Les femmes brésiliennes sur la scène du politique :de nouveaux rôles ?

 

- un petit tableau d´ensemble

Le Brésil est un immense pays qui, s'étendant sur plus de 8 millions de kilomètres carrés,  représente presque la moitié de l´Amérique du Sud. On y  parle le brésilien, une transformation mélodieuse da la dure langue portugaise. Une population de métisses, créée par le viol systématique de millions  de femmes noires, pendant presque 400 ans d´esclavage et qui n´a connu l'abolition  qu´en 1888.

Le Parlement brésilien a été dissout plusieurs fois depuis que la république a été proclamée, et la Constitution a été altérée par les dictatures militaires. Le fonctionnement du Législatif a donc été fortement perturbé.[1] Les femmes se sont spécialement penchées sur leurs droit à l´éducation pendant les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale. Dans les années 60,  la lutte des femmes pour leurs droits, a été ralentie par une ample mobilisation – femmes et hommes- qui exigeait le retour à la démocratie. L´État de droit  n'est en vigueur  que  depuis une trentaine  d´années, avec élections démocratiques au suffrage universel. 

Les mouvements des femmes au Brésil sont très nombreux, mais ils manquent d´homogénéité, tant du point de vue théorique, que sur le plan des stratégies adoptées pour atteindre leur dessein  commun : accroître les droits, l´espace d´action et la participation des femmes, dans tous les secteurs socio-économico-culturel. Nous avons ainsi des réseaux féministes qui se spécialisent  dans la santé des femmes ( accouchement, allaitement, droits liés à la maternité), les droits reproductifs, droits du travail et  droit au travail, les réseaux contre la violence, l´aide et la protection aux femmes battues ou violées, etc… Le réseau universitaire est également étendu, avec près de mille plus de 700 groupes de recherche sur les femmes, tous cadastrés dans les universités brésiliennes.

 Dans les années 70 et 80, nous avons lutté pour la contraception, le  droit à l´avortement ( acquis uniquement en certaines circonstances : en cas de danger de mort et de viol) le droit à une sexualité épanouie.

La décade de 90 a été marquée par un « tournant politique »,  les mouvements féministes revendiquant alors  une citoyenneté participative, qui prétendait occuper la place due aux femmes, au sein des instances du pouvoir et de décision. 

 Les stratégies : créer un leadership (empowerment) pour que plus de femmes se présentent aux élections, assurées d´avoir de véritables chances d´être élues  et d´augmenter ainsi la  représentativité  féminine au Parlement brésilien à tous ses niveaux.  Plusieurs réseaux se donc articulés pour mettre en action une «  politique de présence », qui exigeait la participation des femmes aux instances du pouvoir. Sans se fier à une bienveillante ouverture du Parlement à un petit nombre de femmes,  les féministes se sont lancées dans une politique d´action affirmative, qui proposait des quotas pour les femmes au Parlement.  Ce texte essaiera d´en discuter la portée.

            Les premières femmes dans la politiquejalons de citoyenneté

Dès la fin du XIX e siècle, les femmes  brésiliennes revendiquaient le droit à la citoyenneté, avec les libelles  de l´écrivaine Nisia Floresta et de  nombreux  magazines édités et écrits par des femmes ; au début du XXe siècle, Bertha Lutz et quelques  compagnes réclament les pleins droits civils pour les femmes et fondent en 1922,  la Fédération Brésilienne pour le Progrès des Femmes, liée à  la NAWSA – National American Woman´s Suffrage Association, nord-américaine. Rachel Soieht indique que :

femmes se sont proclamées en faveur d´une éducation professionnelle, commune aux deux sexes, qui permette un ample accès aux activités professionnelles : le droit de vote, d´éligibilité et d´égalité civile. Celles, qui ont courageusement mis en question le divorce, la sexualité et la double morale, furent nombreuses. » ( Soihet, 2002)

Pendant dix ans, sans relâche, les Brésiliennes ont déployé leurs efforts pour multiplier les moyens de pression et ont  finalement obtenu le droit de voter et d´être élues, ce qui n´a été entériné qu´en 1934 par un amendement à la Constitution. En 1932, Bertha Lutz a été indiquée par la FBPF, comme représentante à la Commission chargée de l´élaboration du Projet de Constitution de 1934.

L´Assemblé Constituante de 1934, ne comptait que 2 femmes élues sur 254 membres : docteure Carlota Pereira de Queiroz, élue par l´État de São Paulo en 1933 et Almerinda Gama,  choisie comme déléguée de classe par le Syndicat des Dactylographes et Tachygraphes et de la Fédération du Travail du District Fédéral.  Bertha Lutz fut élue comme Suppléante de Député et ne put siéger à l´Assemblée Fédérale qu´en 1936, après la mort du titulaire . (Soihet, 2002)  Le chemin à peine débroussaillé, avait besoin d'être définitivement ouvert.

