« Tous les hommes sont mortels. Les femmes ne sont pas des hommes. Donc, elles sont immortelles. » tania navarro swain “C´était les victimes oubliées du vent qui avait dispersé les gens dans toutes les directions, les retardataires de la diaspora, ceux qui étaient restés en arrière, sans espace propre, sans une place dans les temps nouveaux [...] ils n´avaient aucun jardin oû planter des semences, ni même un canari qui chante en fin de soirée. Leur seule occupation était de déjouer la mort, de ne penser qu´à elle, de l´anticiper, » Isabel Allende Résumé L´éloge de la vie en elle même, est utilisé pour le contrôle des populations, mais surtout pour discipliner et s´approprier les corps des femmes. Tant qu´elles sont disponibles sur le marché du sexe et de la procréation, le patriarcat, avec ses multiples visages, s´emploie à s´arroger et assujettir la vie des femmes, tout en leur niant le droit de disposer de leurs corps et de leurs vies. Tout se passe comme si les corps des femmes étaient une proprieté sociale, à la disposition de la fraternitas masculine. Ce qu´on peut remarquer, dès lors, c´est que la vie des femmes vaut bien moins que leurs sexes ou leurs uterus procréateurs. Quelques refléxions de Foucault, sont des outils importants pour cette analyse. Mots-clé; Vie, mort, femmes, contrôle, corps
Nous nous efforçons de vivre. Tout se passe comme si seul le fait d´exister était important. En vérité, je crois que la vie n´est pas la valeur suprême, mais elle s´est installée comme telle dans nos formations et nos imaginaires sociaux. La valorisation de la vie fait partie d´un dispositif de contrôle et de domination : on nie le droit élémentaire à l´euthanasie, on condamne le suicide, comme si vivre était en soi sa propre justification, suffisante pour expurger la souffrance, la douleur, la maladie, la vieillesse. L´élégie à la vie voile, en fait, les mécanismes d´exploitation de l´humain, par de multiples systèmes d´assujétissement, de résignation, de conformisme. Si, comme le suggérait Foucault, le contrôle des populations exige le maintien de la vie, il est cependant imprégné de normes et de hiérarchies de genre. Il est évident que la vie de certains est plus importante que celle de certains autres et, surtout, de certaines autres. La vie des femmes prostituées, dans ce grand festin patriarcal où elles sont consommées, la vie des petites filles et des jeunes victimes du trafic international et national de femmes destinées à la prostitution – ces êtres humains convertis en trous pour être utilisés et pénétrés, ces vies-là importent peu. Elles servent à un système fondé sur et par le patriarcat et le dispositif de la sexualité qui, dans la biologie, le sexe et la pratiques de la sexualité, distille les discours fondateurs de l´humain, la consagration de la vie, tout juste le fait d´exister. À qui sert cette célébration de la vie ? Dans quelle mesure la promotion de la vie, en elle-même, constitue-t-elle un mécanisme d´assujétissement et de contrôle ? Ce sont là les questions-clefs qui sont enracinées dans le politique. Dans certains pays, la vie n´est pas la valeur suprême, comme au Japon où, apparemment, l´honneur est placé au-dessus de tout. La défense de la vie en tant que telle, comme elle est pratiquée, par exemple, par les mouvements anti-avortement, recouvre d´autres desseins. Le contrôle du corps des femmes et de la procréation est bien, finalement, l´un des mécanismes d´assujétissement, l´une des techniques de genre qui produisent la hiérarchie et l´assymétrie politique entre les sexes : il s´agit ici de la technique de contrôle des populations, mentionnée par Foucault. (1976 : 83) Si la vie des enfants était si importante, il n´y aurait pas cette multitude d´abandonné/es, ces êtres dont on peut se passer socialement. Dans ce cas, ce qui importe c´est le contrôle sur les corps qui procréent, donc sur les femmes comme telles. Le dispositif de la sexualité, qui crée les corps et impose une hétérosexualité normalisatrice, s´imbrique aujourd´hui dans un dispositif de la violence, qui incite et crée, régule et détermine les pouvoirs sur la vie et la mort. Ce dispositif est pour Fouca « [...] un discours définitivement hétérogène, qui englobe des discours, des institutions, des organisations architechtoniques, des décisions régulatrices, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales et philantropiques. En somme, le dit et le non-dit sont les éléments du dispositif. Ce dispositif est le réseau qui s´établit entre ces éléments. » ( Foucault, 1988:244)
