Maud Fontenoy, la traversée de l´Atlantique nord et du Pacifique à la rame!

Qui est cette femme jeune, jolie, mince, musclée, aux bras de fer, aux rêves en acier ? Maud Fontenoy, née à Meaux le 7 septembre 1977 est une navigatrice française pratiquant aussi bien la rame que la voile.

C´est  une femme d´aventure, de celles qui affrontent les dangers et l´impossible ; elle a peur, oui, mais elle ne cesse de poursuivre les horizons infinis de la mer. C´est ça le courage, en fait : affronter sa peur !

Une mer terrible, qui l´accueille pour mieux la narguer avec ses profondeurs abyssales, ses monstres dissimulés, ses cinq mille kilomètres de solitude à la ronde, ses dix kilomètres d´abîme et d´inconnu.

Maud traverse les mers toute seule, sur un skif, à la rame ! elle traverse l´Atlantique nord et pas rassasiée, le Pacifique quelque temps après, l´océan de tous les périls, de tous les espoirs et désespoirs.

La route de l´Atlantique nord est un cauchemar et Maud est la première femme à la parcourir en solitaire et à la rame. Six hommes seulement ont réussi à le faire, plusieurs autres tentatives ont été abandonnées, ou ont pris fin lorsque la mer a cueilli et enseveli pour toujours quelques infortunés. C´est vraiment pas donné à tout le monde, un exploit pareil.

Les marins de Saint-Pierre et Miquelon, d´où Maud est partie, la regardent les yeux écarquillés  car ils connaissent cette mer, «  Ils savent qu´elle est intraitable, cruelle, capricieuse, imprévisible et puis surtout, qu´elle n´est pas faite pour les femmes », comme ils tiennent à le souligner (AFN,25). Alors, «  Non, c´est une blague, c´est pas elle ?[...] La petite blonde ? Non ? c´est de la folie ! » (AFN,24).

C´est pas une question de gros bras, dit-elle, c´est une affaire de volonté et de détermination (PMN,29). Pour le sens commun, cette prouesse frise la folie pure et simple pour une femme, dont la représentation sociale courante est de fragilité et de dépendance. Mais  Maud fait éclater en mille morceaux cette image : elle se met toute entière dans ses traversées et ne cache nullement ses angoisses et sa peur, ce qui la rend encore plus forte et admirable.

On a tant parlé des Vikings (Xe, XIe siècles) qui sont venus en Amérique, on a vanté cet exploit, si difficile  à cette époque là ! On a parlé des portugais, des anglais, des hollandais sur leurs caravelles et leurs voiliers (XVe siècle et plus tard)  sur les mers et les océans, on s´esclaffe sur leurs douleurs, leurs fatigues, les tempêtes, les accalmies, le manque d´eau... mais il n´ont rien fait seuls et à la rame ! Maud l´a fait.

Donnez des choix  aux femmes – des rames, des ailes, des voiles, des traîneaux, des chameaux, des chevaux - et elles accompliront tous les exploits ! On retrouve des femmes réalisant des découvertes, des explorations, empruntant des chemins pas encore foulés, dans tous les domaines : il suffit de les chercher. Elles ne sont pas à un désert, à un sommet, à une traversée près, que ce soit de glaces ou des océans.  Il suffit de ne pas créer des lois qui les en empêchent, il suffit de ne pas leur bander les pieds, de ne pas les mutiler, ou de les voiler, de ne pas les enchaîner à un destin biologique, de ne pas les empêcher de sortir, de conduire, de faire du sport, d´étudier. Il suffit de laisser aux femmes la possibilité d´être citoyennes à part entière, des sujets de leur action, de leur corps, de leur force, de leur travail. Et surtout, il suffit de ne pas briser leurs rêves, d´empêcher même qu´il y ait des rêves. Le rêve, pour Maud, est l´impulsion de tous les exploits :

« Le bonheur est dans bien des choses, plus près de soi qu´on ne l´imagine. Il est dans la réalisation de ce que l´on a choisi. [...] Le plus difficile, en réalité, c´est d´assumer ce qu´on est, puis avoir le courage de réaliser ses rêves, ses choix, ses projets, qu´ils soient difficiles ou non, sur la terre comme sur les  océans, au quotidien ou épisodiquement. » (PMN,150).