Si l´on fait la comparaison avec d´autres pays, nous avons  obtenu le droit de vote assez tôt. Mais la lutte et la résistance  des femmes pour la citoyenneté, a été absente des livres d´histoire et c´est  ainsi que le droit de vote apparaît  dans la mémoire sociale, comme une grâce faite par les hommes, imbus alors d´esprit de justice.  Jusque dans les années 60, les femmes mariées avaient  encore besoin de l´autorisation du mari pour voyager, pour avoir un passeport, pour travailler.  Une fois acquis le droit de vote, la division sociale des tâches, laissait supposer que les femmes  resteraient alors cantonnées au foyer, leur « lieu naturel », se contenteraient de se dédier à la famille et de voter comme leur mari. En conséquence, sous l´emprise des époux, pères et frères, elles ne représenteraient aucun obstacle à la direction "mâle" des affaires politiques

C´était oublier les mouvements des femmes.

 Les mouvements féministes des années 70 / 80 ont été très forts au Brésil, et ont réussi à casser quelques-uns des  moules rigides, qui figeaient la hiérarchie sociale et juridique, entre les femmes et les hommes. Mais dans la politique strictu sensu, leur rôle demeure  encore très mince. Apparemment, l´espace du politique demeure l´apanage du masculin : la représentation féminine au Parlement brésilien, plafonne en dessous des 10%. 

    -politiques d´idées ou politique de présence ? quelques réflexions

 L´élite androcentrique a toujours gouverné le pays, fait les lois et disposé des richesses. Au cours de la «  Première République » ( 1889), le vote était censitaire dans toutes les instances, et n´était octroyé qu´aux seuls hommes détenteurs d´une certaine fortune. Bien plus tard, en 1932, le droit de vote s´est universalisé à tous les hommes et à quelques femmes ( veuves, célibataires ou ayant l´autorisation de leur mari), puis ensuite aux hommes et aux  femmes lettré-es, et finalement à tous-tes citoyens-nes, âgés-es de16 ans et plus.

Après avoir obtenu le droit de vote (1932), signe majeur de citoyenneté, la résistance des femmes s'est poursuivie au cours des décennies suivantes, mais est restée invisible, puisque tenue sous une politique du silence, silence des média, silence de l´histoire.

Les mouvements féministes vont éclater en pleine lumière dans les années 70, et se mêler aux luttes contre la dictature ;  ce militantisme, n'a fait que provoquer une violente réaction de la part du phallocentrisme de la gauche. C'est ainsi que, devenus assez  autonomes, les mouvements féministes de l´époque mettent l´accent sur le clivage  classe/sexe et s´occupent de conscientiser les « femmes ouvrières », chantres de  la révolution sociale. (Rago,1995/1996 : 34). Les années 80, par contre, voient les féministes dans les rues, dans les média, pour revendiquer les droits spécifiques des femmes : droit à la disposition de leurs corps, droit au plaisir et à la sexualité, droit à l´avortement, droit à l´individualité, droits économiques et sociaux en régime d´égalité. Ce n´est pas ici le lieu d´en faire l´historique, mais ces mouvements ont mis les femmes en évidence, et ont de fait, créé leur existence en tant que sujets politiques.

La question de la représentation des femmes au parlement a suscité beaucoup de débats, notamment en ce qui concerne la question des quotas. Les discussions intellectuelles entre essentialisme/ spécificité/ différence/ égalité, ont alimenté  les débats et les articulations des féminismes brésiliennes, ici comme ailleurs. Mais de l´égalitarisme, prôné à partir de l´idée d´un sujet universel, et incarné par le mâle blanc,  on est passé aux stratégies politiques du quotidien, allant des revendications liées  aux spécificités dites féminines, à l´insertion des femmes hors des  coulisses, sur la scène même du pouvoir politique. La "différence",  s´impose alors pour marquer un espace qui doit être occupé, lieu d´ancrage, permettant d'entamer les transformations souhaitées.