La violence constitue également aujourd´hui un dispositif, une économie instituée et naturalisée lorsqu´il s´agit, par exemple, de relations de genre ; les femmes y sont représentées, traitées, regardées et utilisées au prisme de la violence symbolique et matérielle qui se pratique en images, discours, philosophies et autres subordinations diverses. Le dispositif de la violence incite et produit la domination, la discrimination et des morts de toutes sortes. Si le présupposé de la différence « naturelle » des sexes institue le dispositif de la sexualité, la violence en est sa matérialisation. Dans ce cas, l´hypersexualisation est l´exacerbation du dispositif de la sexualité, inséparable de la négation de vies, de la violence fondée sur la différence des sexes et son corollaire de domination et d´exclusion, installé dans l´in-différence. C´est ainsi que la création de la différence des sexes est un acte politique qui, en condamnant la moitié de l´humanité à un destin biologico-procréateur, entrave tout mouvement hors de ce chemin univoque. Foucault en analyse les perspectives concernant la vie qui, en des conditions spécifiques de production, souffrent des changements significatifs en tant qu´objet de savoir, de connaissance, de réflexion, comme objet d´exercice du pouvoir/autorité. Depuis la punition de mort jusqu´au contrôle général des comportements par la discipline et les normes, Foucault montre les transformations des régimes de vérité, des constructions des évidences et des naturalisations distillées comme axiomes, dogmes scientifiques et réduits de vérité, qui ne sont accessibles qu´à certains, ceux qui ont droit à la parole. A vrai dire, comme l´explique cet autor, tout le monde ne peut dire n´importe quoi, n´importe oû, ou mieux encore, la question est : qui parle, à qui, de quoi et surtout, quels sont les effets de pouvoir que possèdent ces discours ? (Foucault, 1971).Contrôler les corps des femmes qui multiplient les vies, établir les normes et légiférer en matière de conception et de sexualité, de « droit de vivre » in utero, au détriment des femmes et de leurs droits citoyens, tout cela représente les méandres des technologies de genre, qu´ils réinstaurent dans les pratiques discursives de celles-ci. Lorsqu´on parle de la vie, les religieux et leurs adeptes s´hérissent comme si valeurs et croyances étaient choses absolues, universelles, a-historiques, inhérentes à la vie elle-même. Récemment au Brésil, une petite fille de 9 ans violée pendant des années, par son beau père a été excommuniée par l´archevêque d´Olinda et Recife, ainsi que sa famille et les médecins qui l´ont avortée. Cependant, il a excusé le violeur, car il ne s´agissait que d´un crime mineur, puisqu´il ne touchait pas à la vie ! Les réligieux défendent avec férocité leurs prérogatives de contrôle, maîtres qu´ils sont dans l´art de la domination et de l´assujétissement. Pour ceux qui pourraient faire des conclusions précipitées, je tiens à préciser que je ne défends pas ici, les morts ou les suicides, ou bien les eugénies, je ne fais que réfléchir sur l´importance sociale de discours fallacieux qui donnent à la vie une valeur imposant l´acceptation de toutes les injonctions, les ordres ou les démentis, les tortures, les disciplines, les limitations, les punitions, les normalisations. les emprisonnements. Les problèmes de natalité, de longévité, donc, mais aussi de gestion de la vieillesse – cette nouvelle mire d´un capitalisme vorace – composent les techniques de valorisation de la vie. La vieillesse permet de créer des spécialités : on voit proliférer les maisons pour personnes âgées qui offrent de nouvelles sources de gains, infantilisent les vieilles personnes tout en libérant les jeunes afin qu´ils puissent faire profiter les marchés de la vie et du sexe. On cache les vieux, afin que leurs