 Maud est un être à part entière, elle maîtrise sa vie comme son bateau, subit les aléas de la mer et des courants, mais toujours avec la volonté de réussir, de pousser plus loin, de passer au-delà des limites et des barrières. Son rêve c´est l´aventure, la liberté, le souffle du vent, les embruns de la mer qui ont bercé son enfance. En effet, jusqu´à l´âge de 15 ans Maud a vécu avec ses parents et ses deux frères sur un voilier. (PMN,30).   La mer est donc son domaine et sa joie.  Ainsi, elle se rend parfaitement compte des dangers de ses aventures marines :

« Je me rappelle qu´on m´avait annoncé que les dix premiers jours seraient insoutenables. Il faut ce temps –là pour dompter son corps, oublier ses anciennes habitudes de vie, le confort de la terre ferme, pour apprendre à supporter les mouvements incessants du bateau et entrer enfin dans cette pénible solitude.[...] Je jette un oeil rapide sur la carte, c´est incroyablement loin. Je n´en reviens pas de m´être lancée dans cette aventure folle » (AFN,38-39)

La voie choisie pour traverser l´Atlantique est la plus difficile, car c´est le domaine  des dépressions génératrices de tempêtes, des vents qui virent soudainement, de eaux croisées, ou du vent qui  souffle à l´envers de la progression du bateau. En plus, le froid cinglant, la brume, le manque total de soleil pendant le premier mois.

Elle raconte :

« Pendant plus d´un mois je stagne, j´avance avec difficulté  puis reviens sur mes pas. Je perds parfois en vingt et quatre heures ce que j´ai durement gagné  en plus de quatre ou cinq jours.[...] Pendant toute cette période où je recule à en devenir folle, je me remets à ramer, quelle que soit l´heure.[...] qu´il fasse chaud ou pas, et je rame et je rame encore[...] et chaque fois que le vent se met à souffler, c´est un déchirement ». (AFN)146)

Maud part donc de Saint-Pierre et Miquelon sur la côte canadienne le 13 juin 2003 en direction de l´Europe : elle n´atteindra l´Espagne que le 9 octobre ! Quatre mois sur l´océan le plus dangereux, le plus difficile. Même la traversée du Pacifique ne sera pas aussi malaisée. Maud a 25 ans et fêtera son anniversaire toute seule au milieu des vagues.

Qu´est-ce qui la pousse à épuiser ses forces sur les avirons, heure par heure, jour après jour, quatre mois de solitude, le but est toujours loin, si loin....

« Bien sûr, ce que j´accomplis est un exploit physique, mais pour moi c´est avant tout un voyage. C´est la liberté, la vraie, celle de choisir de se dépasser, de se battre pour vivre ce qu´on a au fond du cœur et d´avoir enfin cette extraordinaire sensation de s´accomplir.[...] Je ne suis pas dans l´état d´esprit d´une grande sportive, mais plutôt dans la peau d´une aventurière, oui, si j´ose le dire... Bien sûr, le chemin que j´ai choisi n´est pas le plus simple, mais c´est justement ce qui le rend fabuleux ». (AFN,116-117)    

La mort la dévisage tout le temps : 17 chavirages pour une seule tempête, plus trois au cours du chemin ; il y a des requins qui la surveillent, des baleines qui lui foncent dessus et plongent à la dernière minute,  des bateaux qui ne la voient pas, petit point perdu sur l´océan et qui ont failli l´écraser. Le dessalinisateur qui flanche et l´eau qui s´épuise et la faim qui s´installe – la fatigue écrasante, le manque de sommeil, et j´en passe !