De très nombreuses associations ont été créées, et les groupes de pression ainsi formés, ont réussi a changer certaines politiques d´État, des lois ont été votées pour la protection de la santé des femmes, de son travail ; on a dénoncé la violence et le viol domestiques, on a commencé à parler des femmes en tant que personnes, acteures dans le politique et non plus seulement de corps qui engendrent ou destinés au plaisir d´autrui. On entend résonner le  mot  "genre " ; c'est ainsi qu'en 1985 est créé le Conseil National pour les droits des Femmes (CNDM), lié au Ministère de la Justice et mené par des féministes chevronnées. [2]

 Les années 90 voient apparaître des Ong féministes en profusion, des réseaux d´action sur le terrain et/ou de recherches : plus de 700 groupes d´études sur le genre et le féminisme, voient le jour dans les universités brésiliennes. Les femmes  veulent aussi le pouvoir politique et leurs luttes s´orientent dorénavant vers la conquête des postes législatifs, exécutifs et juridiques, ainsi que ceux des décideurs[3].  La création de quotas pour les femmes dans les instances politiques, strictu sensu, est devenue une stratégie  à l´ordre du jour.

Le développement des mouvements des femmes, a dû faire face à  l´obstacle de  ceux qui «  (… ) avec arrogance, affirmaient que les idées pouvaient être séparées de la présence. », souligne Anne Phillips ( Phillips, 2001 :274). La réaction, cependant, a été celle de l´ affirmation d´une politique de présence.

Le nombre de femmes siégeant à la Chambre des Députés a été historiquement très réduit, comme l´atteste le tableau suivant :

Évolution de la participation des femmes à la Chambre des Députés , Brésil, 1932-1998

Anées

Candidates

Élues

 

Année

Candidates

Elues

1932

1

1

 

1970

4

1

1935

2

 

1974

4

1

1946

18

0

 

1978

4

1950

9

1

 

1982

58

8

1954

13

3

 

1986

166

26

1958

8

2

 

1990

29

1962

9

2

 

1994

189

32

1965

13

6

 

1998

2002

352

509

29

42

Source: Tribunal Supérieur Électoral, déc. 2000. et  CFEMEA/Eleições 2002  – le 7 octobre   2002

Suite aux actions et aux revendications des mouvements des femmes, on peut aujourd´hui enregistrer un  certain progrès : lors des élections en 2002, 42 femmes ont été élues députées fédérales ( Chambre des députés) au Brésil , ce qui représente 8,2% des  sièges. Cela signifie un accroissement de 45% de leur présence, si l'on considère les élections de 1998, alors que 29 députées ont été élues, soit  5,6% do total. (Cfêmea, 2002). Pour le Sénat ( Chambre Haute) 8 candidates ont été élues, soit 14,8% du total.  Deux sénateures sont actuellement en poste, ce qui représente pour le Groupe Féminin au sénat, 10 femmes sur 81 sièges, soit 12.3% du total. [4]

-         La présence et l´action affirmative

 Être présente, avoir un droit de parole et de décision, représente un grand pas en direction de changements plus profonds et d´une transformation des relations sociales/sexuelles/de sexe : c´est le point commun à tous les féminismes.  

Les  politiques de présence et d´action affirmative, sont ainsi mises en œuvre par une pléthore de mouvements féministes, notamment à partir des années 90, qui permettent de promouvoir une articulation avec les  femmes élues aux différents niveaux du Parlement brésilien. Ils se sont donné comme ligne d´action, la création de candidatures et de  leadership féminin. La question de la représentativité se pose donc ainsi : qui peut représenter qui ? La problématique se déplace alors d´une  notion de « différence », qui  s´applique aux idées et aux opinions, vers  celle de  la «  […] représentation adéquate,  […] qui implique une représentation plus pointue des différents groupes sociaux, composant l´ensemble des citoyens. »(Phillips, 2001 : 273)  Cette perspective apparaît comme éminemment pratique et peut mener  à des réformes immédiatement possibles : c´est le cas du système des quotas, dont profitent les femmes parlementaires de plusieurs pays - 11 actuellement dans le monde. ( PNUD,2002)

 Les catégories de  empowerment  et  advocacy, font partie d´un vocabulaire très présent de nos jours, dans tous les types d´action politique féministe. L´ empowerment,  de façon générale,  prétend  donner aux femmes le pouvoir de connaître, de penser, d´agir librement, de réaliser leurs  potentialités, d´obtenir l´égalité des salaires, et de rendre possible leur accès au monde du travail. Les réseaux féministes brésiliens travaillent actuellement en ce sens, selon les chemins tracés par la IVe Conférence Mondiale sur les Femmes, à Beijing. Nous y trouvons notamment, les actions visant à la formation du leadership politique :  le regroupement des femmes parlementaires, à partir de 1987,  (Bancada Feminina ) et les groupes féministes, ont mené plusieurs campagnes, dans le post- Beijing, notamment «  Les femmes sans peur du pouvoir », qui a lancé un manuel destiné aux candidates aux élections d´août 1996 et le projet de Participation égalitaire des Femmes aux instances de décision municipales  (Costa, 2001 :214/215), avec l´appui de l´UNIFEM et du PNUD. [5]

La formation de leaders-femmes et leur  formation en vue de l´exercice du pouvoir politique, n´a cessé d´être prioritaire dans les rangs des organisations féministes brésiliennes. Quelques- unes, comme le Cfêmea, ( Centro Feminista de Estudos e Assessoria), travaillent en étroite collaboration avec les femmes élues, en leur fournissant des données, des études, et des assesseures.