tremblements ne mettent à jour notre propre destin. Loin d´apporter le bonheur, la longévité ne fait qu´entretenir un négoce lucratif. Peu importe si en vivant plus longtemps, les personnes doivent faire face à des conditions de vie de plus en plus médiocres, alors qu´elles perdent leurs sens et leur raison : on exalte la vie à tout prix et le capital en récolte les fruits. La mort est un phantome qu´on doit éloigner, taire et effacer si possible, grâce aux traitements de rajeunissement dans les cliniques gériatriques, dans ces « maisons de repos » qui ne sont en fait que des mouroirs institutionnalisés. Que faire des vieux, des vieilles, si ce n´est les rassembler et les laisser mourir ? En prolongant la vie, on voit la mort rôder insidieusement et la vieillesse annonce ce destin inexorable, que voile l´hypersexualisation et ses corollaires. Foucault écrivait : « L´activité sexuelle s´inscrit donc sur l´horizon large de la mort et de la vie, du temps, du devenir et de l´éternité. Elle est rendue nécessaire parce que l´individu est voué à mourir, et pour que d´une certaine façon il échappe à la mort. » (HS 2 152) Si Foucault aménageait un passage entre sexe et plaisirs dans une érotique déstabilisatrice des contrôles et des normes, ce que l´on voit, aujourd´hui, c´est un bio-pouvoir qui s´installe au coeur de la sexualité, et qui se déploie en un binarisme sexué, reconstituant et réactualisant ainsi la « différence des sexes ». Comme le suggère cet auteur, la nouveauté se trouve dans le fait qu´elle réapparait en d´autres moments, en d´autres pratiques discursives et que les mécanismes de la construction politique de la différence sexuée disparaissent, afin de mieux s´instituer. Quand on parle de plaisir, aujourd´hui, on sousentend friction des corps et des langues, mouvements frénétiques et spasmes rapides, la répétition des mêmes gestes, comme on peut le voir tous les jours, sans fin, au cinéma, à la télévision, sur les vidéos, dans toutes les sollicitations imagétiques et représentationnelles du quotidien. L´ode à l´orgasme voile la violence intégrante de la sexualité, dans nos conditions de production et d´imagination actuelles. Elle crée surtout un évènement, une nécessité vitale, quelque chose qui n´est jamais satisfait, puisque sa représentation culmine à de telles hauteurs, que la réalité spasmodique et instantanée est incapable de les atteindre. La sexualité est devenue la racine fictice de l´identité et de la vie, la négation de la mort. À qui sert la sexualité comme elle se présente, en tant que représentatiton et donnant un sens aux relations sociales ? >Comme le souligne Luce Irigaray, il s´agit de questionner le fonctionnement de la grammaire de chaque figure du discours, ses configurations imaginaires, ses réseaux métaphoriques et ce qui s´articule dans l´énoncé : ses silences. (Irigaray, 73) À l´horizon de ces désirs non-assouvis et incomplets, se crée un incroyable guet-apens autour de l´existence, de la pleinitude, de l´appartenance, de l´être et de la vie. Dans la vacuité de son exercice, la sexualité, centre de la propre existence, chante l´élégie à la vie et prétend repousser la mort, qui se tapie dans chaque brêche, à chaque coin des chemins. Déjà dans les années 80, Catherine Mac Kinnon faisait remarquer l´implacable rencontre de la violence et de la sexualité contemporaines, explicites dans la publicité, la pornographie et les multiples discours sociaux qui font des femmes des corps, ces corps devenus marchandises, orifices usés et abusés, corps en exposition et constamment offerts. Elle constate que la pénétration conventionnelle ou relation sexuelle, définit la rencontre paradigmatique sexuelle, mais aussi définit légalement le viol. Cette textualisation ambivalente, située dans un contexte de hiérarchie et de pouvoir, en même temps qu´elle le crée, devient la sexualité. Elle affirme en outre : « Tout ceci suggère que ce qu´on appelle la sexualité, est la dynamique du contrôle par lequel la domination masculine – sous les formes qui vont de l´intime à l´institutionnel – érotise et donc définit femme et homme, identité de genre et plaisir sexuel. C´est aussi ce qui maintient et assure la