Comment sont-ils les bateaux qu´elle utilise pour ces deux traversées ? Pour traverser l´Atlantique, le bateau s´appelle  Pilot, 7,50m de long, 1,60m de large, un GPS, un téléphone iridium, un radar, de la nourriture lyophilisée, un réchaud, des vêtements, deux dessalinisateurs, 3 paires d´avirons, au cas où... Sa cabine a 1m cube environ et devient une cage humide et suffoquante suivant les conditions atmosphériques, comme l´explique Maud. (AFN,20) Pour le Pacifique c´est plus ou moins pareil, le bateau s´appelle l´Océor, longueur 7,50m,  largeur 1,60. Mais on a plus de détails pour l´équipement, comme par exemple, une boîte à outils, 2 balises Argos, une combinaison de secours, 1 bouilloire, une ligne de pêche, 1 trousse à pharmacie, 1 caméra, 3 livres, 1 lecteur MP3 et pas beaucoup plus. C´est tout ce dont on a besoin pour risquer sa vie sur les traitres flots des océans.  7.300 km pour la traversée du Pacifique presque autant pour l´Atlantique! Et elle rame.

« Mon corps se met pourtant au travail, je tente d´oublier ma tête lourde, je ferme les yeux, mes bras se tendent, au bout de mes mains ma paire d´avirons va chercher l´eau le plus loin possible, mes jambes prennent appui sur le cale-pieds et poussent énergiquement, mes muscles se crispent, les rames gorgées d´eau reviennent lentement sur l´arrière du bateau. [...] Je me penche à nouveau et recommence, inlassablement ce même mouvement. Contrainte d´obéir à ce rythme monotone, je m´impose d´oublier rapidement mon corps, il poursuit alors comme un robot. Je ne compte bientôt plus les minutes mais les étoiles qui enluminent une à une le ciel au-dessus de moi.» (PMN,56-57)

Dès les premières lignes de son livre sur la traversée de l´Atlantique nord, on est tout de suite mise au parfum : la tempête qui se déchaîne, les vagues de 5, 6 m qui déferlent sur le minuscule bateau et voilà ! le premier chavirage, qui est loin d´être le dernier.

« Pilot tombe de la crête au creux des vagues en sursautant. Il me semble entendre son sanglot. Ça ne devrait pas être comme ça. Oh non ! pas dès le début ! Je ne tiendrai jamais trois mois dans ces conditions. Il se vrille de plus belle, ça grince de partout, la mer cogne et recogne contre la fine paroi, nous ne somme plus qu´un jouet dérisoire dans la main de l´océan, secoué dans tous les sens, projeté sans ménagement par des tombereaux d´eau. » (AFN,20)

Heureusement ce n´est pas tout le temps comme ça, c´est difficile de  supporter de tels émois ! Lire les livres de Maud c´est faire aussi sa traversée, c´est souffrir ses douleurs, vivre la houle et les déferlantes, je suis moi-même chavirée !

Oui, que de souffrances ! Maud se casse des côtes, se foule le poignet, a des tendinites tenaces, les paumes des mains abîmées par les avirons et  tout d´un coup le dessalinisateur casse et il n´y a plus d´eau à boire, ou pour déshydrater les aliments. Pendant la traversée de l´Atlantique nord, déjà mince, elle perd 10 kgs. Elle essuie des tempêtes innommables, qui durent parfois trois jours, pendant lesquelles Maud ne peut pas sortir de son habitacle, au risque de se faire projeter dans l´eau. Chaviré 17 fois en  une seule et terrible tempête, Pilot tient bon, avec quelques gros dégâts. Deux hommes qui sont partis pour faire la même route à peu près en même temps qu´elle, abandonnent la traversée, à cause d´une météo déchaînée. (AFN, 133) Elle tient bon.

Trente six heures de tempête. Des vagues de 10m de hauteur qui déferlent sur le petit bateau avec sa petite Maud dedans.