Dans la perspective d´une politique de présence, l´ advocacy  se réfère aux tactiques de pression politique et à l´articulation des organisations civiles, afin de  donner une meilleure visibilité à certains thèmes et influencer l´adoption de politiques publiques. Des objectifs et des campagnes  spécifiques sont définis, non seulement  pour changer les attitudes et les comportements, mais également pour stimuler des changements dans les politiques publiques, de la législation, du budget et de la distribution des ressources. (IBASE,2002) C´est le cas des campagnes déclenchées par le Groupe Féminin au Congrès, et sa lute pour les quotas : en 1996 on a stipulé comme but, un quota de 20%  pour les femmes aux élections législatives municipales (Loi 9.100/95), qui est passé en 1997,   à un quota de 30% pour les candidatures féminines. (Loi 9.504/97). L´articulation de ce groupe de femmes parlementaires aux ONG féministes, a été essentielle pour le succès des campagnes électorales.

Par conséquent, les actions affirmatives mettent en pratique les deux perspectives citées plus haut,  empowerment  et  advocacy, «  […] afin d´ affirmer, récupérer et redistribuer les droits, […] équilibrer les relations de genre, de race/ethnie, de générations, ce qui ne manque pas de créer des polémiques, lorsque la décision peut entraîner une plus grande division des pouvoirs. » (Sonia Miguel, 2000) Ce fut le cas des  quotas qui, à tous les niveaux, ont servi les candidatures des  femmes aux élections brésiliennes.

- Les quotas : les femmes au pouvoir ? Les données

 La Constitution brésilienne de 1988, déclare la totale égalité entre les femmes et les hommes. On constate cependant, que dans la réalité, la situation des femmes demeure défavorable par rapport à celle des  hommes : dans le domaine de l´emploi, le salaire moyen des femmes n´atteindrait qu´ un salaire minimum et demi,  tandis que celui des hommes, graviterait  autour de 3,2  (1999), malgré le fait qu´elles auraient un niveau plus élevé de scolarité. (Yannoulas, 2002:21) 

Almira Rodrigues affirme que « le Brésil a ratifié tous les accords internationaux  pour la construction de la citoyenneté des femmes et l´égalité de genre, mais […] malgré cela, on peut constater  une grande distance entre les conquêtes légales et la réalité de la condition féminine et des relations de genre dans le pays. » (Rodrigues, 2001 : 89) 

Nous pouvons lire, dans le rapport le plus récent  du PNUD :

 « (…) forger des liens entre les femmes politiques et les groupes de femmes,      offre un soutien aux initiatives qui tentent de faire approuver des lois de défense des droits des femmes[…] » (PNUD, 2002 :70)

Est-ce une constatation ou un souhait exprimé par cette organisation? Au Brésil cette articulation se fait non seulement par le biais des féministes engagées en politique, mais aussi par l´action et la pression des mouvements des femmes sur les femmes élues.

            L´analyse des discours parlementaires, nous permet de constater que  l´absence ou la présence sporadique des femmes au sein du parlement brésilien,  n´a pas suscité de grands débats ; à partir  des commémorations du Jour International des Femmes, tous  les 8 mars, (Miguel, 2000 :37)  des  discours enflammés critiquent ce fait,  tombé dans l´oubli le lendemain. Les discussions se sont toutefois accrues, lorsqu´ en 1995 une politique de quotas pour les femmes dans les instances de pouvoir – législatif, exécutif et judiciaire-  a été revendiquée non seulement par les mouvement des femmes, mais aussi par les députées elles-mêmes.

De rares femmes politiques, comme le cas exemplaire de Martha Suplicy,  ont prôné et réalisé l´articulation féminisme/ représentation politique.  Dans les années 80,  cette dernière était à la tête d´un programme matinal très populaire, appelé « TV-Femme-Globo », où  elle menait discussions et débats sur la sexualité féminine, les rapports sexués, etc… Élue députée, elle est aujourd´hui la mairesse de São Paulo, la plus grande ville d´Amérique Latine ( plus de 20 millions d´habitants ), la quatrième sur le plan mondial, mais aussi l´une des plus problématiques villes au monde[6].