suprématie masculine comme système politique. » (164) Les configurations imaginaires, les réseaux métaphoriques, les articulations et la clameur des silences des énoncés, ne peuvent passer inaperçus dans une analyse du discours, comme le proposent Irigaray et la méthodologie foucaultienne. Effectivement, les conditions de production dans lesquelles s´exercent les bio-pouvoirs, apparaissent dans les indices discursifs qui, à leur tour, révèlent la violence contenue dans la consacration de la vie, dans la création des identités sexuées. Plus on parle d´amour dans les différents discours sociaux, plus on constate la division sexuée de l´humain et l´itération de la différence : « l´amour » est pour les femmes, pour les homme c´est le « plaisir », la sexualité dans ses différentes pratiques, mais surtout basée sur l´hétérosexualité obligatoire, transformée en système. C´est elle qui crée les lieux de parole et d´autorité au sein de cet ample bio-pouvoir binaire et hiérarchisé, de la construction sociale des corps sexués. Les discours de la télévision sont le fruit des conditions de production et d´imagination sur lesquelles elle s´appuie ; elle expose ainsi clairement le binome sexualité/violence où nous défilons l´écheveau de nos vies, marquées par la mort. Les feuilletons/séries télévisées qui ont le plus de succès, retiennent en leurs plis, la mort, la vie et le sexe entremêlés, jusqu´à satiété. Les filmes débordent en images de violence, où tous les trafics résultent en des scènes de mort, d´exploitation, de domination et l´omni-présence de la sexualité dans leurs interstices, leurs fondements et leurs motivations. Lorsque Foucault analyse le droit du souverain sur la vie et la mort, il explique : La grande fraternitas donne à l´ensemble des hommes la possibilité d´appropriation sociale des femmes, également comme un ensemble, mais où elles sont réduites à une singularité justifiée par la nature : la femme. Pour Luce Irigaray, « Elles ont cependant en commun leur condition de sous-développement venant de leur sousmission par/à une culture qui les opprime, les utilise, les « monnaie », sans qu´elles en tirent grand profit. » (Irigaray :31) De son côté, Colette Guillaumin, contemporaine de Foucault, analyse, à la fin des années 70, l´appropriation des corps institués au féminin, dans les différentes instances et pratiques sociales : appropriation du temps, du travail, de la richesse produite, de l´émotion. « [...] l´appropriation des femmes, le fait que c´est leur matérialité en bloc qui est acquise est si profondément qdmis qu´il n´est pas vu. » (38n) Ce n´est pas sans raison si les féminismes revendiquent, depuis des années, le droit des femmes de décider de leurs corps, de leur sexualité et que soit respecté leur désir de procréer ou non. L´idée de « nature » fait des femmes une unité psycho-matérielle et comme l´explique cette auteure, « [...] non seulement elles ont un lieu et une finalité, mais elles sont organisées intérieurement pour faire ce qu´elles font [...] » (49) L´auteure souligne que, de cette manière, les femmes sont vues hors des relations sociales et discursives de production et s´inscrivent dans une pure matérialité. Ainsi, les caractéristiques physiques des femmes, ou des dominés en général, sont appréhendées comme la cause de leur subordination, alors qu´on jette le voile sur les mécanismes et les présupposés qui créent la représentation sociale d´infériorité. (49). En d´autres mots, on construit le différent pour mieux affirmer la pregnance de son référent, soit le masculin, le sujet de la parole et de l´action, le sujet politique. A chaque instant, on peut constater l´appropriation socio-sexuelle des femmes, que ce soit dans les magazines, les expressions du sens commun, un imaginaire masculin où elles « sont-là » pour être subordonnées, dominées, exploitées, faites pour la consommation. Et cette relation suppose la violence de l´assujétissement physique, imagétique et représentationnel. Comme l´analyse Colette Guillaumin, « La force des rapports sociaux permet de rejeter l´existence des appropriées dans la pure matière réifiée, d´appeler ‘intuition’ l´intelligence ou la logique, comme on nomme ‘ordre’ la violence ou ‘caprice’ le désespoir. » (54) Le bio-pouvoir, en conséquence, agissant au moyen des technologies de genre, crée et distribue les lieux de parole, d´autorité, et crée aussi les sujets politiques et les sujets « naturels », en istituant le sexe social. « Le sexe, cette instance qui nous paraît nous dominer et ce secret qui nous semble sous-jacent à tout ce que nous sommes [...]