Adventure (1979); Travels in Papua New Guinea (1982)

    An Explorer's Handbook: An Unconventional Guide for Travellers to Remote Regions - Travel, Survival, and Bush Cookery (1984); A Traveller in China (London: Hodder & Stoughton, 1985);A Traveller on Horseback in Eastern Turkey and Iran (1987); Travels with Pegasus: a Microlight Journey Across West Africa (1989);Beyond Siberia (London: Hodder & Stoughton, 1993);  Madagascar Travels (1995)