C´est donc en août 1995 que sur son initiative,  la politique des quotas a été proposée ; Martha Suplicy a tenu à souligner cependant que  : « Cette proposition ne doit  pas  être celle d´une femme individuelle, mais bien celle de toutes les femmes de la Chambre des Députés(…) ». (Malheiros Miguel, 2000 : 41), Et répondant à son appel, 26 des 29 députées, ont signé sa proposition polémique.

La politique des quotas, prévoyait un pourcentage minimum de candidatures féminines présentées par les partis politiques aux élections (fédérales, provinciales et municipales) et le projet de loi proposé, suggérait la modification permanente du code électoral, en établissant un quota de 30% pour les femmes candidates .

 Cependant, dans un premier moment, cette  politique de quotas a été établie uniquement  pour les élections municipales de 1996, par la loi 9100, du 29 septembre 1995. En 1997, une nouvelle  loi (No. 9504 du 30 septembre), a créé alors une politique permanente de quotas, qui définissait un minimum de 30% et un maximum de 70% pour les candidatures de chaque sexe pour toutes les instances : fédérales ( chambres : sénat et députés), provinciales ( gouverneurs) et municipales (maires)   ( Miguel, 2000 :55)

La politique des quotas,  prévoyait un pourcentage minimal pour les candidatures féminines au sein des partis politiques et le projet de loi proposé suggérait la modification permanente du code électoral, en établissant un quota de 30% pour les candidates. Cependant, dans un premier moment, la politique des quotas a été établie ponctuellement, pour les élections municipales de 1996, par la loi 9100, du 29 septembre 1995. Ce n´est qu´ en 1997, que la loi 9504 du 30 septembre a crée une politique de quotas permanente, à tous les niveaux électoraux, qui définissait un minimum de 30% et un maximum de 70% pour les candidatures de chaque sexe. ( Miguel,2000 :55) Cette nuance répondait à la question de la discrimination des hommes, créée  par les quotas destinés aux femmes. Cette « discrimination contre les hommes », fut l´un des arguments avancé, pour s´opposer aux quotas féminins, sous prétexte d´inconstitutionnalité.  À cela, la  députée Marina  Serrano  a donné une réponse cinglante :  sans les quotas, dit-elle

« (…) toute prétention à l´impartialité, à la parité ou à un équilibre minimal, serait mise en danger - comme elle l´a toujours été, d´ailleurs, – et les collègues me pardonneront – face à l´écrasante volonté masculine d´ occuper  toujours plus d´espace  politique. »  ( Malheiros Miguel, 2000 : 47) 

Martha Suplicy a souligné que la proposition  des quotas était  une action affirmative, c´est-à-dire une sorte de discrimination positive : « cela signifie la réaction d´un groupe, qui refuse sa situation d´infériorité et  de  préjudice dans laquelle il est placé, et qui agit dans le but de faire changer les choses. » (Idem) Les députées brésiliennes, dans leur grande majorité, s´intéressent d´ailleurs aux propositions féministes : 75% d´entre elles déclarent connaître intégralement la Plate-forme Féministe d´Action Mondiale( Rodrigues, 2001 : 77)  L´articulation entre les débats des mouvements féministes et la proposition faite par la députée à la Chambre, est ici évidente. L´ action affirmative, la discrimination positive,  sont des notions contenues dans la «  politique de présence », que j´ai soulignée plus haut, et qui étaient prônées par  les mouvements féministes depuis de nombreuses années.

Le projet sur la politique des quotas a, toutefois, été voté sans plus de difficultés – un seul parti a recommandé à ses députés de voter contre : mais après le résultat favorable, il s´est empressé de faire amende honorable. ( Rodrigues, 2001  :44)  En vue de la préparation des élections de 2002 (septembre/octobre), les mouvements féministes ont réalisé une rencontre au sein du Parlement brésilien, à Brasilia :  la Conférence Nationale des Femmes Brésiliennes (CNMB). Elle était le résultat des 26  Conférences réalisées dans les différents  États, les 6 et 7 juin 2002,  avec la participation de nombreuses  femmes parlementaires. La réunion de 5 200 femmes, issues des mouvements féministes, a élaboré une Plate-forme Féministe, qui fut distribuée aux candidates et candidats aux élections de la même année. Il est intéressant de signaler ici, que les médias, ont passé sous silence cet événement .

Malgré le fait que les femmes soient majoritaires au sein de l´électorat brésilien, le poids de la tradition androcentrique de contrôle et de pouvoir, ainsi qu´une auto-image négative du féminin, font que les femmes ne votent pas pour les femmes. On remarque un phénomène identique parmi les noirs brésiliens : une population de noirs et de métisses, n´élit que des blancs.