. Le sexe est au contraire l´élément le plus spéculatif, le plus idéal, le plus intérieur aussi dans un dispositif de sexualité que le pouvoir organise dans ses prises sur les corps, leur matérialité, leurs forces, leurs énergies, leurs sensations, leurs plaisirs. » (Foucault,p 1996 : 205) Le sexe signifie en premier lieu, la construction des corps en fonction d´un sexe social, corps définis par le choix d´un détail anatomique ; en second lieu, le sexe exprime la possession et la pénétration d´un corps. C´est pourquoi je crois qu´aujourd´hui, le dispositif de la sexualité s´imbrique et se dédouble dans un autre dispositif, celui de la violence, violence sexuelle, violence matérielle et violence symbolique. Le silence dont parlait Irigaray, c´est le non-dit des relations sociales, les présuppossés qui dissimulent et justifient les relations de violence, ce qui fait de la différence sexuelle le point d´inflection de l´inégalité et de l´exercice du pouvoir. Comme le soulignait Foucault, « [...] la sexualité n´est pas [...] ce que le pouvoir redoute ; [...] elle est sans aucun doute, et avant tout, ce par quoi il s´exerce. » (Microfísica, 1998 : 236) Si, comme le voulait Foucault, l´élégie à la vie fait partie des technologies de gestion des populations, elle n´en demeure pas moins une stratégie de production binaire de contrôle et de discipline des corps, avec deux poids deux mesures, de hiérarchie et d´asymétrie. L´incitation à l´existence, replète de souffrances de la vie, mais louée par les discours sociaux, recelle les nombreuses et profondes niches où se love le mépris de l´existence d´autrui, Tout se passe comme si, tenant compte de l´importance sociale de certains, les autres n´étaient que des pièces qu´on use et substitue, suivant les nécessités, et surtout dans le cas où on applique la «différence » sexuelle. En fait, on s´aperçoit que dans le « contrôle des populations », sont institués les mécanismes de la production de vérité non seulement sur le sexe, mais surtout sur le sexe binaire, sur la « différence » et l´inégalité politique qu´elle engendre. Pour Foucault, « Une société normalisatrice est l´effet historique d´une technologie de pouvoir centrée sur la vie. » (1976 :190) L´itération, donc, des représentations sociales de la « vraie femme » n´est autre que l´apprentissage et l´incorporation des normes qui instituent le féminin : procréation, séduction, beauté, intuition, passivité, fragilité, etc...Au cours du déroulement du dispositif de la sexualité, quand le contrôle est mis en perspective et que domine le processus d´ « hystérisation du corps de la femme », Foucault s´exprime ainsi : « [..] le ‘sexe’ a été défini de trois façons : comme ce qui appartient en commun à l´homme et à la femme ; comme ce qui appartient aussi par excellence à l´homme et fait donc défaut à la femme ; mais encore comme ce qui constitue à lui seul le corps de la femme, l´ordonnant tout entier aux fonctions de reproduction et le perturbant sans cesse par les effets de cette même fonction ; l´hystérie est interprétée, dans cette stratégie, comme le jeu du sexe en tant qu´il est l´’un’ et l´’autre’, tout et partie, principe et manque. » (1976 : 202-204) Pour Foucault, la catégorie « sexe » a regroupé en une unité artificielle, l´anatomique, les fonctions biologiques, les comportements, les sensations et les plaisirs et apparaît ainsi comme le « significant unique et le signifié universel » (Foucault, 1976 : 205). On voit alors s´installer le sexe binaire et ses technologies de genre, où se définit la vérité sur l´humain : l´ « homme », universel, référent, et la « femme », spécifique, différente. La gestion de la vie se revêt de tout un apparat. Foucault l´exprime ainsi : « C´est sur la vie maintenant et tout au long de son déroulement que