«  Elles arrivent par derrière dans un rugissement à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Je suis tétanisée de peur, chaque parcelle de mon corps tremble, ma mâchoire ne se décrispe pas, je suis au bord de la panique, en pleine crise d´angoisse[...] je ne peux plus bouger ma jambe, je hurle de douleur, de désespoir. Je ne parviens plus à respirer, il n´y a plus d´air, je tousse, je crache, [...] une peur incontrôlable m´envahie, je suis meurtrie de la tête aux pieds, je n´ai même plus la force d´ouvrir mon hublot pour laisser passer de l´air. » (AFN,123-124)

La mer devient un être en furie, le vent se déchaîne, charriant des immenses masses d´eau.  Des creux démesurés se forment lorsque les vagues se lèvent et Pilot tombe dedans, la tête la première : 

«  Il dévale [...]à une vitesse vertigineuse, pratiquement à la verticale, je vois le trou, le gouffre en dessous de nous[...] Je suis perdue, totalement impuissante. Il fait si noir, l´eau est si froide, j´ai le goût de la mort dans la bouche[...] » (AFN,126)

Pourquoi ? Pourquoi cette souffrance ?

L´aventure c´est comme une oeuvre d´art, elle n´a pas un but en soi-  c´est en fait la construction de soi-même qui est en jeu. C´est le dépassement des limites, l´oubli de toute ressemblance, des contours du corps, des détails de son propre visage, du regard de l´autre. Qu´importe ? C´est l´appel du désert torride, ou de la mer ombrageuse, ou des étendues glacées, ou encore des montagnes hautaines. Ce sont eux qui ont le dessus .

« Je m´interroge sur les raisons que l´océan a de me garder près de lui ?[...] Il a décidé de tout, je n´ai eu qu´à baisser la tête, à supporter ses changements d´humeur, à encaisser ses monstrueuses colères et à me dire qu´il ne pouvait pas rester fâché éternellement[...] il m´a bien tolérée depuis le 13 juin, il m´a entrouvert un étroit chemin, fermant les yeux sur mes petits bras... et ma ‘condition de jeune fille’, comme me l´a dit un jour un journaliste. » (AFN,117-118) « La mer ne pardonne pas, j´ai bien conscience que je n´ai pas intérêt à réveiller la force surhumaine qui sommeille en dessous de moi. Je me sens marchant sur la pointe des pieds sur le dos d´un léviathan endormi. Je sais que bientôt il se réveillera, c´est inévitable, mais le plus tard sera le mieux. » (AFN,116) 

 Dans l´aventure c´est l´effort, parfois surhumain, la patience, l´endurance qui comptent, c´est un quotidien harassant de poussière, de chaleur, de froid, de la foule, des entraves bureaucratiques, des entraves climatiques... Toutes ces formidables femmes d´aventure qui partagent leur cheminement à travers leurs livres parlent de ce désir qui les habite, de cet appel du large, des horizons sans limite, de la démesure, de ce trop plein de soi, qui ne parle que de liberté ! Le trouble, la douleur, le péril, la peur, le danger en font partie.

Maud n´a pas honte de confier sa peur, sa détresse mais sa volonté en acier est là : où tant d´autres ont abandonné, elle poursuit. Et elle tient quatre mois au lieu des trois comme cela avait été planifié.

Temps de solitude, de réflexion, de travail forcené, mais aussi de beauté indescriptible, des nuits étoilées, l´océan aux mille reflets argentés, d´adorables otaries qui la regardent, l´œil espiègle.

« Sous mes yeux, cinq longs cous noirs émergent. On me surveille. Ce sont des otaries.[...]Amassées en petits groupes, elles jouent  les unes avec les autres à une cinquantaine de mètres de moi. J´ai le sentiment que la terre a disparu depuis une éternité,  je suis seule sur une gigantesque étendue d´eau salée et cette compagnie inattendue, minuscule repère dans l´immensité bleue qui m´entoure me fait du bien. Je m´y accroche. L´océan me dévoile généreusement une partie de la vie qui l´anime, brisant ainsi mon isolement.[...] Ces entrevues chapardées à la monotonie du quotidien font partie des merveilles de ce voyage, de cette aventure que je tente de rendre la plus humaine possible.» (PMN,47-48-49)

Les dauphins aussi viennent la voir et la suivent un bout de chemin, toujours enjoués, parlant leur langue à eux, d´adorables créatures qui nous font oublier les monstres tapis dans les tréfonds !