Élections et régime des quotas :  quel succès ?

Les résultats des élections générales de 2002, ont été les suivants :

Chambre des Députés Fédérale ( Chambre basse)--Élus-es -2002

Femmes            %                    Hommes              %                       Total

       42               8,19                   471                91,81                    513

Source: CFEMEA/Eleições 2002  données du Tribunal Superior Eléctoral: TSE – le 7 octobre   2002

           Sénat      ( Chambre Haute)     Élus-es – 2002

Femmes               %                   Hommes            %

    8                  14,61                     46                  85,19%

Source : Cfêmea/eleições 2002 –TSE- 10/10/2002

 

            Le régime des quotas a-t-il présenté les résultats escomptés ?

On constate ici, que la  participation féminine est encore  fort modeste aux élections de 2002, malgré tant d´années de féminisme militant. Loin d´atteindre les quotas  de 30%  réservés aux candidates, ces dernières élections confirment que les femmes n´ont pas encore dépassé le seuil des 10 %  à la Chambre Basse.

Une étude comparative nous montre les chiffres suivants :

Chambre de Députés : Femmes élues                              Assemblées d´État : Femmes élues

1994     %        1998     %         2002       %                      1994       %          1998       %          2002        %

32       6,24        29       5,65      42         8,19                     82          7,85      106      10,01       133       12,56 

source : Cfêmea/ Eleições 2002

 

Ces  résultats ne sont pas probants quant à l´augmentation des femmes élues, puisque la première expérience des quotas (1998), a fait baisser leur représentation, en nombres absolus et en pourcentage. Aux élections de 2002 par contre, on constate une légère augmentation de la représentation féminine, qui est bien loin encore d´une représentation au tiers. Serait-ce peut-être, à cause d´une articulation plus ténue entre les mouvements féministes entre eux et les femmes parlementaires ?

En ce qui concerne les candidatures, les chiffres suivants ne montrent aucun accroissement constant, ni même spectaculaire. Le cas le plus marquant est celui des Assemblées Législatives des États, en franche évolution et qui atteste le travail des mouvements féministes locaux, en vue de la formation d´un leadership féminin.

           Candidates au Sénat ( Chambre Haute)

1994        %        1998         %          2002       %           

17         7,33           23       14,11        36        11,91

source : Cfêmea/ Eleições 2002

Candidates à la Chambre des Députés ( Chambre Basse)/ quotas

Quota 0        quota 25%         quota 30%

1994       %         1998         %             2002        %

185         6,15       348        10,37          509          11,52

source : Cfêmea/ Eleições 2002

Cette expérience montre que les quotas, qui se limitent aux candidatures, ne sont pas en mesure d´assurer une participation politique féminine importante, au sein des instances législatives. Les partis politiques se plaignent de ne pas trouver de femmes, qui veuillent s´engager dans la politique, afin que leurs quotas soient atteints.  C´est ainsi que les mouvements féministes se sont articulés pour investir dans des programmes d´instruction,  qui  permettent aux femmes de développer le goût et les aptitudes pour le jeu politique

Les mentalités et les représentations sociales ne changent pas à coups de législation. La représentation politique des femmes est encore très faible. Le système des quotas pour les candidatures féminines aux élections ne s´est  pas montré assez fort, pour promouvoir les femmes contre le poids des traditions et de la division du  travail ; mais son implantation a eu le mérite de montrer l´énormité de la discrimination.

La dimension  symbolique, de la présence des femmes dans les Chambres Législatives et aux postes de décision, n´est pas du tout négligeable,  pas plus que leurs actions affirmatives. On retrouve cette même dimension symbolique du langage, lorsque la députée féministe, Martha Suplicy, a réussi  à faire passer un amendement,  qui oblige qu´apparaisse simultanément l´inscription des deux sexes des candidats, sur  les bulletins électoraux. (par ex. Député-e)  Ce sont des « détails », qui lèvent ce voile qui nous recouvre de silence.

-         Perspectives...

Les femmes élues seraient-elles représentantes des intérêts des femmes et surtout existe-il des intérêts communs aux femmes ? La question sur la représentation politique des femmes au Parlement, semble indiquer un retour aux  prémisses du sujet universel. Si l´expérience des femmes est singulière, pouvons-nous parler d´un  groupe de femmes, ou bien encore définir le moyen de le représenter? 