le pouvoir établit ses prises ; la mort en est la limite, le moment qui lui échappe ; elle devient le point le plus secret de l´existence, le plus ‘privé’ ». (Foucault, 1976 : 182) Ce qui reste bien clair chez Foucault, c´est que la transformation d´un régime de vérité charrie et refait les significations dont la naturalisation de la « différence sexuelle » ; dans cette perspective, le sens s´enracine dans un interdiscours philosophico-réligieux mysogine qui disqualifie le féminin. Pour la philosophe Geneviève Fraisse, l´historicité de la catégorie « différence des sexes » est l´anti-thèse des assertions « naturalisantes ». Elle affirme ainsi que l´historicité va bien au-delà de l´idée d´histoire, car elle signifie la représentation d´un être historique. (1996 : 74) Et le passage de registre, affirme-t-elle, de l´histoire des représentations à la représentrion de l´histoire, opère un double glissement : « [...] il met les femmes en position de sujets de l´histoire, d´actrices de l´histoire réelle et d´individus pensants ; il indique ainsi l´importance du sujet sexué en général. Il apporte aussi un savoir possible sur la différence des sexes par un travail critique sur les invariants et démonte les mécanismes de l´a-temporalité. » (1996 : 75) C´est ainsi que je dénomme « histoire du possible », la recherche généalogique de la sexualité humaine et de la construction des corps sexués, recherche qui peut révéler le multiple chez l´humain et ses formes relationnelles. En d´autres formations sociales, à partir du présupposé d´une historicité incontournable, rien ne peut laisser supposer l´existence de la « différence sexuelle » et son corollaire de violence et de pouvoir. Cependant, à l´imbrication d´un dispositif de la sexualité et d´un dispositif de la violence, enraciné dans le sexe social et les dédoublements des technologies de genre, c´est là que la mort est visible, présente, omnipotente dans l´imaginaire social. La mort traverse la production médiatique, investit la littérature, le cinéma, les manifestations culturelles qui, par les images et les textes, nous envahissent de crimes, de crimes sexuels, châtiments physiques, de viols à profusion, de pornographie, d´exploitation sexuelle, de prostitution naturalisée, de publicités sexistes, paroles de chansons et scripts de filmes : la violence est la messagère des morts annoncées et/ou pratiquées. Il est évident que la violence régule également les relations entre les hommes, celles de classe, de race et de hiérarchies innombrables. Toutefois, la violence contre les femmes, puisqu´elle est ancrée dans une différence socialement acceptée et naturalisée, est avant tout sexuiée et sexuelle. L´élégie à la vie tente, en fait, d´effacer la présence de la mort, mais les discours sociaux ne cessent de la proclamer ; présence imparable au beau milieu du funeste tintement aigu des armes invisibles, l´envolée des cloches qui annoncent l´abscence, le deuil, la douleur d´être et d´exister sur ces sentiers de violence, symbolique et matérielle, qui reconstruisent inlassablement différences et inégalités, pour qu´enfin cette présence puisse encore mieux exercer son pouvoir. Et au niveau du sexe social, de la sexualité en tant que dispositif de contrôle, de domination, nécessité incontournable, et le modelage des corps, font prospérer la violence de sexe et la menace de mort. Selon Foucault : « Le pacte faustien dont le dispositif de la sexualité a inscrit en nous la tentation est désormais celui-ci : échanger la vie tout entière contre le sexe lui-même, contre la vérité et souveraineté du sexe. Le sexe vaut bien la mort. C´est en ce sens, mais on le voit strictement historique, que le sexe aujourd´hui est bien traversé par l´instinct de mort. » (Foucault, 1976 : 206) La consécration de la vie aujourd´hui, prend racine dans le sexe, comme catégorie (non comme appareil génital) et comprend. l´intelligibilité, la hiérarchie, la puissance, la vérité, la production de sens et d´êtrre au sens propre. Tout se passe comme si la sexualité était l´anti-thèse de la mort. Cependant, si le sexe vaut la mort, il s´agit bien de la mort d´autrui, car si le sexe pour les hommes est contingence, pour