«  Quelque chose sonne, quelque part.[...]Une dizaine de dauphins qui dansent autour de Pilot. L´océan s´est mis à scintiller. Des gros dauphins, des marsouins probablement, s´amusent à passer et repasser sous l´embarcation.[...] Je mets la main dans l´eau et l´agite, ils avancent pour me toucher. C´est électrique, extraordinaire. J´ai le ventre, le cœur, l´esprit qui se remplissent instantanément de joie, de légèreté, de douceur[...] Ils semblent sourire. Ils grimacent, gloussent, poussent des petits cris rigolos.[...]Après les souffrances, la détresse, voici qu´ils m´apportent sur un plateau doré par le soleil, le réconfort, la joie et puis surtout la sensation fabuleuse d´être un peu moins seule. Je suis émue par leur tendresse. » (AFN, 101-102)

Les livres de Maud sont imagés et vivants : on t´attrape et on t´emmène sur les  flots, on te ballotte et secoue dans les tempêtes, on te fait peur avec les requins et les profondeurs abyssales, les bateaux qui te passent presque dessus sans te voir. On fait la fête avec les baleines, les dauphins, les otaries, les daurades, le petit oiseau qui vient s´échouer sur le bateau, si loin de la côte. On pleure les larmes de l´arrivée et les larmes de l´impuissance. C´est une aventure fascinante, une vraie femme d´aventure ! Et son image renoue toutes les femmes avec leurs possibilités, leurs désirs d´action, leur auto-représentation. Elle montre aux femmes que oui, on peut réaliser nos rêves !

Je ne sais pas si Maud se considère une féministe, mais elle l´est, il n´y a aucun doute. Elle montre ce qu´une femme peut faire et fait suivre son aventure à des écolier/ères, par internet en partenariat avec des écoles. Ces gosses ne diront plus jamais qu´une fille ne peut pas faire ceci ou cela : ils ont vu, presque en direct, ce dont une femme est capable. En plus de se construire un être en mouvance, Maud change l´image du monde, car le « naturel » du féminin est totalement déconstruit. En visite à un collège parisien du VIIe arrondissement :

« Les enfants n´en croyaient pas leurs yeux. J´avais installé une carte de l´Atlantique, je leur avais apporté ma machine à faire de l´eau potable et quelques plats lyophilisés pour qu´ils comprennent mieux.[...] Mes yeux ne quittent pas le dessin d´une jeune fille qui a écrit Maud avec des photos d´escarpins vernis qu´elle a découpés en forme de lettres ; c´était là aussi une interrogation supplémentaire pour eux,  habillée en femme, ressemblant j´en suis sûre à leurs mamans, et je leur parlais chavirages, violentes tempêtes, réparation...Et vous avez des enfants ? me demandent-ils interloqués. Un peu comme si une femme comme moi, ce n´était pas vraiment une femme qui peut avoir des bébés. Une maman, ce ne peut pas être une aventurière, qui veut traverser un océan à la rame ! » (AFN,69-70-71)

Les actions et les théories féministes changent et modifient, depuis un demi siècle, les relations entre le féminin et le masculin et mettent en question le sexe biologique en tant que base de la division du travail, des responsabilités, de l´importance sociale. En effet,  le biologique qui sert de prétexte à créer  une hiérarchie entre les sexes  n´est qu´une construction sociale fondée sur la volonté de pouvoir, les discours de « vérité » de la science, de la religion, des traditions et coutumes et surtout les représentations sociales, qui en fait, instituent le monde selon les axes de pouvoir ainsi définis comme étant « naturels ». Les stéréotypes, les normes, les lois religieuses et les lois civiles font des femmes leurs cibles.

Même dans les démocraties occidentales, où les femmes sont censées avoir tous les droits, elles gagnent moins, elles sont minorité dans les postes de commande de  l´administration de l´État ou dans les entreprises privées. Et qu´elles soient présidentes ou femmes au foyer, elles sont susceptibles de subir toutes les violences liées à leur statut social  de femme, donc dominées/ disponibles/ /appropriées. C´est ainsi que la moitié de l´humanité – les femmes- est encore de nos jours traitée en tant que marchandise, en tant que corps pouvant être utilisés, vendus, échangés, dégustés,  dont la force de travail est exploitée de façon spécifique, sanctionnée par les institutions telles que le mariage ou la prostitution.