Nous nous trouvons ici à nouveau, face à la dichotomie binaire « classique » individu/société, socle sur lequel repose la pensée occidentale: même si l´expérience des femmes est traversée de variables sociales et personnelles, il existe un féminin imagétique, créé par le social, grâce à des  images et des représentations de valeurs et de normes qui moulent un profil de genre, désigné comme « femme ».

La singularité de l´expérience n´efface pas les données  qui généralisent l´ «  être femme » dans le social. Il n´existe, certes pas, de féminin homogène, mais nous partageons des représentations qui définissent des comportements et des attitudes semblables, des représentations sociales qui créent le féminin

Les femmes élues aux postes législatifs ne forment pas un groupe homogène : elles  ont des expériences très dissemblables au niveau personnel, social et politique. En tant que femmes, cependant, elles partagent les situations d´exclusion et de domination, imposées par le système patriarcal encore très puissant au Brésil ; c´est ainsi que les intérêts « des femmes », peuvent gagner une « place au soleil » dans les forums politiques.

. La politique des quotas, par la «  discrimination positive », fait éclater en plein jour, l´aspect  illusoire du «  sujet universel », qui jusqu´alors n´a su représenter et légiférer qu´au masculin. La présence des femmes au Parlement, est également un facteur important, permettant la  transformation des images, qui forgent les relations sexuées et la division du travail dans l´imaginaire social.

 De toute évidence, c´est la présence et les actions des femmes au Parlement brésilien, qui font la différence ( dans tous les sens) : une recherche récente indique que le Groupe Féminin du Parlement, est en grande majorité favorable aux droits des femmes et aux politiques pour la promotion de l´égalité de genre (Rodrigues, 2001 :90), soit un nombre supérieur à celui (favorable) des parlementaires hommes, qui représentent cependant plus de 80 % des élus à la chambre. Amélia Rodrigues, chercheure féministe  du Cfêmea, abonde en ce sens  «  (…) ce Groupe (féminin) représente un point d´appui essentiel pour les mouvements des femmes, non seulement par sa représentation et son suivi des propositions législatives, mais également par l´argumentation et la sensibilisation des collègues parlementaires. » ( Idem)

Selon cette étude, au niveau des trois instances de l´appareil d´État, l'appui donné à l´égalité de genre, par les parlementaires, femmes et les hommes, se pose de la façon suivante :

    Législatif                         Exécutif                         Judiciaire

>Femmes  Hommes        Femmes    Hommes         Femmes         Hommes

>100            58,5                 72,2        27,1                   66,7               31

>Rodrigues, 2001 :84

Lorsqu´il s´agit de redistribuer le pouvoir d´arbitrage ( judiciaire) et de décision ( exécutif), il apparaît ici, qu´un tiers des femmes députées se montre timide et que la grande majorité des hommes, défend farouchement ses positions.

 Par contre, la criminalisation de l´harcèlement sexuel, a  regroupé 94,4% des femmes et 72,9% des hommes en sa faveur. En ce qui concerne la priorité budgétaire donnée aux politiques publiques destinées au genre, on constate un écart important :  94,4% des femmes favorables, contre seulement 48,4% des hommes. Même dans le cas du traitement des victimes de violence sexuelle, par le réseau hospitalier public, les hommes ne se montrent pas unanimes : 94,6% se montrent  favorables. ( Idem : 84-85)

 Ces chiffres sont très expressifs quant à la nécessité de la présence des femmes au Parlement, afin de pouvoir imposer l´insertion des questions de genre dans les débats législatifs.

Aujourd´hui, les mouvements féministes sont très actifs au Brésil. Leur action  se concentre sur  la conquête des instances du pouvoir et de décision politique et insiste donc sur  la formation des leaders femmes. ( Costa, 2001)  Leurs alliances avec les femmes parlementaires se sont multipliées, et  nombreuses sont celles qui ont  participé aux Conférences Mondiales sur les femmes, en attestant ainsi leur engagement dans les luttes et revendications féministes. Dans les années 90, dix campagnes nationales ont été lancées pour les droits des femmes et ceci, grâce aux articulations entre les mouvements féministes, les femmes parlementaires et quelques partenaires institutionnels. ( Rodrigues, 2001 : 11)

Toutes les féministes savent que les transformations ne se font pas sans luttes et sans acharnement. Nous sommes sur le bon chemin.

Références :

Cfêmea- Centro Feminista de Estudos e Assessoria . 2002. Brasília, - www.cfemea.org.Br, octobre 2002(consultation)

Costa, Delaine Martins. 2001.Capacitação de líderes  femininas: uma reflexão sobre a experiência do IBAM, Estudos feministas, , vol.9, n.1, pp.213-224

 De Lauretis, Teresa. ( 1984) Alice Doesn’t, Feminism , Semiotics, Cinema, Bloomington, Indiana University Press

IBASE, 2002. www.ibase.org.br/paginas/advocac1.html, octobre 2002 ( consultation)

 Miguel, Sonia Malheiros. 2000.  A política de cotas por sexo, um estudo das primeiras experiências no Legislativo brasileiro , Cfêmea , Brasília.