les femmes il est définition, c´est ce qui définit son être, son existence et donc sa mort. Si le dispositif de la sexualité naturalise le désir sexuel, celui-ci se matérialise, en grande partie, en violence de genre. Dans ce sens, il n´est pas étonnant que puisse exister la « défense de l´honneur », qui donne le droit de mort au masculin-souverain, s´exerçant sur la femme dont on suspecte l´infidélité. Je n´ai jamais entendu parler d´une manifestation masculine contre le viol, contre la violence domestique, contre une pédophilie de plus en plus révélée chaque jour. La violence sexuelle semble n´être qu´une question concernant les femmes. Les féminismes sont bien souvent excécrés, parce qu´ils analysent en profondeur ce qui est recouvert de silence. Les mécanismes d´appropriation, de la construction des corps des femmes et de la différence sexuelle, ont déjà été clairement exposés – mais le fait de connaître ne crée pas nécessairement la transformation. Les pouvoirs qui divisent l´humain en deux sexes, mais ne le conjugue qu´au singulier, « l´homme » ; celui-ci qui permet la vente des petites filles aux vieillards, qui naturalise l´usage et la vente des corps sur un marché globalisant du sexe, cet « homme » possède, dans le dispositif de la sexualité et de la violence, son ancrage, son hâvre. Si Foucault analyse le dispositif de la sexualité de manière générale, la violence qui y fleurit ne permet pas d´ignorer la construction du sexe social, car c´est en son sein qu´elle abrite la domination et la mort. Et Foucault conclut : « Ironie de ce dispositif : il nous fait croire qu´il y va de notre libération. »(Foucault, 1976 : 207) La réponse politique de transformation est qu´il faut se libérer du dispositif lui-même, et cettte libération passe par l´identification des nouvelles servitudes et leurs mécanismes d´assujétissement. Il ne s´agit pas de nier la sexualité, mais de lui refuser une importance vitale dans l´existence, pour l´intelligibilité humaine, le processus de subjectivation et la construction de soi. La libération ne réside pas dans la négation de la mort, mais bien de l´incorporer au défilement de la vie ; elle passe par l´action politique d´établir des relations humaines dépourvues de valeurs de genre et de hiérarchies « naturelles ». On démasquer alors la perversité des économies centrées sur la violence et la domination, alors qu´en aparence on ne cesse de louer la vie.
Referencias GUILLAUMIN,Colette.1992. Sexe, Race et pratique du pouvoir, l´ídée de nature, Paris, Ed.Côté-femmes. IRIGARAY, Luce.1977. Ce sexe qui n´en est pas un. Paris, Editions de Minuit. FRAISSE, Geneviève.1996. La différence des sexes. Paris: PUF FOUCAULT, Michel.1988 Microfísica do poder, Riode de Janeiro: Graal FOUCAULT, Michel.1976. Histoire de la sexualité.La volonté de savoir. Paris: Gallimard FOUCAULT, Michel.1976. Histoire de la sexualité !!. L~usage des plaisirs.Paris: Gallimard BARBIN, HERCULINE.1982. Diária de um Hermafrodita. (apresentaçãode Michel Foucault) Rio de Janeiro: Francisco Alves. Notice biographique tania navarro swain est professeure au Département d´Histoire de l´Université de Brasilia, docteure de l´Université de Paris III, Sorbonne. Elle a été professeure invitée, en 1997/98 à l´Université de Montréal-UdM, ainsi qu à l´Université du Québec à Montréal, à l`IREF- Institut de Recherches et Études Féministe. Êlle a créé le premier cours Études Féministes en graduation et post-graduation au Brésil, ce dernier en niveau de maîtrise et de doctorat . Parmi ses plus récentes publications: “O que é lesbianismo?” (Qu´est-ce que le lesbianisme?), 2000 ; un numéro spécial intitulé “Feminismos: teorias e perspectivas” (Féminismes: théories et perspectives) de la revue Textos de História, paru en 2002, outre des nombreux articles publiés dans des revues nationales et internationales. Elle a organisé également les livres "História no Plural” et " Mulheres em ação:práticas discursivas, práticas políticas", publié en 2005; a publié également plus de 60 chapitres de livre et articles dans des revues brésiliennes ou internationales; elle est éditrice de la revue électronique "Labrys, études féministes", www.unb.br/ih/his/gefem |