Les représentations sociales sont le socle des  relations humaines car elles construisent les êtres selon des valeurs, selon les propositions qui ont valeur de vérité. Les représentations sociales créent un savoir qui justifie et institue les êtres classés selon le genre, la race, l´origine et j´en passe. À partir de cette connaissance établie par les discours sociaux et imagétiques, les hommes trouvent normal de s´approprier les femmes, d´utiliser la violence et la domination pour mieux les soumettre. C´est ainsi que la différence sexuelle a été établie pour définir la hiérarchie sociale, pour fonder le pouvoir d´une moitié de l´humain sur l´autre. Car lorsqu´il y a une différence, il y a son fondement, un référent qui définit les paramètres et dans ce cas, c´est le masculin qui l´emporte.

  C´est chez les enfants, dans les écoles qu´on peut modifier la notion de « différence sexuelle », et cela passe par le choix, celui laissant aux filles la possibilité et le plaisir de l´action, de la créativité de la réussite dans les études mais aussi dans les sports et le travail. Lorsque Maud fit sa recherche de financement, la représentation sociale des femmes s´avéra un handicap, puisque certaines des personnes contactées ont même pensé à une blague :

« Je me suis battue contre de sérieux a priori, contre des craintes et des doutes solidement ancrés, contre mon image de jeune femme même. Aujourd´hui c´est le moment de leur prouver qu´ils ont eu raison d´y croire. Que l´habit ne fais pas le moine et que toute féminine que j´étais dans mon petit tailleur et sur mes hauts talons, je pouvais aussi réussir un défi audacieux, comme celui de traverser l´Atlantique nord à la rame. » (AFN, 42)

C´est en fait une femme qui a été  son premier appui et sa première partenaire, Claudine Salmon, de France Info, mais aussi Marie-Claire Pauwels, rédactrice en chef de Madame Figaro. Cette dernière avait décidé, selon Maud «  d´aider une femme à s´épanouir dans un défi personnel » (AFN,43). Bien sûr, après sa victoire tout le monde affirmait être sûr de sa réussite !

Ainsi Maud établit une nouvelle image du féminin, forte, indépendante, dotée d´une volonté en acier. Elle pénètre l´imaginaire des enfants, elle change leur représentation des rapports sociaux  de sexe et leur montre  qu´il n´y a pas une différence « naturelle » entre les êtres. Elle, dont l´image est tout à fait féminine, belle, c´est aussi quelqu´une qui a des rêves et que rien n´arrête. Les garçons qui la voient, qui suivent ses aventures à l´école ne pourront plus jamais justifier une attitude de domination basée sur le biologique, une fragilité qui à l´évidence, est construite par le patriarcat. En effet, Maud peut aussi changer la vie des filles qui ont désormais un modèle de force et de compétence : elles ne se laisseront plus avoir par les discours sur une féminité stupide et soumise.

Sa famille, ses amies/is sont là pour l´appuyer, mais même s´ils ne l´étaient pas,  je suis sûre qu´elle poursuivrait sa route de la même manière.

« Obéissante aux dieux souverains de la mer et du vent, fuyant le quotidien, j´alimente mon besoin insatiable de merveilleux, d´aventure et de différence » (PMN,127)

Mais qu´en est-il du voyage ? Je crois que ses aventures s´appellent « danger extrême», quatre mois toute seule et sans assistance pour la traversée de l´Atlantique nord et deux mois et demi pour le Pacifique.