Phillips, Ann.2001. De uma política de idéias a uma política de presença? Estudos feministas, vol.9, n.1, pp.268-290

PNUD, 2002 . http://www.undp.org.br/HDR/HDR2002/default.asp , octobre 2002 ( consultation

Rago, Margareth. 1995/1996. Adeus ao feminismo? Cadernos AEL,” Mulher, História e feminismo”, Unicamp, Instituto de Filosofia e Ciências humanas

Rodrigues, Almira.2001. Cidadania das mulheres e legislativo federal: novas e antigas questões em fins do século XX no Brasil, Centro Feminista de Estudos e Assessoria, Brasília.

Soihet, Rachel. 2002. « Transgresser et conserver : Les femmes font la conquête de l´espace public. La contribution de Bertha Lutz » , Labrys, études féministes, n.1 et 2 ( numéro double), www.unb.br/ih/his/gefem, octobre, 2002 ( consultation)

Yannoulas, Silvia Cristina.2002. Políticas públicas e relações de gênero no mercado de trabalho, Cfêmea/FIG/CIDA,  Brasília.


 

[1] Étant donné cette instabilité  institutionnelle qui a atteint  de plein fouet le Législatif, il s´avère difficile  de présenter des statistiques fiables ou significatives, sur la présence des femmes au Parlement brésilien entre 1932, date à laquelle elles deviennent éligibles et les années 70, moment d´essor et de visibilité politique  des mouvements des femmes et des féminismes au Brésil

[2] L´actuel gouvernement de gauche a créé un Secrétariat pour les droits des femmes, avec un statut de ministère, dont la Secrétaire est issue des mouvements féministes. Ce même gouvernement, cependant, n´a réservé que quatre postes pour les femmes dans le corps ministériel. 

[3] « décideurs » : ce mot appartient au jargon féministe  et est fréquemment utilisé par les média. Il s´agit évidemment de ceux qui occupent des  postes-clefs dans les gouvernements,  prennent les décisions , octroient les financements, choisissent les cibles à atteindre, etc…

[4] Marina Silva, l´une des sénateures et actuelle ministre de l´environnement (2003),  a eu une carrière foudroyante : issue des milieux les  plus démunis, ceux des travailleurs de  la région amazonienne qui font l´extraction du caoutchouc, d'une famille de onze enfants, elle a appris à lire et à écrire pendant son adolescence, a été employée domestique, et malgré les difficultés  insoupçonnables,  elle a  réussi à gravir tous les échelons sociaux et politiques. Alors qu'elle obtenait toujours le plus grand nombre de votes dans son État (Acre), elle se présenta aux élections pour être sénateure et envoya le  message suivant au Sénat brésilien : «  J´arrive ». Elle fut élue en 1994, à l'âge de 38 ans, la plus jeune membre du Sénat de l´histoire de la République.  Elle était connue comme la «  Sénateure de la Forêt », et occupe actuellement  le poste de Ministre de l´Environnement, dans le nouveau gouvernement de gauche, dont elle a été une éminente militante chevronnée.  Ses discours pour les droits des femmes au Sénat, sont  nombreux et enflammés.

[5] Il est important de signaler, que les réseaux féministes brésiliens s´articulent entre eux et utilisent les fonds mis à la disposition des groupes de recherche et d´ action pour la promotion du statut des femmes. En effet,  l´alliance des femmes parlementaires, avec les groupes de femmes, a été considérée cette année (2002), comme une stratégie d´ « empowerment » par le Rapport du Développement Humain. Ce rapport, reconnaît  ainsi que, les résultat négatifs obtenus par les femmes sur le plan du développement mondial,  est dû également à leur faible participation dans le monde économique et/ou  dans les instances politiques. (PNUD,2002 :24)

[6]  Centre économique du Brésil, São Paulo abrite plus de 20 millions d´habitants, et attire les courants de la migration interne. L´extrême pauvreté y côtoie la richesse  outrancière de la grande finance et des grosses industries. La criminalité y est très élevée – trafic de drogues, combats de gangs dans les rues, assassinats, kidnapping, et viols que l´on compte à la minute.  Les bidonvilles surpeuplés, la pollution, les inondations, le chômage,  une circulation insensée, la mendicité, font de cet immense amas de ciment, un territoire très  difficile à cerner et à diriger.