Maud et ses bateaux ne font qu´un, elle ne parle que de « nous ». Lorsqu´elle arrive finalement au port, Maud a du mal à les quitter, eux qui ont partagé tant d´épreuves,  de douleurs, de dangers, mais ont tenu bon et l´ont emmenée jusqu´au bout du voyage. En arrivant en Espagne,

«  Le capitaine pensait qu´il fallait me faire monter à bord. ´Non, non, je ne quitte pas mon bateau. On rentre ensemble au port, pas question que je le laisse tout seul.[...] ´Merci, lui murmuré-je avant de passer la frontière du monde des terriens. Merci de m´avoir aidée à arriver jusque-là´. » (AFN,165)

Et ensemble, son bateau et elle, font face aux périls qui les guettent. Pendant les deux traversées Maud est obligée de plonger dans la mer pour caréner le bateau, envahi de coquillages et qui bloquent le gouvernail ; ils s´installent  même dans l´habitacle étant donné l´humidité et la chaleur. (PMN, 15-105) Et ça, malgré les abysses de parfois 10.000m et les monstres qui y sont tapis. Elle essaye de plier ses jambes dans l´eau, la peur au ventre, à l´affût des tentacules ou des mâchoires qui peuvent les happer.

«  Sans un bruit, sciant froidement la surface de la mer, un requin-taupe approche.[...] Je le fixe du regard. Me crispe dans cette position. Mon cœur est près d´exploser dans ma poitrine.[...] Á travers un dérisoire rempart d´eau je scrute, alarmée, le corps fuselé bleu métallique de la soudaine menace. À la vue de ses yeux noirs glaçants, de ses muscles d´acier, j´ai le sentiment qu´il est invulnérable. Comme un loup solitaire en quête d´une proie, il tourne autour de l´Océor, mon petit bateau à rames que le mouvement fait trembler. » (PMN,13)

Mais tout n´est pas horripilant tout le temps, sinon l´aventure n´aurait pas de goût ou de sens. Il y a la magnificence de la mer, des couleurs, les textures de l´eau, des petits poissons qui suivent le bateau, les nuits étoilées et les eaux qui rayonnent de mille éclats. Et il y a surtout cet amour de l´océan qui habite Maud, une passion qui la fait voir la beauté partout  :

« L´océan devient une personne, un ami dont je raconte les humeurs dans mon livre de bord. Il est tout puissant. Son charisme et sa force me font trembler mais ses secrets me fascinent. J´en tombe amoureuse, sa beauté me bouleverse. [...] Je suis éberluée chaque matin en me levant. Ce sont les premières lueurs orangées du soleil qui me réveillent, j´ouvre alors les yeux et les observe se transformer petit à petit, elles deviennent de plus en plus vives et acidulées. Je bois ces couleurs-vitamines goulûment, j´en deviens insatiable et leur souvenir s´imprime au plus profond de moi, cela m´aide à assumer ma vie quotidienne, rude et douloureuse. (AFN,78) Bien sûr, le risque est inhérent  à chacun de mes mouvements, mais quel bonheur d´en être là. » (AFN,75)

Ce sont des aventures qui se terminent bien. Maud est reçue en fête, son nom s´affiche dans les médias, le président de la République la reçoit, lui offre un poste (qu´elle refuse), elle reprend sa vie mais avec toujours cette passion de la mer.

«  Ce voyage , c´est d´abord un rêve, celui de vivre quelque chose de fort avec l´océan. [...] J´avais un désir inassouvi de vivre vraiment une grande aventure. Et de la vivre seule, de repousser les limites du possible. Je voulais aller au bout de moi-même, au bout de mes émotions. Dépasser mon corps et son potentiel. Et avancer.[...] Dans cette aventure, il n´y a qu´une seule chose qui me fera tenir le coup et ne pas abandonner : c´est ma volonté. » (AFN,63)

C´est ça, l´aventure au féminin : la construction de soi.

Non, elle ne s´est pas arrêtée là : en 2006 Maud part pour un tour du monde à voile, en solitaire et sans assistance. Le 15 octobre elle débute une nouvelle aventure de 14 500 kilomètres en parcourant les mers du Sud de l'est vers l'ouest, c'est-à-dire à contre-courant, comme elle aime le faire. Partie de l'île de la Réunion, elle passe par le cap de Bonne-Espérance, le cap Horn puis le cap Leeuwin avec pour objectif de revenir à son point de départ cinq mois plus tard.

 Mais ça, c´est une autre histoire !

 

Bibliographie:

Fontenoy, Maud.2004. Atlantique, face nord. Paris, Robert Laffont

Fontenoy, Maud.2005. Pacifique à mains nues.Paris, Robert Laffont